Du côté de chez Swann, le premier livre que j'ai lu de Proust
Je n’ai jamais vu de description
de l’existence de Marcel Proust aussi exacte et aussi parlante que celle de
Robert Greene dans son livre Atteindre l’excellence. Cet article
est la suite de celui-ci.
En 1899, Proust était accablé de
découragement. Il en avait assez des salons et de la société des riches. Il
n’avait pas de situation pour se nourrir. A près de 30 ans, il vivait toujours
chez ses parents et dépendait d’eux pour son entretien. Il s’inquiétait en
permanence de sa santé, sûr d’être condamné à mourir jeune. Tous ses camarades
de classe occupaient des postes importants et avaient fondé une famille. Il
avait donc le sentiment d’être un raté. Ce à quoi il était arrivé, c’était à publier
quelques articles dans des journaux concernant la haute société et un livre qui
avait fait de lui la risée du Tout-Paris. La seule chose sur laquelle il
pouvait encore compter, c’était le dévouement de sa mère.
Dans son désespoir, une idée lui
vint. Il dévorait depuis plusieurs années les œuvres d’un penseur anglais qui
était aussi critique d’art, John Ruskin. Il décida d’apprendre l’anglais et de
traduire Ruskin en français. Cela exigeait qu’il y consacre plusieurs années de
recherche sur les thèmes favoris de Ruskin, telle l’architecture gothique. Cela
lui prendrait du temps, il lui fallait différer son projet de roman, mais cela
prouverait à ses parents qu’il voulait vraiment gagner sa vie et choisir son
métier. Agrippé à ce dernier espoir, il se plongea dans ce travail de toute son
énergie.
Au bout de plusieurs années de
labeur, il publia quelques-unes de ses traductions de Ruskin. Ce fut un
triomphe. Les présentations de ces traductions le débarrassèrent enfin de la
réputation de dilettante oisif qui le poursuivait. On le considérait désormais
comme un intellectuel sérieux. Grâce à ce travail, il améliora sa plume ;
en intégrant l’œuvre de Ruskin, il devint capable d’écrire des dissertations
précises et réfléchies. Il avait enfin acquis de la discipline, ce sur quoi il
pouvait se construire. Mais au beau milieu de ce modeste succès, son réseau de
soutien affectif vacilla, puis disparut. Il perdit son père en 1903, puis son
inconsolable mère deux ans plus tard. Ils n’avaient pratiquement jamais été séparés
et Proust redoutait depuis son enfance le moment de leur mort. Il se sentit
dans une solitude totale et craignit d’avoir perdu toute raison de vivre.
Voilà. C’est tout pour le moment.
La suite au prochain numéro. Amitiés à tous.
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