Marcel Proust et ses livres
Je n’ai jamais vu de description
de l’existence de Marcel Proust aussi exacte et aussi parlante que celle de
Robert Greene dans son livre Atteindre l’excellence. Cet article est la suite de celui-ci.
Tout ce qu’écrivait Marcel Proust,
il voulait qu’il surgisse du réel, c’est-à-dire d’une scène à laquelle il avait
personnellement assisté. Faute de quoi, son écriture était atone. Néanmoins, sa
propre crainte des relations intimes constituait un obstacle pour lui. Attiré
autant par les hommes que par les femmes, il ne pouvait se défendre de garder
ses distances quand la relation menaçait de devenir trop tendre, voire
physique. Il avait donc du mal à décrire les sentiments amoureux de l’intérieur.
Par conséquent, il prit une habitude qui allait bien lui servir. Quand il se
sentait attiré par une femme, il se liait d’amitié avec son fiancé ou son petit
ami et, ayant gagné sa confiance, il l’interrogeait sur les détails les plus
intimes de leur relation. Fin psychologue, il était à même de leur prodiguer d’excellents
conseils. Ensuite, il rebâtissait dans son esprit toute l’affaire, en en
percevant aussi profondément que possible les hauts et les bas, et même les
crises de jalousie, comme si elles le concernaient personnellement. Il
pratiquait cela avec les deux sexes.
Le père de Marcel Proust était un
médecin renommé et il en vint à désespérer de son fils. Celui-ci faisait la
fête tous les soirs, rentrait dans la matinée et dormait toute la journée. Pour
fréquenter la haute société, il dépensait un argent fou. Il semblait n’avoir ni
discipline, ni ambition personnelle. A cause de sa santé fragile et du fait que
sa mère le gâtait, le docteur Proust craignit que son fils ne fût un raté et un
poids continuel. Il tenta de lui trouver une situation. Marcel Proust essayait
de le rassurait comme il pouvait : un jour il déclarait qu’il voulait
faire son droit, le lendemain il voulait devenir bibliothécaire. En vérité, il
misait tout sur la publication de son premier roman Les plaisirs et les jours dont le titre était un pastiche ironique
de l’œuvre d’Hésiode Les travaux et les jours. Ce serait un recueil d’histoires et de portraits reflétant la
société qu’il avait infiltrée. Tel Augustin Thierry avec sa conquête de l’Angleterre,
il donnerait vie à ce milieu grâce à son écriture. Le succès de ce livre lui
gagnerait l’estime de son père et de tous ceux qui doutaient de lui. Pour
garantir le succès de l’ouvrage, il y publierait les superbes dessins d’une
dame de la haute société devenue son amie et il le ferait imprimer sur le plus
beau des papiers.
Après de nombreux retards, son œuvre
fut enfin publiée en 1896. Même si la critique fut élogieuse, on jugea qu’il
avait une plume exquise et raffinée, ce qui impliquait que son travail était un
peu superficiel. Pire, ce fut un échec commercial. Étant donné le coût de
fabrication, il s’avéra un fiasco financier et l’image de Proust en souffrit :
c’était un dandy, un snob qui n’écrivait que sur ce qu’il connaissait, un jeune
homme sans le moindre sens pratique, bref, un dilettante vaguement frotté de
littérature. Couvert de honte, il en resta très affligé.
Sa famille insistait pour qu’il
se décide à choisir un métier. Toujours confiant dans son talent, il estima que
la seule solution était d’écrire un autre roman, dans un style contraire à
celui des Plaisirs et des jours. Il
serait beaucoup plus long, on y trouverait à la fois des souvenirs d’enfance et
des expériences mondaines récentes. Il décrirait la vie des Français de toutes
les classes et relaterait une période de l’histoire du pays. Nul ne pourrait le
juger superficiel. Les pages s’entassaient, mais Proust n’arrivait pas à en
faire un tout cohérent et logique, ni à raconter une histoire. Il s’égara dans
l’immensité de son ambition et, au bout
de quelques centaines de pages, il abandonna le projet.
Voilà. C’est tout pour le moment.
La suite au prochain numéro. Amitiés à tous.
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