Je viens de lire un livre que
j’ai trouvé à la fois formidablement bien écrit, original et passionnant. Je
voudrais vous en faire part à travers quelques articles de ce blog. Il s’agit
de « Ma Gestalt-thérapie, une poubelle-vue-du-dehors-et-du-dedans » de Fritz Perls.
Cet article est la suite de
celui-ci.
Voici le résumé de ce livre.
Aux États-Unis, nous assistons à
la désintégration des religions organisées. L'Église en tant que centre de la
communauté, le prêtre en tant que guide spirituel et Seelsorger (médecin des
âmes), perdent toute signification. Une tentative désespérée de sauvetage de
Dieu est en cours. De nombreuses confessions, aplanissant des différends qui
jusque-là alimentaient le feu d'une haine intense, font appel à la
compréhension entre les cultes. « Prêtres du monde entier, unissez-vous ! » « Unissez-vous
pour faire mentir le verdict de Nietzsche : Dieu est mort. » Bien des prêtres commencent à se fier plus
à la psychothérapie qu'à la prière.
Enfant, j'ai assisté à une
désintégration analogue de la religion juive. La famille de ma mère observait
les coutumes orthodoxes. C'était une famille où il se passait d'étranges fêtes,
souvent belles et chaleureuses. Mes parents, et particulièrement mon père,
étaient des juifs « assimilés ». C'est-à-dire qu'il faisait un compromis entre
le fait d'avoir honte de ses origines et de vouloir maintenir certaines des
traditions juives — se rendant à la synagogue à l'occasion des grandes fêtes,
pour le cas où il y aurait un dieu quelque part. Je ne pouvais accepter cette
hypocrisie et, dès mon jeune âge, je me déclarai athée. Ni la science, ni la
nature, ni la philosophie, ni le marxisme ne pouvaient remplir le vide de ma
maison spirituelle. Aujourd'hui je sais que j'attendais cela de la
psychanalyse.
Après 1936 j'avais essayé de me
réorienter. Mes doutes au sujet du système freudien, inexprimés et endigués,
grandirent et me submergèrent. Je devins un sceptique, presque un nihiliste —
niant tout. Le bouddhisme — le Zen — une religion sans Dieu ? J'acceptais
alors, il est vrai, une bonne part du Zen, froidement, intellectuellement.
Puis vint l'illumination : plus
besoin de soutien, ni spirituel, ni moral, ni financier, d'aucune sorte. Toutes les religions étaient de
grossières constructions humaines, toutes les philosophies des jeux
d'adaptation intellectuelle inventés par l'homme. Il me fallait donc prendre
moi-même toute la responsabilité de mon existence.
Je m'étais piégé moi-même. A
Francfort, absorbé par la psychanalyse, j'étais resté à l'écart des
existentialistes qui s'y trouvaient, comme Buber, Tillich, Scheler. Tout ce que
j'en avais retenu c'était que la philosophie existentielle exige que l'on
prenne la responsabilité de sa propre existence. Mais laquelle des écoles
existentialistes détient la vérité avec un grand V ?
Sceptique, j'ai cherché plus
avant et voici ma position actuelle. Malgré toutes les tendances
anticonceptuelles et prophénoménologiques, il n'y a pas de philosophie
existentialiste qui tienne debout.
Je ne parle même pas de
l'existentialiste américain moyen qui prêche et baratine à propos de l'existence,
mais erre sur la terre aussi mort qu'un ordinateur. Non, je parle des
existentialistes de base. Y en a-t-il un seul qui n'ait besoin d'aide
extérieure, généralement d'un support conceptuel ? Que sont Tillich sans son
protestantisme, Buber sans son hassidisme, Gabriel Marcel sans son catholicisme
? Pouvez-vous imaginer Sartre sans le soutien de ses idées communistes,
Heidegger sans celui du langage, ou Binswanger sans la psychanalyse ?
Ne peut-on alors envisager une
orientation ontique où le Dasein —
le fait et les moyens de notre existence — puisse
se manifester et être compris sans qu'il soit besoin d'explications ; une
façon de voir le monde autrement que par le biais de quelque concept, mais où
nous comprenions ce qu'il y a de parti pris dans la formation des concepts ;
une perspective où nous ne nous contentions pas de prendre une abstraction pour
l'image entière — où, par exemple, l'aspect physique serait pris pour la
totalité de ce qui est ?
Cela existe, en effet ! Mais, si
étonnant que ce soit, dans une branche qui n'a jamais revendiqué le statut de
philosophie, d'une science cachée au fin fond de nos universités, une approche
appelée psychologie de la forme, de la Gestalt.
Gestalt ! Comment faire
comprendre que cette Gestalt est autre chose qu'un concept de plus créé par
l'homme ? Comment dire que cette Gestalt est — et pas seulement pour la
psychologie — quelque chose d'inhérent à la nature ?
Si, au temps des dieux ou des
différentes sortes d'énergie, quelqu'un avait dit que la plus petite particule
indivisible — nommée atome — est investie de toutes les énergies, il aurait été
la risée du monde entier. Aujourd'hui, il est acquis que l'énergie atomique est
l'énergie des énergies. La bombe atomique, c'est bel et bien une réalité.
Je comprends parfaitement que
vous puissiez ne pas me suivre dans la théorie que tout est conscience, mais je
ne puis accepter votre réserve à l'égard de l'idée de Gestalt, et je vais
patiemment vous exposer quelques aspects de sa signification.
Mais d'abord, pour nous situer :
1926, Francfort, Kurt Goldstein, Clara Happel, Lore et le professeur Gelb,
alors maitre de conférences en psychologie de la forme, élève de Wertheimer et
de Köhler.
Je suis en train de jouer avec le
nombre « 6 » :
1896 — Mes parents déménagent.
Ils quittent un quartier juif pour un quartier plus élégant du centre de
Berlin. Je n'ai pas de souvenirs antérieurs à cette époque.
1906 — Bar Mitzvah, crise de la
puberté. Je suis un garnement et donne bien du souci à mes parents.
1916 — Je suis versé dans l'armée
allemande.
1926 — Francfort.
1936 — Congrès de psychanalyse.
1946 — Immigration aux
Etats-Unis.
1956 — Miami, Floride. Liaison
avec Marty, la femme la plus importante de ma vie.
1966 — La Gestalt-thérapie est
sur les rails. J'ai enfin trouvé une communauté, un lieu d'existence : Esalen.
Voilà. C’est tout pour le moment.
Amitiés à tous.
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