dimanche 5 juin 2016

«Consentir au mystère» dans « Méditer jour après jour » de Christophe André (quatrième partie)






Le Christ aux outrages de Fra Angelico


A chaque chapitre de son livre, Christophe André nous présente une œuvre d’art en rapport avec son thème. Pour « Consentir au mystère », il s’agit du tableau « La dérision du Christ avec la Vierge et Saint Dominique » (Le Christ aux outrages) de Fra Angelico. Dans celui-ci, le Christ, aveuglé par un bandeau sur les yeux, est molesté non par de vrais personnages, mais par des coups et des crachats, des violences et un bâton, par d’étonnantes offenses abstraites en suspension dans l’air. Marie, sa mère, et saint Dominique sont à ses pieds. Elle est réfugiée dans une tristesse profonde et songeuse. Saint Dominique lit. Ils sont ailleurs.

Dans la lumière claire du tableau, il n’y a pas grand-chose à quoi notre logique puisse se raccrocher : tout nous semble absurde. Nous ne pouvons dans l’immédiat que nous résoudre à ne rien comprendre. Mais n’est-ce pas comme cela, bien souvent dans nos vies ? Même si nous voulons nous persuader du contraire.

Dans une lettre qu’il adresse à ses frères le 22 décembre 1817, le poète anglais John Keats les incite à cultiver ce qu’il nomme des « capacités négatives ». Il y voit une forme de maturité et d’achèvement psychologique : « Plusieurs choses s’emboîtèrent dans mon esprit et, à l’instant je fus frappé par la qualité qui contribue à former un homme accompli, particulièrement en littérature et que Shakespeare posséda si grandement — je veux parler de la capacité négative, lorsqu’un homme est capable d’être dans l’incertitude, les mystères, les doutes, sans courir avec irritation après le fait et la raison. »

1) Tolérer l’incertitude.

L’incertitude est source d’angoisse : toute forme d’anxiété peut être au fond ramenée à une intolérance à l’incertitude. C’est pourquoi l’avenir et la mort nous tourmentent puisque ce sont les deux plus grandes incertitudes. Nous essayons dans nos vies de limiter ce qu’il y a d’incertain : en prenant des assurances et des précautions, en procédant à de multiples vérifications, avec le risque de nous épuiser ainsi en protections, de barricader notre vie. Mais la vérité est la suivante : il y a dans nos vies des problèmes insolubles et nous devons les accepter, ne pas nous crisper et vivre avec eux.

2) Tolérer le doute.

Tolérer de ne pas savoir que penser, ni que faire. Renoncer à ce besoin de se raccrocher à des jugements ou à des actes, au prêt-à-penser inefficace. Renoncer à ce que nos choix soient à coup sûr les bons. Mais à l’inverse que ce doute ne nous empêche pas de choisir et d’agir, s’il faut le faire, ni de vivre.

3) Tolérer le mystère.

Tolérer quelque chose d’incompréhensible qui nous dépasse. Il existe peut-être un sens à la réalité mais nous ne savons pas lequel. Nous avons beaucoup de questions, beaucoup de « pourquoi », mais très peu de réponses. Et parfois certaines certitudes nées de l’expérience du malheur sont dangereuses, du style : « Je suis maudit, incurable et il n’y a pas d’issues. » Mieux vaut dans certaines détresses parfois ne pas se poser de questions.

Normalement ma raison est une lumière pour éclairer et comprendre mes problèmes, pour m’aider à trouver des solutions. Mais parfois cette lumière ne suffit pas et peut au contraire m’emprisonner et me dissimuler d’autres voies. Quand il brille, le soleil nous donne le sentiment de nous révéler l’intégralité de ce qu’il y a à voir ici-bas. Mais lorsqu’il s’éteint et qu’arrive la nuit, nous comprenons tout à coup, devant l’immensité étoilée, qu’il y avait d’autres choses à voir que nous masquait la lumière même du soleil.

Voilà. C’est tout pour aujourd’hui. Je continuerai la prochaine fois ce compte rendu du livre de Christophe André Méditer, jour après jour.

«Ne pas perdre le monde» dans «Méditer jour après jour» de Christophe André (quatrième partie)






La chute d'Icare dans ce tableau de Breughel l'Ancien représente notre chute hors du monde quand viennent  la douleur psychique et de la dépression



 

Lors de pertes, de manques ou de deuils, la douleur prend toute la place dans notre esprit. Mais en même temps, le problème est que la douleur est reliée à ce que nous avons perdu, et ne plus souffrir c’est perdre encore plus (l’être cher, nos passions, notre travail).

En réagissant ainsi, en tentant de ne plus souffrir, en nous repliant sur nous-mêmes, notre mal et nos souvenirs, nous sommes en danger, nous sortons du monde (cette solitude que nous recherchons alors va accroître nos problèmes du fait de la rumination de pensées négatives et développer éventuellement notre dépression).

Comme je l’ai mentionné dans un précédent article, il faut faire en sorte que la douleur ne soit pas seule dans notre esprit, que toute notre attention ne soit pas focalisée et recroquevillée sur elle mais que d’autres éléments existent aussi dans notre conscience. Pour cela, il faut essayer de pratiquer la méditation sur le souffle (le mieux est de l’avoir expérimentée chaque jour avant que ne vienne la douleur, afin qu’elle devienne presque un automatisme). Elle nous permet de nous relier à notre corps, de sentir que nous continuons à exister, malgré cette douleur qui est insupportable, et de comprendre qu’un jour, on ne sait pas quoi ni quand, un évènement viendra qui nous fera progresser et changer.

La solitude de la souffrance est certes réelle et absolue : personne ne peut souffrir à notre place, personne ne peut prendre un gramme de notre douleur. Alors est-ce impossible de nous aider ? N’y a-t-il aucune consolation possible ?

Non, c’est plutôt que, quand notre souffrance est très intense, que nous sommes profondément immergés dans la dépression, nous ne voulons pas écouter les consolations des autres. Pourquoi ? Parce qu’à l’avance, nous sommes persuadés qu’elles ne servent à rien. C’est vrai qu’elles ne servent à rien si ce que nous voulons, c’est que tout revienne comme avant, que le problème disparaisse, que personne ne nous ait offensés, que l’accident n’ait pas eu lieu et que les morts revivent. Si ce que nous voulons est une réparation, la consolation ne sert à rien. Mais, si nous arrivons à comprendre que toute réparation est impossible et qu’il n’y a pas de solution à notre souffrance, alors la consolation, si nous arrivons à l’écouter, nous apprendra autre chose : qu’il continue d’exister, à côté de nos souffrances, une vie prête à nous accueillir.

Et si nous faisons ces efforts, nous découvrirons que, derrière les consolations, il y a la compassion. Elle n’est pas un médicament de la catastrophe, juste une bouée, un encouragement à vivre malgré tout. Mais, surtout, elle élargit notre conscience au fait qu’il y aussi de l’amour et de l’affection autour de nous. Elle nous délivre un message très humble : parfois tout ce qui reste possible à nos proches, c’est l’impuissance et la présence. Ils sont impuissants à réparer mais présents pour nous rappeler de rester vivants et humains, de ne pas nous durcir, de ne pas nous détruire, de ne pas quitter le monde. 

C’est pourquoi, pour moi, la deuxième méditation, complémentaire avec celle du souffle, est celle de la compassion (metta-bhavana) : dans celle-ci, en premier lieu nous essayons en pensée et en ressenti d’avoir de la bienveillance, de l’amour pour nous-mêmes avant de l’éprouver pour d’autres êtres humains : un ami, une personne neutre, une personne difficile. D’une certaine façon, avec cette méditation, nous sommes présents à nous-mêmes, mais sans trop de douleur, sans colère, sans haine, sans tristesse, seulement avec au début un petit peu de bienveillance pour nous-mêmes et pour le monde.

Voilà. C’est tout pour aujourd’hui. Je continuerai la prochaine fois ce compte rendu du livre de Christophe André Méditer, jour après jour. Amitiés à tous.