A l'ombre des jeunes filles en fleur, le deuxième tome d'A la recherche du temps perdu
Je n’ai jamais vu de description
de l’existence de Marcel Proust aussi exacte et aussi parlante que celle de
Robert Greene dans son livre Atteindre l’excellence. Cet article est la suite de celui-ci.
Après le décès de ses parents,
Marcel Proust resta pendant quelques mois à l’écart de la vie mondaine et,
quand il fit le point de ce qu’avait été sa vie, il y observa une ligne
directrice qui le réconforta un peu. Pour compenser sa fragilité physique, il s’était
adonné à la lecture et avait ainsi découvert l’œuvre de sa vie. Depuis vingt
ans, il avait accumulé une connaissance immense de la société française ;
il avait en tête un fourmillement incroyable de personnages réels appartenant à
toutes les classes sociales. Il avait écrit des milliers de pages, dont un
roman raté, quelques articles de journaux et un certain nombre d’essais. En
prenant Ruskin comme mentor et en traduisant ses œuvres, il avait développé son
sens de la discipline et de l’organisation. Depuis longtemps, il considérait la
vie comme une école dans laquelle on
découvre progressivement comment fonctionne le monde. L’apprentissage
enseigne à certains comment déchiffrer les signes du temps et tenir compte de
ses leçons, cela les épanouit. D’autres n’y arrivent pas. Pendant vingt ans,
Marcel Proust s’était passionné pour l’écriture et la nature humaine, ce qui l’avait
déjà profondément marqué. Malgré sa santé et ses échecs, il n’avait jamais
abandonné. C’était peut-être un signe, un clin d’œil du destin. Tous ses échecs
avaient un sens s’il apprenait à les exploiter. Il n’avait pas perdu son temps.
Ce dont il avait besoin, c’était
de faire fructifier ses connaissances, c’est-à-dire remettre sur le métier le
roman qui lui échappait sans cesse. Il n’avait toujours aucune idée de ce qu’en
serait l’histoire et ne savait pas qui serait le narrateur. Tout le « matériel »
dont il avait besoin était dans sa tête. Désormais seul, il ne pouvait pas
faire revenir sa mère, son enfance, ni sa jeunesse ; mais il pouvait les
faire revivre dans le bureau de l’appartement où il se terrait. Il suffisait qu’il
se mette au travail. Quelque chose finirait par en sortir.
Pendant l’automne 1908, il acheta
une dizaine de carnets d’écolier et se mit à les couvrir de notes. Il écrivit
des passages sur l’esthétique, fit des portraits de personnages, ressuscita des
souvenirs d’enfance. Tandis qu’il s’abîmait dans ce labeur, il se sentit
changer. Quelque chose s’était débloqué, il ignorait d’où cela venait, mais une
voix se faisait entendre, la sienne, qui serait celle du narrateur. L’histoire
serait celle d’un jeune homme attaché de façon névrotique à sa mère et
incapable de forger sa propre identité. Il veut devenir écrivain, mais n’arrive
pas à décider ce qu’il croit écrire. En grandissant, il découvre deux milieux,
celui de l’aristocratie terrienne et celui des artistes bohèmes. Il dissèque la
personnalité des gens qu’il croise et analyse l’essence de leur tempérament
cachée sous leur personnage mondain. Il a plusieurs aventures sentimentales qui
le consument de jalousie. Au terme de nombreuses aventures et en dépit d’un
sentiment insidieux d’échec, il avance dans la vie et découvre à la fin du
roman ce qu’il souhaitait écrire : le présent ouvrage.
Le roman s’appellerait A la recherche du temps perdu et
constituerait une autobiographie, mettant en scène tous les gens que Proust
connaissait, sous des noms d’emprunt. Au fil de la narration, il écrirait l’histoire
contemporaine de la France depuis le jour de sa naissance jusqu’à celui du
point final du livre. Il offrirait un portrait de la société dans son ensemble.
L’auteur serait l’entomologiste découvrant les lois qui gouvernent le
comportement de tous les habitants de la fourmilière. La tâche était immense et
le seul souci de Proust était sa santé. Vivrait-il assez longtemps pour aller
au bout de son projet ?
Après plusieurs années, il vint à
bout de la première partie de son ouvrage sous le titre Du côté de chez Swann. Il fut publié en 1913 et la critique fut dithyrambique !
Voilà. C’est tout pour le moment.
La suite au prochain numéro. Amitiés à tous.
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