mardi 30 mai 2017

Compte rendu de « La chambre de mémoire » de Lina Bolzoni (première partie).



Le livre en question.



Introduction.

Une riche tradition d'études — de Paolo Rossi à Frances Yates et à Mary Carruthers (Clavis Universalis de Paolo Rossi, 1960, L’art de la mémoire de Frances Yates, 1966, Le livre de la mémoire, la mémoire dans la culture médiévale de Mary Carruthers, 1990) — a redécouvert l'art de la mémoire et a montré le rôle qu'elle a joué durant des siècles dans le contexte culturel européen. Il s'agit d'une histoire de longue durée, faite d'un jeu fascinant de continuité, de variations et de différences. Le monde classique transmet au Moyen Âge les techniques auxquelles les orateurs avaient recours pour renforcer la mémoire. Fondées sur l'observation du fonctionnement naturel de l'esprit, elles utilisent trois éléments essentiels : les lieux (loci), l'ordre, les images (imagines agentes). Il s'agira, en effet, de fixer dans l'esprit un parcours précis de lieux ; dans chacun de ces lieux se placera une image qui, par le biais du jeu des associations, sera reliée aux choses dont il faut se souvenir. Au moment voulu, celui qui pratique l’art de la mémoire parcourra de nouveau et idéalement les « lieux » ; il y retrouvera les images ; celles-ci mettront en mouvement le jeu des associations et pourront restituer ainsi les souvenirs qui leur ont été confiés. Il y a une mémoire des choses, des concepts (memoria rerum) et une mémoire des mots (memoria verborum) ; on parle d'art de la mémoire, ou de mémoire artificielle, ou de mémoire locale (en référence justement aux «lieux »).

Ces techniques de base sont très anciennes ; le monde chrétien les hérite du monde païen et les transforme selon ses propres exigences, les chargeant d'un sens moral et dévotionnel ; au XVI' siècle l'art de la mémoire est à son apogée, faisant partie d'une recherche complexe qui vise à repenser l'encyclopédie, à s'emparer d'une clef universelle d'accès au savoir.

Cet ouvrage a l'intention de déplacer le niveau traditionnel de l'analyse : il s'intéresse aux pratiques liées à la mémoire, et non pas aux traités de l'art de la mémoire ; il cherche à reconstruire un niveau moyen de convictions et de techniques ; il ne s'occupe donc pas des grands théoriciens de la mémoire, de ceux qui, comme Giulio Camillo et Giordano Bruno, reprennent et renouvellent à la fois la tradition de manière créative. Si cet ouvrage part d'ailleurs du théâtre de Camillo, il entend ramener à la lumière un riche ensemble de pratiques, d'expériences et d'utilisations de la mémoire qui constitue aussi les prémisses de la recherche hardie de Bruno.

Tout cela se fonde sur deux convictions : la première est que les traités de l'art de la mémoire ne sont que la pointe d'un iceberg et que leurs préceptes — souvent arides et répétitifs —ne sont que la scénographie d'un spectacle qui se déroule sur plusieurs dimensions. Nous, nous les avons utilisés uniquement comme stimulus à reparcourir ces territoires où les techniques de la mémoire interagissent avec différentes expériences : avec la littérature, avec la traduction de mots en images et d'images en mots, avec l'expérimentation sur l'imaginaire.

La seconde conviction concerne les transformations qui accompagnent le développement de l'imprimerie. C'est grâce à la diffusion du livre que l’on peut parler de culture moyenne et qu’il se crée un ensemble diffus d’idées et de pratiques où, par exemple, les différentes théories médicales et philosophiques sur la mémoire cohabitent et, surtout, sont utilisées.

Voilà. C’est tout pour le moment. Amitiés à tous