Charles Barbier, un des plus grands mnémotechniciens français du vingtième siècle, le maître de Benoît Rosemont
Sur la mémoire et la mnémotechnie,
compte rendu du livre
de Benoît Rosemont
Je vais poursuivre dans cet article mon
exposé sur la théorie de la mémoire. Je proposerai en outre un exercice
pratique pour faire travailler nos neurones (les vôtres et les miens) pendant
plusieurs mois (souvenez-vous que la mémoire est comme un muscle qui se
développe en étant entraîné !).
Sera traité aujourd’hui le chapitre 3 de
l’ouvrage de Benoît Rosemont : « Comment
fonctionne la mémoire ».
Dans ce
chapitre du Mémento de la mémoire : Améliorez votre mémoire au quotidien, Benoît Rosemont décrit deux
grands principes de fonctionnement de la mémoire : la mémoire à court
terme, dite mémoire de travail, et la mémoire à long terme.
La mémoire à court terme peut travailler de
quelques secondes jusqu’à presque deux minutes. C’est par ce filtre que
passent toutes les informations que nous recevons de nos sens. Les informations
recueillies sont d’abord comparées dans cette mémoire de travail avec celles
stockées dans les différents niveaux de la mémoire à long terme. Ainsi notre
cerveau fait sans cesse des va-et-vient entre notre mémoire à court terme et
notre mémoire à long terme.
Cette dernière est organisée en trois
grandes catégories :
─ La mémoire épisodique, qui est liée aux différents épisodes de la vie
─ La mémoire procédurale, qui regroupe tous nos automatismes
─ la mémoire sémantique qui est notre réservoir de connaissances et est liée à
la maîtrise des mots et du langage.
Si l’on veut entériner solidement à long
terme des informations, sachez qu’il existe des cycles d’apprentissage qui sont
spécifiques à chaque personne. En résumé, pour qu’une information soit ancrée
dans notre mémoire, comme un poème par exemple, il faudrait le réciter une
heure après l’avoir appris de manière approfondie, puis le lendemain, ensuite après trois jours, une semaine, deux semaines, un mois, un semestre et ainsi de
suite en espaçant peu à peu les phases de rappel.
Justement, prenons le taureau par les
cornes et effectuons cet exercice. Pensez à un auteur de poésies qui vous fascine
et choisissez un poème de lui sur lequel vous pensez pouvoir travailler pendant
longtemps (vous le trouverez sans peine sur Internet). Pour pouvoir échanger
avec vous par la suite, je vais moi aussi réaliser en direct cette expérience !
Je choisis d’instinct, sans réfléchir, « Chacun
sa chimère » des Petits poèmes
en prose de Baudelaire, une pièce que j’adore mais que je ne connais pas du
tout par cœur. Maintenant, faites comme moi : apprenez votre texte pendant
le temps que vous désirez ou pendant la période qui vous est nécessaire, puis
récitez-le pour vous-même une heure après. Peu importe que votre restitution ne
soit pas tout à fait exacte, qu’il manque des morceaux, que vous n’arriviez pas
jusqu’à la fin… L’important est de se contraindre à suivre les exercices, en
respectant chaque phase. Et dites-vous, pour vous consoler, que ce sera certainement
mieux la prochaine fois ! Observez ensuite toutes les instructions que j’ai détaillées :
dites à voix haute votre poème dès le lendemain, puis trois jours après, une
semaine après, etc. Vous serez étonné par le résultat, seulement au bout d’un
mois (un des grands principes de la mémoire, et l’on n’en parle jamais assez,
est la répétition, qui fait des miracles).
Dans la démarche de mémorisation, on peut
distinguer deux actions distinctes qui fonctionnent en alternance :
l’encodage et la restitution des informations. Il s’agit, comme souvent en
matière de mémoire et de mnémotechnie, de notions très anciennes. Les ouvrages
du seizième siècle décrivent ces actions, mais sous les noms de « mouvement »
et de « réminiscence » et Aristote (quatrième siècle avant notre ère)
avait établi le distinguo « codage-récupération ».
L’encodage
est le moment pendant lequel vous codez ce que vous voulez mémoriser. Il
faut créer un lien, c’est-à-dire
transformer ce dont vous voulez vous souvenir en image et le lier à un crochet.
Cette phase est sans doute la plus importante car, si elle échoue, la seconde
étape, la restitution, sera impossible. Le crochet joue le même rôle que le
traditionnel nœud dans le mouchoir. Il n’existe que pour servir de point de
départ, pour nous aider à nous souvenir.
Mais la différence, c’est que le nœud
vous rappelle juste que vous devez penser à quelque chose, sans donner
d’indication sur la nature du souvenir. Le crochet en mnémotechnie est une
image fixe, immuable, évidente qui vous servira de guide, de fil rouge pour
retrouver ce que vous avez enfoui dans votre mémoire.
La
restitution ensuite est la phase dans laquelle vous allez rappeler à la
conscience les choses encodées. Il s’agit de partir de votre crochet, cette
image fixe que vous connaissez à coup sûr, afin de voir ce que vous y avez
accroché. C’est un peu comme un fil d’Ariane que l’on suit jusqu’au cœur de sa mémoire.
Mais une manière plus sûre de retrouver les informations, c’est d’avoir
plusieurs fils, c’est-à-dire de multiplier les liens entre les informations.
C’est là que, entre autres, les sens rentrent en action.
L’utilisation de nos sens est l’une des clés
de notre mémoire. L’ensemble de nos goûts, de nos préférences est le produit
d’une longue histoire sensorielle et notre corps tout entier est source de
mémoire. Ainsi la madeleine de Proust rappelle à l’écrivain de nombreux
souvenirs, il revit grâce à elle, spontanément, sans effort, une très grande
partie de son passé (sens du goût et de l’odorat). Les enfants apprennent leurs
tables de multiplication en chantonnant (sens de l’audition). Certains
comédiens lient l’apprentissage d’un texte à leur gestuelle, au déplacement (sens
kinesthésique), etc. Il faut donc constamment avoir cette idée en tête :
plus on multiplie les signaux liés à nos différents sens, plus on encourage le
passage des souvenirs dans la mémoire à long terme.
Voilà. C’est tout pour aujourd’hui.
Excusez-moi d’avoir été si long. Mais, comme je suis passionné par le sujet, je
me laisse parfois emporter par mon élan. La prochaine fois, je parlerai du rôle
déterminant de l’image en mnémotechnie et je développerai un certain nombre de
règles essentielles pour bien mémoriser.