vendredi 15 juin 2018

Compte rendu du livre « Ma Gestalt-thérapie, une poubelle-vue-du-dehors-et-du-dedans » de Fritz Perls (onzième partie).




Fritz Perls.


Je viens de lire un livre que j’ai trouvé à la fois formidablement bien écrit, original et passionnant. Je voudrais vous en faire part à travers quelques articles de ce blog. Il s’agit de « Ma Gestalt-thérapie, une poubelle-vue-du-dehors-et-du-dedans » de Fritz Perls.


Cet article est la suite de celui-ci.

Voici le résumé de l’ouvrage.

Ma troisième objection c'est que ces percées violentes extériorisent, désavouent et projettent un matériau qui  pourrait être assimilé et devenir partie intégrante du moi. Ils ne font que favoriser les tendances paranoïaques. En d'autres termes, le matériau qui résulte de ces expulsions est toujours vécu comme corps étranger. Rien n'a été changé que le théâtre des événements. La possibilité de devenir adulte et en bonne santé a été escamotée.

Cependant, comparées avec l'importance de l'énorme pas fait vers l'approche holistique, ces objections sont de peu d'importance.

Il n'en est pas de même de l'invention de l'orgone, due à l'imagination de Reich qui, à cette époque, s'était égarée.

Je peux comprendre ce qui s'est passé. Ayant fait de la notion de résistance une réalité vérifiable, il lui fallait faire la même chose avec le thème essentiel de Freud, la libido.

Les résistances existent vraiment, il n'y a pas de doute à cela. Mais la libido était et reste une énergie hypothétique inventée par Freud pour expliquer son modèle de l'homme. Reich s'est hypnotisé lui-même et a hypnotisé ses patients à croire à l'existence de l'orgone en tant qu'équivalent physique et visible de la libido.

J'ai examiné le fonctionnement de la « boîte à orgone » avec nombre de ses possesseurs, et chaque fois, invariablement, j'y ai trouvé le leurre d'une suggestibilité que je pouvais orienter comme je le voulais. Reich mourut en prison plutôt que de renoncer à ses idées fixes. L'enfant terrible de l'Institut de Vienne ne se révéla un génie que pour s'éclipser lui-même en tant que « savant fou ».

Quant à ma quatrième déception, ma rencontre avec Freud, il est plus difficile d'en parler. Mais non, ce n'est pas vrai. Je prévoyais que décrire cette rencontre serait plus difficile parce que, durant ma période exhibitionniste, j'en parlais souvent en termes vagues et faisais semblant d'en savoir plus long sur Freud que ce n'était précisément le cas. Le fait est que, sauf en ce qui concerne S. Friedlander et K. Goldstein, mes rencontres avec des gens aussi importants qu'Einstein, Jung, Adler, Jan Smuts, Marlène Dietrich et Freud ont été des rencontres accidentelles. Accidentelles et pour la plupart sans résultat, mais qui me donnaient prétexte à vantardise et le moyen d'impressionner indirectement mon auditoire en me gonflant d'importance. Éclat qui obscurcit souvent la vision et le jugement.

J'ai passé un après-midi avec Albert Einstein : simplicité, chaleur humaine et fausses prédictions politiques. Mon embarras se dissipa assez vite, un plaisir rare pour moi à cette époque. J'aime encore à citer une de ses remarques : « Deux choses sont infinies, l'univers et la bêtise humaine, encore n'en suis-je pas tout à fait sûr en ce qui concerne l'univers. »

Ma rencontre avec Sigmund Freud, en revanche, se trouva être ma quatrième déception de 1936.

J'avais déjà été à Vienne en 1927, sur les conseils de Clara Happel. J'avais été en psychanalyse avec elle, à Francfort, pendant près d'un an. Un jour, à ma grande surprise, elle me déclara que mon analyse était terminée et que je devais aller à Vienne soigner des malades sous la direction d'un psychiatre confirmé.

J'étais heureux, mais sceptique. Je ne pensais pas en avoir fini avec cette analyse, et le fait que le verdict tombait au moment où mon argent s'épuisait ne pouvait que me laisser perplexe.
C'est cette année-là que j'avais rencontré Lore. Sans doute lui étais-je apparu, à elle et à quelques autres à l'université, comme un célibataire d'âge à se marier. Il était temps d'échapper aux tentacules de la pieuvre menaçante du mariage. Je n'avais pas pensé une seconde que Lore me rattraperait partout où j'irais.

Vienne, ville de mes rêves, ou, devrais-je dire, de mes cauchemars ?

J'allai à Vienne sans argent. Je n'avais pas de fortune personnelle et ne gagnais pas grand-chose. Quand j'avais de l'argent, j'aimais le dépenser, et, quand je n'en avais pas, je vivais de rien. Clara Happel ne m'avait pas guéri, et je lui en suis reconnaissant, de ma nature inquiète de bohémien. Je pris une chambre meublée à bas prix dans l'Eisengasse, que j'abandonnai bien vite pour -deux raisons. D'abord, il y avait un cafard mort dans mon lit, fait qui ne m'eût pas tracassé en soi. Mais la famille du défunt, venue nombreuse exprimer son chagrin, non, non, non !

Et puis, le verdict de ma propriétaire :
«  Pas de femmes dans votre chambre après dix heures. »
«  Mais pourquoi justement dix heures ? »
«  Avant dix heures il se passerait peut-être quelque chose, mais après dix heures, sûrement. »

Il n'y avait pas d'argument contre ce genre de raisonnement. Freud appelait ça : Suppen Knödellogik-Matzohballogik.

Je trouvai Vienne plutôt déprimante.

A Berlin j'avais beaucoup d'amis et m'intéressais à beaucoup de choses passionnantes. Nous pensions, fous que nous étions, que nous pourrions construire un monde nouveau sans guerres. A Francfort, j'avais le sentiment d'appartenir, pas complètement mais un peu en marge, au groupe existentiel de la Gestalt qui avait là un centre. La psychanalyse avec Happel était plutôt une obligation, une idée fixe, une régularité contraignante, avec quelques expériences — mais peu nombreuses.
A Vienne, tout tournait pour moi autour de la psychanalyse. Je tombai légèrement amoureux d'une splendide et jeune doctoresse qui suivait là sa formation. Elle était, comme toute la clique freudienne, bourrée de tabous. C'était comme si tous les hypocrites catholiques viennois avaient colonisé les praticiens de la « science juive ».

J'ai du mal à parler de cette année à Vienne. Je viens d'écrire les quinze dernières pages sans effort, entre deux séminaires. Finalement, écrire m'a passionné tellement que cela semble m'avoir complètement absorbé. Je m'aperçois que j'ai parlé plusieurs fois de centre. Jusqu'à présent, la dernière semaine d'écriture semble constituer mon centre, l'intérêt se déplaçant, des prises de vues et des enregistrements que j'ai faits, vers l'expression personnelle. Je n'écris plus en vers. Ha ! Pas vrai, pas complètement. Voici une contradiction intéressante : mon mépris de la poésie s'atténue. Je vis Esalen, notre belle résidence, et mes étudiants (j'ai un séminaire qui va durer quatre semaines) en poète. Je n'éprouve pas le même sentiment à l'égard du passage biographique actuel. La semaine dernière, j'ai écrit un poème pour les filles qui travaillent à la réception, et je ne considère pas que cela soit de la poésie. Il me vient de temps en temps à l'imagination un poème sur l'opposition mort/agonie. Cela serait digne de servir de thème de poésie. Pourtant les vers que j'ai écrits pour ces filles, toujours submergées de visiteurs et de questions sans fin, étaient amusants à écrire. Nous les avons même utilisés pour le film « Fritz » que Larry Booth est en train de tourner. Qui plus est, j'ai été content de voir les rushes du film : bonne prononciation, sentiment, et mon affreux accent berlinois pas trop sensible.

Voilà. C’est tout pour le moment. Amitiés à tous.


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