Un autre numéro de Magicus Magazine.
Dans le cadre
de mon projet de publier un article chaque jour dans ce blog pour desennuyer
les magiciens confinés, le journal Magicus Magazine et son
directeur de publication Didier Puech m'ont autorisé d'une manière très
généreuse à reproduire un ancien article de leur journal du numéro
160 (mars-avril 2009). Un grand merci à eux pour leur formidable action. Je
rappelle que le journal Magicus Magazine en est à présent à
son 221 ème numéro. Tous les numéros sont
passionnants. Abonnez-vous donc au Magicus
Magazine : pour l’instant et
ce jusqu’au 1 juillet 2020, vous pouvez bénéficier d’un tarif préférentiel de
50 euros qui est celui des étudiants, au lieu de 70 (en indiquant juste
« JF ») ; commandez les anciens numéros dont par exemple
ce numéro 160 dont j’ai extrait cet article «
L'encyclopédie et la magie blanche
» écrit par Fanch Guillemin.
« L'Encyclopédie
et la magie blanche
« Gibecière : (Shibbeker, en
allemand) Espèce de grande bourse ou de petit bissac ordinairement de cuir
quelquefois couvert d'étoffe ; mais cette dernière sorte ne sert guère qu'aux bateleurs
et joueurs de gobelets pour les tours d'adresse dont ils amusent le public. M.
Eccar dérive ce mot, avec assez de vraisemblance, de l'allemand «shieben» :
cacher, serrer ; et de «becher» : gobelet ...».
D.J. L'Encyclopédie,
Paris, Briasson, 1751-1772
Diderot et l'Encyclopédie
Denis Diderot (1713-1784) :
philosophe des lumières, écrivain de talent, critique d'Art et de théâtre,
réalisa, avec d'Alembert, cette œuvre monumentale que fut L'Encyclopédie :
tableau synthétique des connaissances humaines à la veille de la Révolution.
La magie blanche devait y trouver
sa place ; et nous avons déjà vu (Magicus
n° 130) comment Diderot s'intéressa au «physicien» Comus (Lettres du 28
Juillet, 12 Août et 12 Sept. 1 762). J'ai également cité dans mon étude, L'Art du ventriloque, 2005, des passages
tirés de son article de L'Encyclopédie sur ce sujet, ainsi que de son petit
conte comique. Les Bijoux indiscrets,
1748.
Diderot s'entoura, pour son
ouvrage gigantesque, des meilleurs spécialistes de l'époque, comme Berthoud
pour l'horlogerie, AIlard pour la mécanique, de la Chapelle pour l'arithmétique
et la géométrie, Le Monnier pour l'aimant et l'électricité, Roux pour la
chimie, Schenau pour les miroirs, etc.
Mais son collaborateur le plus
passionné et le plus efficace fut le chevalier de Jaucourt qui l'assista, du
début à la fin de cette fabuleuse aventure, malgré les risques et les pressions
diverses exercées sur lui par l'Eglise et la noblesse la plus réactionnaire.
Le Chevalier de Jaucourt
Louis, chevalier de Jaucourt
(1704-1780) docteur en médecine et érudit, savant intègre et désintéressé, issu
d'une famille de la haute aristocratie, s'engagea à fond dans cette tâche
immense, faisant l'admiration de Voltaire, qui le définissait ainsi :
«Un homme, au-dessus des
philosophes de l'Antiquité, en ce qu'il a préféré la vraie philosophie et le travail
infatigable, à tous les avantages que pouvait lui procurer sa naissance ...». Dictionnaire de Diderot, Paris,
Champion, 1999.
Diderot, de son côté, lui rendit
homma
ge, en 1760 déclarant que jamais L'Encyclopédie
n'eût pu parvenir à son terme sans sa participation.
Pour notre part, on peut noter
que tous les articles consacrés à l'escamotage sont signés de son nom ou de ses
initiales : D.J.
Cet aristocrate distingué ne
jugea donc pas déchoir en expliquant ces « bagatelles » qu'il
estimait d'ailleurs très utiles «pour apprendre aux hommes à chercher les
causes de plusieurs choses qui leur paraissent fort surprenantes ...». Le
scientifique Auguste Lumière en revendiquera aussi plus tard cette valeur
pédagogique pour le développement de l'esprit critique.
Les tours de gobelets sont empruntés
au chapitre rajouté par Montucla, vers 1720, aux Récréations mathématiques d'Ozanam. De Jaucourt, comme Carlo
Antonio, en reprit les passes principales sans rien y apporter de neuf. Il
faudra attendre Guyot, en 1769, pour l'explication d'une nouvelle routine qu'il
attribuait à l'architecte allemand M. Kopp (l'extraordinaire manuscrit de J.
Brière-Dumartherey, rédigé en 1732, n'ayant malheureusement jamais été publié)
(cela a été réalisé depuis : https://academiedemagie.com/fr/nouveautes/3319-le-veritable-hocus-pocus-de-j-briere-dumartherey.html).
Mais, De Jaucourt révèle
cependant, dans une autre partie plus personnelle, six tours de cartes
nouveaux, non basés sur les mathématiques, et un tour d'escamotage avec des
jetons dont l'explication et le boniment laissent à penser qu'il pouvait être,
lui-même, un amateur averti.
Les mangeurs de feu
A partir du témoignage et d'un
mémoire de M. Dodart à l'Académie des sciences, mentionnant également le
bateleur M. Thoinard d'Orléans et une dame de la même ville, de Jaucourt
consacre un chapitre aux mangeurs de feu comme le Sieur Richardson, anglais,
qui étonna les Parisiens en 1677. (S.W. Clarke, dans Annals of conjuring, donne une autre relation antérieure, par
Evelyn, des exploits de ce bateleur, à Savile House, le 8 Octobre 1672) : «Richardson
faisoit rôtir une tranche de viande sur un charbon dans sa bouche, l'allumoit
avec un soufflet, et l'enflammoit par un mélange de poix, de résine et de
soufre ; ce qui produisoit le même frémissement que l'eau dans laquelle les
forgerons éteignent le fer. Et bientôt après il avaloit ce charbon enflammé. Il
ernpoignoit aussi un fer rouge dans sa main, etc.» (D.J. Article : Tours).
Cependant, contrairement à M.
Dodart, de Jaucourt propose quelques explications plausibles : « Le charbon
allumé m'étonne peu. Il n'est presque plus très chaud dès le moment qu'il est
éteint : l'Anglais pouvait alors l'avaler. Le soufre ne rend pas le charbon
plus ardent, il ne fait que le nourrir ; sa flamme brûle foiblement. Le
soufflet de cet Anglois industrieux soufflait apparemment plus sur sa langue
que sur le charbon. Le mélange de poix, de soufre et de résine n'est pas trop
chaud pour une bouche calleuse et abreuvée de salive ; et néanmoins la
petite tranche de viande se grilloit à merveille.
Le frémissement dans la bouche
n'était pas l'effet d'une extrême chaleur mais de l’incompatibilité du soufre allumé
avec la salive. Et cet Anglois devait présenter une conformation singulière
d'organes fortifiée par l'habitude, l'adresse et le tour de main ...».
Trucs divers et machines de théâtre
L'Encyclopédie de Diderot présente aussi plusieurs planches
d'appareils de physique, de mécanique ou d'optique, comme des vases truqués et
des lanternes magiques. On y découvre des grands trucs les plus variés, allant
de la volerie aux divers effets spéciaux habituels (On sait que Diderot était
passionné de théâtre), Les magiciens perfectionneront, simplifieront et adapteront
progressivement certaines de ces techniques pour leur spectacle de grande
illusion.
Ainsi, L'Encyclopédie de Diderot est donc un ouvrage tout à fait digne,
n'est-ii pas vrai ? de figurer dans la bibliographie de notre Art.
P.S. Ne pas confondre L'Encyclopédie de Diderot avec le Dictionnaire encyclopédique des amusements
des sciences mathématiques et physique, rédigé par Lacombe, et publié par
Panckouke, à Paris, en 1792 (Un vendeur, sans doute non averti, proposait, en
2005, ce dernier livre sur Internet, en l'attribuant à Diderot).
« Gibecière » est aussi
le titre d'une nouvelle revue historique de très grand intérêt, éditée par
William Kalush. Le n°1, hiver 2005, compte 137 pages in 8°, et m'a été
aimablement communiqué par Volker Huber qui y a publié un remarquable article
sur le « yawning mouth » (ou portefeuille à échanges) avec
d'extraordinaires reproductions en couleur de peintures et de gravures
représentant ce tour depuis le début du XVlème siècle. On y découvre d'autres
études aussi passionnantes, par Stephen Minch, Vanni Bossi, Robert Jütte et
Ricky Jay.
Site Internet du Conjuring Arts Research Center, www.gibeciere.com »
Voilà. C’est tout pour le moment. Amitiés à tous !