mardi 8 novembre 2016

« Vie de Marcel Proust » dans « Atteindre l’excellence » de Robert Greene, chapitre 6, cinquième partie.



A l'ombre des jeunes filles en fleur, le deuxième tome d'A la recherche du temps perdu


Je n’ai jamais vu de description de l’existence de Marcel Proust aussi exacte et aussi parlante que celle de Robert Greene dans son livre Atteindre l’excellence. Cet article est la suite de celui-ci.

Après le décès de ses parents, Marcel Proust resta pendant quelques mois à l’écart de la vie mondaine et, quand il fit le point de ce qu’avait été sa vie, il y observa une ligne directrice qui le réconforta un peu. Pour compenser sa fragilité physique, il s’était adonné à la lecture et avait ainsi découvert l’œuvre de sa vie. Depuis vingt ans, il avait accumulé une connaissance immense de la société française ; il avait en tête un fourmillement incroyable de personnages réels appartenant à toutes les classes sociales. Il avait écrit des milliers de pages, dont un roman raté, quelques articles de journaux et un certain nombre d’essais. En prenant Ruskin comme mentor et en traduisant ses œuvres, il avait développé son sens de la discipline et de l’organisation. Depuis longtemps, il considérait la vie comme une école dans laquelle on  découvre progressivement comment fonctionne le monde. L’apprentissage enseigne à certains comment déchiffrer les signes du temps et tenir compte de ses leçons, cela les épanouit. D’autres n’y arrivent pas. Pendant vingt ans, Marcel Proust s’était passionné pour l’écriture et la nature humaine, ce qui l’avait déjà profondément marqué. Malgré sa santé et ses échecs, il n’avait jamais abandonné. C’était peut-être un signe, un clin d’œil du destin. Tous ses échecs avaient un sens s’il apprenait à les exploiter. Il n’avait pas perdu son temps.

Ce dont il avait besoin, c’était de faire fructifier ses connaissances, c’est-à-dire remettre sur le métier le roman qui lui échappait sans cesse. Il n’avait toujours aucune idée de ce qu’en serait l’histoire et ne savait pas qui serait le narrateur. Tout le « matériel » dont il avait besoin était dans sa tête. Désormais seul, il ne pouvait pas faire revenir sa mère, son enfance, ni sa jeunesse ; mais il pouvait les faire revivre dans le bureau de l’appartement où il se terrait. Il suffisait qu’il se mette au travail. Quelque chose finirait par en sortir.

Pendant l’automne 1908, il acheta une dizaine de carnets d’écolier et se mit à les couvrir de notes. Il écrivit des passages sur l’esthétique, fit des portraits de personnages, ressuscita des souvenirs d’enfance. Tandis qu’il s’abîmait dans ce labeur, il se sentit changer. Quelque chose s’était débloqué, il ignorait d’où cela venait, mais une voix se faisait entendre, la sienne, qui serait celle du narrateur. L’histoire serait celle d’un jeune homme attaché de façon névrotique à sa mère et incapable de forger sa propre identité. Il veut devenir écrivain, mais n’arrive pas à décider ce qu’il croit écrire. En grandissant, il découvre deux milieux, celui de l’aristocratie terrienne et celui des artistes bohèmes. Il dissèque la personnalité des gens qu’il croise et analyse l’essence de leur tempérament cachée sous leur personnage mondain. Il a plusieurs aventures sentimentales qui le consument de jalousie. Au terme de nombreuses aventures et en dépit d’un sentiment insidieux d’échec, il avance dans la vie et découvre à la fin du roman ce qu’il souhaitait écrire : le présent ouvrage.

Le roman s’appellerait A la recherche du temps perdu et constituerait une autobiographie, mettant en scène tous les gens que Proust connaissait, sous des noms d’emprunt. Au fil de la narration, il écrirait l’histoire contemporaine de la France depuis le jour de sa naissance jusqu’à celui du point final du livre. Il offrirait un portrait de la société dans son ensemble. L’auteur serait l’entomologiste découvrant les lois qui gouvernent le comportement de tous les habitants de la fourmilière. La tâche était immense et le seul souci de Proust était sa santé. Vivrait-il assez longtemps pour aller au bout de son projet ?

Après plusieurs années, il vint à bout de la première partie de son ouvrage sous le titre Du côté de chez Swann. Il fut publié en 1913 et la critique fut dithyrambique ! 

Voilà. C’est tout pour le moment. La suite au prochain numéro. Amitiés à tous.

« Vie de Marcel Proust » dans « Atteindre l’excellence » de Robert Greene, chapitre 6, quatrième partie.



Du côté de chez Swann, le premier livre que j'ai lu de Proust


Je n’ai jamais vu de description de l’existence de Marcel Proust aussi exacte et aussi parlante que celle de Robert Greene dans son livre Atteindre l’excellence. Cet article est la suite de celui-ci.

En 1899, Proust était accablé de découragement. Il en avait assez des salons et de la société des riches. Il n’avait pas de situation pour se nourrir. A près de 30 ans, il vivait toujours chez ses parents et dépendait d’eux pour son entretien. Il s’inquiétait en permanence de sa santé, sûr d’être condamné à mourir jeune. Tous ses camarades de classe occupaient des postes importants et avaient fondé une famille. Il avait donc le sentiment d’être un raté. Ce à quoi il était arrivé, c’était à publier quelques articles dans des journaux concernant la haute société et un livre qui avait fait de lui la risée du Tout-Paris. La seule chose sur laquelle il pouvait encore compter, c’était le dévouement de sa mère.

Dans son désespoir, une idée lui vint. Il dévorait depuis plusieurs années les œuvres d’un penseur anglais qui était aussi critique d’art, John Ruskin. Il décida d’apprendre l’anglais et de traduire Ruskin en français. Cela exigeait qu’il y consacre plusieurs années de recherche sur les thèmes favoris de Ruskin, telle l’architecture gothique. Cela lui prendrait du temps, il lui fallait différer son projet de roman, mais cela prouverait à ses parents qu’il voulait vraiment gagner sa vie et choisir son métier. Agrippé à ce dernier espoir, il se plongea dans ce travail de toute son énergie.

Au bout de plusieurs années de labeur, il publia quelques-unes de ses traductions de Ruskin. Ce fut un triomphe. Les présentations de ces traductions le débarrassèrent enfin de la réputation de dilettante oisif qui le poursuivait. On le considérait désormais comme un intellectuel sérieux. Grâce à ce travail, il améliora sa plume ; en intégrant l’œuvre de Ruskin, il devint capable d’écrire des dissertations précises et réfléchies. Il avait enfin acquis de la discipline, ce sur quoi il pouvait se construire. Mais au beau milieu de ce modeste succès, son réseau de soutien affectif vacilla, puis disparut. Il perdit son père en 1903, puis son inconsolable mère deux ans plus tard. Ils n’avaient pratiquement jamais été séparés et Proust redoutait depuis son enfance le moment de leur mort. Il se sentit dans une solitude totale et craignit d’avoir perdu toute raison de vivre.

Voilà. C’est tout pour le moment. La suite au prochain numéro. Amitiés à tous.