Ralph Hefferline.
La conception erronée de
l'opposition « infantile/mature » dans Gestalt thérapie de Frederic Perls, Paul Goodman et Ralph Hefferline.
On a l'habitude de considérer le
besoin, le ressenti, comme « infantiles », quelque chose du passé. Freud, nous
l'avons vu va même jusqu'à dire que non seulement certains besoins, mais aussi
tout un mode de pensée, le « processus primaire », sont infantiles et
nécessairement refoulés. La plupart des théoriciens considèrent certains
besoins sexuels et certaines attitudes interpersonnelles comme infantiles et
immatures.
Dans notre perspective, aucun désir persistant ne peut être considéré
comme infantile ou illusoire. Supposons, par exemple, qu'il y ait un besoin «
infantile » d'être pris en charge par une infirmière « qui se sacrifie ».
Inutile de préciser que ce désir représente un cramponnement à la mère. Mais
nous devons plutôt dire que le désir s'affirme, que c'est l'image et le nom de
« mère » qui sont impossibles et donc non exprimés. Au contraire, le désir est
désormais suffisamment en sécurité et probablement
susceptible de trouver une satisfaction d'une façon ou d'une autre.
(Peut-être : « Prenez soin de vous, pour changer, arrêtez d'essayer d'aider
tout le monde. ») Ce n'est pas le but de la thérapie de dissuader le patient de
certains de ses désirs. Nous devons même ajouter que si, dans le présent, le
besoin ne peut pas être satisfait, et qu'il n'est donc pas véritablement
satisfait, tout le processus de tension et de frustration recommencera et
l'individu, ou bien réprimera une nouvelle fois sa prise de conscience et
succombera à la névrose, ou bien, comme c'est le plus probable, il se connaîtra
lui-même et souffrira jusqu'à ce qu'il puisse créer un changement dans son
environnement.
Concernant l'importance qu'il y
aurait à retrouver des souvenirs infantiles, il est possible d’ ébaucher une
réponse plus étoffée. Nous avons dit que la remémoration de la scène passée
n'était pas nécessaire, que c'était, au plus, une indication importante pour
découvrir la signification du ressenti et que même ainsi on pouvait s'en
passer. Est-ce que peut découler de cela, comme l'affirme Horney par exemple,
que la remémoration de l'enfance n'occupe pas une position privilégiée dans la
psychothérapie ? Non. Car si nous pensons que le contenu de la scène retrouvée
n'est pas très important, nous considérons que le ressenti et l'attitude
infantiles vécus dans la scène sont, par contre, de la plus haute importance.
Les ressentis de l'enfance sont importants non parce qu'ils constituent un
passé qu'il faudrait défaire, mais parce qu'ils constituent certains des plus
merveilleux pouvoirs de la vie adulte qu'il s'agit de recouvrer: la
spontanéité, l'imagination, le caractère direct de la conscience et de la
manipulation. Ce qu'il faut, comme l'a dit Schachtel, c'est retrouver la
manière qu'avait l'enfant de faire l'expérience du monde. C'est libérer, non
pas la biographie factuelle, mais le « processus primaire de pensée ».
Rien n'est plus malheureux que de
voir qu'actuellement on utilise sans discrimination les mots « infantile » et «
mature ». Même lorsqu'on ne considère pas qu'une « attitude infantile » de
l'enfant lui-même est mauvaise, on désapprouve ses caractéristiques en bloc
durant la « maturité », sans discriminer ce qui naturellement est abandonné avec
le temps et qui ne fait de toute façon aucune différence, de ce qui devrait
persister mais est réprimé chez la plupart des adultes. La « maturité »,
précisément parmi ceux qui prétendent s'intéresser à la « libre personnalité »,
est conçue dans l’intérêt d’un ajustement inutilement étroit à une société
routinière, à la valeur douteuse, et conditionnée à payer ses dettes et à
remplir ses devoirs.
Voilà. C’est tout pour le moment.
Amitiés à tous.