dimanche 5 avril 2015

Comment fonctionne la mémoire, jour 2



Charles Barbier, un des plus grands mnémotechniciens français du vingtième siècle, le maître de Benoît Rosemont



Jour 2

Sur la mémoire et la mnémotechnie,
compte rendu du livre
de Benoît Rosemont


Je vais poursuivre dans cet article mon exposé sur la théorie de la mémoire. Je proposerai en outre un exercice pratique pour faire travailler nos neurones (les vôtres et les miens) pendant plusieurs mois (souvenez-vous que la mémoire est comme un muscle qui se développe en étant entraîné !).
Sera traité aujourd’hui le chapitre 3 de l’ouvrage de Benoît Rosemont : « Comment fonctionne la mémoire ».

Dans ce chapitre du Mémento de la mémoire : Améliorez votre mémoire au quotidien, Benoît Rosemont décrit deux grands principes de fonctionnement de la mémoire : la mémoire à court terme, dite mémoire de travail, et la mémoire à long terme.
La mémoire à court terme peut travailler de quelques secondes jusqu’à presque deux minutes. C’est par ce filtre que passent toutes les informations que nous recevons de nos sens. Les informations recueillies sont d’abord comparées dans cette mémoire de travail avec celles stockées dans les différents niveaux de la mémoire à long terme. Ainsi notre cerveau fait sans cesse des va-et-vient entre notre mémoire à court terme et notre mémoire à long terme.
Cette dernière est organisée en trois grandes catégories :
─ La mémoire épisodique, qui est liée aux différents épisodes de la vie
─ La mémoire procédurale, qui regroupe tous nos automatismes
─ la mémoire sémantique qui est notre réservoir de connaissances et est liée à la maîtrise des mots et du langage.

Si l’on veut entériner solidement à long terme des informations, sachez qu’il existe des cycles d’apprentissage qui sont spécifiques à chaque personne. En résumé, pour qu’une information soit ancrée dans notre mémoire, comme un poème par exemple, il faudrait le réciter une heure après l’avoir appris de manière approfondie, puis le lendemain, ensuite après trois jours, une semaine, deux semaines, un mois, un semestre et ainsi de suite en espaçant peu à peu les phases de rappel.

Justement, prenons le taureau par les cornes et effectuons cet exercice. Pensez à un auteur de poésies qui vous fascine et choisissez un poème de lui sur lequel vous pensez pouvoir travailler pendant longtemps (vous le trouverez sans peine sur Internet). Pour pouvoir échanger avec vous par la suite, je vais moi aussi réaliser en direct cette expérience ! Je choisis d’instinct, sans réfléchir, « Chacun sa chimère » des Petits poèmes en prose de Baudelaire, une pièce que j’adore mais que je ne connais pas du tout par cœur. Maintenant, faites comme moi : apprenez votre texte pendant le temps que vous désirez ou pendant la période qui vous est nécessaire, puis récitez-le pour vous-même une heure après. Peu importe que votre restitution ne soit pas tout à fait exacte, qu’il manque des morceaux, que vous n’arriviez pas jusqu’à la fin… L’important est de se contraindre à suivre les exercices, en respectant chaque phase. Et dites-vous, pour vous consoler, que ce sera certainement mieux la prochaine fois ! Observez ensuite toutes les instructions que j’ai détaillées : dites à voix haute votre poème dès le lendemain, puis trois jours après, une semaine après, etc. Vous serez étonné par le résultat, seulement au bout d’un mois (un des grands principes de la mémoire, et l’on n’en parle jamais assez, est la répétition, qui fait des miracles).

Dans la démarche de mémorisation, on peut distinguer deux actions distinctes qui fonctionnent en alternance : l’encodage et la restitution des informations. Il s’agit, comme souvent en matière de mémoire et de mnémotechnie, de notions très anciennes. Les ouvrages du seizième siècle décrivent ces actions, mais sous les noms de « mouvement » et de « réminiscence » et Aristote (quatrième siècle avant notre ère) avait établi le distinguo « codage-récupération ».

L’encodage est le moment pendant lequel vous codez ce que vous voulez mémoriser. Il faut créer un lien, c’est-à-dire transformer ce dont vous voulez vous souvenir en image et le lier à un crochet. Cette phase est sans doute la plus importante car, si elle échoue, la seconde étape, la restitution, sera impossible. Le crochet joue le même rôle que le traditionnel nœud dans le mouchoir. Il n’existe que pour servir de point de départ, pour nous aider à nous souvenir.

Mais la différence, c’est que le nœud vous rappelle juste que vous devez penser à quelque chose, sans donner d’indication sur la nature du souvenir. Le crochet en mnémotechnie est une image fixe, immuable, évidente qui vous servira de guide, de fil rouge pour retrouver ce que vous avez enfoui dans votre mémoire.

La restitution ensuite est la phase dans laquelle vous allez rappeler à la conscience les choses encodées. Il s’agit de partir de votre crochet, cette image fixe que vous connaissez à coup sûr, afin de voir ce que vous y avez accroché. C’est un peu comme un fil d’Ariane que l’on suit jusqu’au cœur de sa mémoire. Mais une manière plus sûre de retrouver les informations, c’est d’avoir plusieurs fils, c’est-à-dire de multiplier les liens entre les informations. C’est là que, entre autres, les sens rentrent en action.

L’utilisation de nos sens est l’une des clés de notre mémoire. L’ensemble de nos goûts, de nos préférences est le produit d’une longue histoire sensorielle et notre corps tout entier est source de mémoire. Ainsi la madeleine de Proust rappelle à l’écrivain de nombreux souvenirs, il revit grâce à elle, spontanément, sans effort, une très grande partie de son passé (sens du goût et de l’odorat). Les enfants apprennent leurs tables de multiplication en chantonnant (sens de l’audition). Certains comédiens lient l’apprentissage d’un texte à leur gestuelle, au déplacement (sens kinesthésique), etc. Il faut donc constamment avoir cette idée en tête : plus on multiplie les signaux liés à nos différents sens, plus on encourage le passage des souvenirs dans la mémoire à long terme.


Voilà. C’est tout pour aujourd’hui. Excusez-moi d’avoir été si long. Mais, comme je suis passionné par le sujet, je me laisse parfois emporter par mon élan. La prochaine fois, je parlerai du rôle déterminant de l’image en mnémotechnie et je développerai un certain nombre de règles essentielles pour bien mémoriser.