Le Christ aux outrages de Fra Angelico
A chaque chapitre de son livre, Christophe André nous
présente une œuvre d’art en rapport avec son thème. Pour « Consentir au
mystère », il s’agit du tableau « La dérision du Christ avec la
Vierge et Saint Dominique » (Le Christ aux outrages) de Fra Angelico. Dans
celui-ci, le Christ, aveuglé par un bandeau sur les yeux, est molesté non par
de vrais personnages, mais par des coups et des crachats, des violences et un
bâton, par d’étonnantes offenses abstraites en suspension dans l’air. Marie, sa
mère, et saint Dominique sont à ses pieds. Elle est réfugiée dans une tristesse
profonde et songeuse. Saint Dominique lit. Ils sont ailleurs.
Dans la lumière claire du tableau, il n’y a pas grand-chose à
quoi notre logique puisse se raccrocher : tout nous semble absurde. Nous
ne pouvons dans l’immédiat que nous résoudre à ne rien comprendre. Mais n’est-ce
pas comme cela, bien souvent dans nos vies ? Même si nous voulons nous
persuader du contraire.
Dans une lettre qu’il adresse à ses frères le 22 décembre
1817, le poète anglais John Keats les incite à cultiver ce qu’il nomme des « capacités
négatives ». Il y voit une forme de maturité et d’achèvement psychologique :
« Plusieurs choses s’emboîtèrent dans mon esprit et, à l’instant je fus
frappé par la qualité qui contribue à former un homme accompli, particulièrement
en littérature et que Shakespeare posséda si grandement — je veux parler de la
capacité négative, lorsqu’un homme est capable d’être dans l’incertitude, les
mystères, les doutes, sans courir avec irritation après le fait et la raison. »
1) Tolérer l’incertitude.
L’incertitude est source d’angoisse : toute forme d’anxiété
peut être au fond ramenée à une intolérance à l’incertitude. C’est pourquoi l’avenir
et la mort nous tourmentent puisque ce sont les deux plus grandes incertitudes.
Nous essayons dans nos vies de limiter ce qu’il y a d’incertain : en
prenant des assurances et des précautions, en procédant à de multiples
vérifications, avec le risque de nous épuiser ainsi en protections, de
barricader notre vie. Mais la vérité est la suivante : il y a dans nos
vies des problèmes insolubles et nous devons les accepter, ne pas nous crisper
et vivre avec eux.
2) Tolérer le doute.
Tolérer de ne pas savoir que penser, ni que faire. Renoncer à
ce besoin de se raccrocher à des jugements ou à des actes, au prêt-à-penser
inefficace. Renoncer à ce que nos choix soient à coup sûr les bons. Mais à l’inverse
que ce doute ne nous empêche pas de choisir et d’agir, s’il faut le faire, ni
de vivre.
3) Tolérer le mystère.
Tolérer quelque chose d’incompréhensible qui nous dépasse. Il
existe peut-être un sens à la réalité mais nous ne savons pas lequel. Nous
avons beaucoup de questions, beaucoup de « pourquoi », mais très peu
de réponses. Et parfois certaines certitudes nées de l’expérience du malheur
sont dangereuses, du style : « Je suis maudit, incurable et il n’y a
pas d’issues. » Mieux vaut dans certaines détresses parfois ne pas se
poser de questions.
Normalement ma raison est une lumière pour éclairer et comprendre
mes problèmes, pour m’aider à trouver des solutions. Mais parfois cette lumière
ne suffit pas et peut au contraire m’emprisonner et me dissimuler d’autres
voies. Quand il brille, le soleil nous donne le sentiment de nous révéler l’intégralité
de ce qu’il y a à voir ici-bas. Mais lorsqu’il s’éteint et qu’arrive la nuit,
nous comprenons tout à coup, devant l’immensité étoilée, qu’il y avait d’autres
choses à voir que nous masquait la lumière même du soleil.
Voilà. C’est
tout pour aujourd’hui. Je continuerai la prochaine fois ce compte rendu du
livre de Christophe André Méditer, jour après jour.
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