Ben Pridmore, trois fois champion du monde de mémoire.
Récemment est paru en livre de
poche L’art et la science de se souvenir de tout qui est en fait le même livre que l’ouvrage en grand format Aventures au cœur de la mémoire (tous
les deux la traduction de Moonwalking with Einstein).
Aventures au cœur de la mémoire est un livre référence dans le
monde de la mémoire. Il y est question de l’histoire de la mémoire et de la
mnémotechnie, de la naissance des Mémoriades, les Championnats du monde de
mémoire, en 1991, mais surtout de la manière dont un journaliste indépendant,
Joshua Foer, est devenu champion de mémoire des États-Unis en 2006 alors qu’il
ne savait même pas ce qu’était une technique de mémorisation un an auparavant !
Voici comment l’auteur raconte sa
découverte de l’univers des champions de mémoire et notamment du champion Ben
Pridmore (lire de celui-ci Comment être génial avec sa mémoire).
Son histoire commence par une recherche
naïve sur Google pour trouver « l’homme le plus intelligent du monde »
qui lui procure bien des réponses farfelues.
«Cependant, dit-il, au milieu des
réponses que Google apportait à mes requêtes, je tombai sur un personnage tout
à fait étonnant qui, s'il n'était pas l'homme le plus intelligent du monde,
était tout de même une sorte de génie insolite. Il s'appelait Ben Pridmore et
avait la capacité de mémoriser en une heure l'ordre exact d'une série de mille
cinq cent vingt-huit chiffres. Il pouvait aussi mémoriser— précision pour ceux
que les arts émeuvent davantage que les nombres — n'importe quel poème qui lui
était soumis. Il détenait le titre de champion du monde de mémorisation.
Les jours suivants, je ne cessai
de repenser à Ben Pridmore. Ma propre mémoire me paraissait plus que moyenne.
J'oubliais régulièrement un tas de choses : l'endroit où j'avais laissé les clés
de ma voiture (voire, d'ailleurs, où j'avais garé celle-ci) ; le plat dans le
four ; le fait qu'on écrit « s'il » et pas « si il » ; l'anniversaire de ma
copine, la date anniversaire de notre rencontre et la Saint-Valentin ; la
faible hauteur de la porte d'accès à la cave chez mes parents (aïe) ; les
numéros de téléphone de mes amis ; pourquoi je venais juste d'ouvrir le frigo
ou de recharger mon téléphone portable ; le nom du chef de cabinet du président
Bush ; l'ordre des aires de repos du New Jersey Turnpike ; en quelle année les
Redskins avaient remporté le Super Bowl pour la dernière fois ; de baisser la
lunette des toilettes.
Ben Pridmore, lui, était capable
de mémoriser en trente-deux secondes l'ordre précis d'un jeu de cartes
mélangées. En cinq minutes, son cerveau enregistrait une fois pour toutes les
événements historiques attachés à quatre-vingt-seize dates. Le bonhomme
connaissait aussi cinquante mille décimales de pi. Comment ne pas l'envier ?
J'avais lu quelque part que l'individu moyen gaspille environ quarante jours
par an à rattraper les trucs qu'il a oubliés. Nonobstant le fait que Ben
Pridmore était temporairement au chômage, quel n'était pas son avantage sur le
commun des mortels en termes de productivité ?!
Chaque jour, semble-t-il, apporte
son lot de choses dont il faut tenter de se souvenir : toujours plus de noms,
de mots de passe, de rendez-vous. Avec une mémoire comme celle de Ben Pridmore,
pensai-je, la vie devait être qualitativement différente — meilleure. Dans
notre monde moderne, nous recevons un flot ininterrompu de nouvelles
informations. La plupart d'entre elles entrent par une oreille pour ressortir
aussitôt par l'autre ; nos cerveaux n'en retiennent qu'une infime partie. Si
nous ne lisions des livres que pour engranger des connaissances, la lecture
serait sans doute la plus infructueuse de toutes mes activités. Je passe
souvent une demi-douzaine d'heures à lire un livre pour ne conserver après coup
qu'une vague notion de son contenu. Ses informations, ses anecdotes, même les
plus intéressantes (celles qui auraient mérité d'être soulignées sur la page),
font brièvement impression sur mon esprit — et puis elles s'évaporent. Il y a
des livres, sur mes étagères, dont je ne me souviens même pas si je les ai lus.
Quel homme aurais-je été, me
demandai-je, si j'avais eu tout ce savoir perdu à disposition dans la tête ? Je
ne pouvais m'empêcher de penser que j'aurais été plus persuasif, plus confiant
et, de manière générale, plus intelligent. J'aurais assurément été un meilleur
journaliste, mais aussi un meilleur ami et petit ami. J'imaginais par-dessus
tout que, possédant une mémoire comme celle de Ben Pridmore, j'aurais été plus
attentif et réceptif aux choses, peut-être même plus sage. Si l'expérience est
la somme de nos souvenirs et la sagesse le fruit de l'expérience, avoir une
meilleure mémoire m'aurait apporté une meilleure connaissance non seulement du
monde, mais aussi de moi-même. Bien sûr, la tendance à l'oubli qui nous afflige
est en partie saine et nécessaire. Si je n'avais pas oublié un grand nombre des
bêtises que j'ai faites dans ma vie, je serais sans doute insupportablement
névrosé. Mais combien d'idées précieuses n'avais-je pas eues, pensai-je encore,
combien de prises de conscience importantes ne s'étaient pas produites dans ma
cervelle à cause des lacunes de ma mémoire ?
Dans une interview, Ben Pridmore
avait dit un truc qui m'avait frappé — qui m'obligeait à m'interroger sur les
différences susceptibles d'exister entre sa mémoire et la mienne : « C'est
avant tout une question de technique et de compréhension du fonctionnement de
la mémoire, avait-il déclaré au journaliste. À vrai dire, tout le monde peut
faire la même chose que moi. »
Voilà. C’est tout pour
aujourd’hui. Amitiés à tous.