Georges
Perec.
Dans le cadre de mon projet de publier
un article chaque jour dans ce blog pour desennuyer les magiciens confinés, le
journal Magicus Magazine et son directeur de publication Didier Puech m'ont
autorisé d'une manière très généreuse à reproduire un ancien article
de leur journal du numéro 160 (mars-avril 2009). Un grand merci à eux pour leur
formidable action. Je rappelle que le journal Magicus Magazine en est à présent
à son 221 ème numéro. Tous
les numéros sont passionnants. Abonnez-vous donc au Magicus Magazine : pour l’instant et ce jusqu’au 1 juillet 2020, vous
pouvez bénéficier d’un tarif préférentiel de 50 euros qui est celui des
étudiants, au lieu de 70 (en indiquant juste
« JF ») ; commandez les anciens numéros dont par
exemple ce numéro 160 dont j’ai extrait cet article « Du « fakir » de Queneau à
la « disparition » de Perec » écrit par Fanch
Guillemin.
« Du «fakir» de Queneau à la «disparition» de Pérec
«Les livres de Queneau sont des
féeries ambiguës d'une apparente gratuité, avec leurs jeux funambulesques de
fakirs, de montreurs de foire, de clowns et d'illusionnistes...» Albert Camus :
Critique de Pierrot mon ami. N.R.F.
Le chiromancien
Raymond Queneau (1903-1976), de
l'Académie Goncourt, est surtout connu pour son burlesque Zazie dans le métro, 1956. Humoriste aimant jouer du
langage populaire, il s'intéressa au monde de la foire et aux Arts de
l'Illusion grâce aux livres de Robert-Houdin et à celui de Robelly : Trucs et grands trucs, Brive, 1936. Il révéla
d'ailleurs dans le Nouveau Fémina de
1954, le secret du joli tour de magie blanche : les anneaux de Möbius.
En juin 1940, replié vers le Sud
de la France avec son régiment, devant l'avancée foudroyante des Allemands :
«Les Huns piquant des deux arrivèrent à Troyes quatre à quatre ...». Queneau
fit, avec talent, le chiromancien près de provinciales naïves, pour se divertir
et améliorer son ordinaire.
Démobilisé à Paris, il publia en
1942, Pierrot mon ami, roman à succès
s'inspirant des « détective novels» américains, et de ses nombreuses enquêtes
dans l'univers du Luna-Park.
Le fakir Crouïa-Bey
«Dans tout l'Uni Park, il y avait
cette rumeur de foule qui s'amuse et cette clameur de charlatans et tabarins
qui rusent et ce grondement d'objets qui s'usent.
Le fakir Crouïa-Bey devait
s'exhiber dans la baraque récemment occupée par l'Homme-Aquarium* et antérieurement
par la Pithécantrhropesse et le prestidigitateur Turlupin ...
- Tu sais que ce fakir est fameux
! s'exclama Léonie.
- Sans ça je ne l'aurais pas
engagé, fit Tortose. D'ailleurs, il ne faut pas que tu aies d'illusions, tu
sais, les fakirs c'est rudement démodé ...
- Moi je trouve ça épatant ces
types qui s'enfoncent des épingles longues comme ça dans le gosier. Ça donne
une riche idée des capacités de l'homme. Moi je trouve.
- Peuh. Tous leurs trucs sont
débinés maintenant. Dans les music-halls on n'en veut plus ... Et tiens, le
voilà justement ton fakir ...
Et il dégote vraiment,
Crouïa-Bey. Il a des yeux de braise, une barbe de sapeur, des .lèvres de corail
: Ah qu'il est beau ! Ah qu'il est beau !
- Je parie, lui dit Léonie, que
vous connaissez Hèle-Bey : c'est un fakir célèbre, natif de Rueil et prénommé
Victor.
- Moi ? S'écria Crouïa-Bey,
jamais de la vie, chère madame ! Hélem-Bey ? Un fumiste qui gâche le métier.
Pour ma part, je n'ai jamais été en rapport qu'avec les vrais.
- Bah, dit Léonie, il y en a donc
des vrais ? Où ça ?
- Ici même tout d'abord. Vous
n'avez qu'à me regarder.
- Et de quel bled vous êtes,
monsieur Crouïa-Bey
- De Tatahouine, dans le Sud
Tunisien. Ah ! Tatahouine, agi ména, fiça l'arbiya, chouïa barka…
- Blague dans le coin fit Léonie,
je parie que vous êtes de Bezons : je reconnais ça à votre accent. Vous ne
seriez pas le frère de Jojo Mouilleminche qui chantait à l'Européen ?
- Ah bon ! Vous connaissez donc
mon frère ... Mais c'est tout de même vrai que j'ai fait mon service militaire
dans les zouaves en Algérie où j'ai été formé par un vrai fakir local ...
- Et vous faites aussi de la
double-vue, monsieur Sidi Mouilleminche ?
- Non. Vous savez aussi bien que
moi que la double-vue c'est du chiqué ... Moi, ce que je fais c'est du solide,
du concret, du réel : les sabres, les épingles à chapeau, les planches à clous
verre pilé, les charbons ardents. Je lèche une barre de fer chauffée à blanc ;
et pas de trucage avec moi ...». Pierrot
mon ami.
De Queneau à Pérec
Notre lunaire ami Pierrot est
embauché par Crouïa-Bey comme assistant, puis au cirque Mamar, après l'incendie
mystérieux de l'Uni-Park provoqué, selon une hypothèse extravagante, par un
ventriloque psychopathe manipulant le cadavre truqué et monté roulettes, d'une
vieille dame !!
De son côté, Georges Pérec
(1936-1982), Prix Renaudot 1965 et Médicis 1978, virtuose de la jonglerie
littéraire et concepteur de mots croisés, connaîtra la notoriété par son roman.
La Disparition, dans lequel
n'apparaît jamais la lettre «e», pourtant la plus utilisée habituellement.
Exemple : «Trois cardinaux, un
rabbin, un animal franc-maçon sur son vingt-huit plus trois, un trio
d'insignifiants politicards soumis au plaisir d'un trust anglo-saxon, ont fait
savoir à la population par radio, puis par placards, qu’on risquait la mort par
inanition ...».
Des profanes non avertis, et même
un critique littéraire peu attentif, lurent ce livre sacs rendre compte que la
lettre «e» n'y figure pas : l'intrigue policière masquant cette «disparition» par
une magistrale «misdirectiion ». A l'inverse, dans Les Revenentes, Pérec s’amuse à n'utiliser que la voyelle «e»,
évitant tous les a, i, o, u, y.
Exemple : «Thérèse se dévêt
prestement et se renverse. Le père Spencer enlève ses bretelles s'empresse de
s'étendre près d'elle. Et le révérend pénètre lentement cette femelle rêveuse
et entreprend de l'ensemencer, etc.».
A noter qu'un mentaliste français contemporain a conçu un double book test, dont un des volumes ne comporte pas la voyelle "e" et l'autre n'utilise que la voyelle "e" ! (Tandem).
Enfin, dans La vie mode d'emploi, livre dédié à Queneau, Perec met aussi en
scène des magiciens :
Joy et Hiéronimus
«L'Américain déserteur Blunt
Stanley et la voyante danoise Ingeborg Skifter décrochèrent un engagement
miteux dans un cinéma : entre les documentaires et le grand film. Un rideau à
paillettes recouvrait l'écran, et un haut-parleur annonçait Joy et Hiéronimus :
les célèbres devins du Nouveau Monde.
Leur premier numéro exploitait deux trucs
classiques des magiciens de fête foraine : Blunt, en fakir, devinait diverses
choses à partir de chiffres apparemment choisis au hasard. Quand à Ingeborg,
elle éraflait avec une plume d'acier la gélatine d'une plaque photographique représentant
Blunt; et une balafre sanglante identique apparaissait sur le corps de son
partenaire ...
Ils montèrent ensuite un numéro de fantasmagorie avec apparition
de démons et de l'Illuminé Swedenborg par des jeux de miroirs, de fumée à base
de charbon, soufre et salpêtre, et une mise en scène sonore, qui rencontra le
succès en Asie, aux U.S.A., puis en Europe. Le réglage des lumières, le dosage
des flammes, les effets de tonnerre, le déclenchement des pastilles de ferrocérium
produisant à distance des étincelles, le maniement de la limaille de fer et des
aimants, toutes ces techniques de trucages furent perfectionnées ...».
G. Perec : La vie mode d'emploi. »
Voilà. C’est tout pour le moment.
Amitiés à tous !
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