vendredi 10 avril 2015

Spectacle de mentalisme de Pourang



Bonjour,

Je suis allé voir mercredi le spectacle L’œil de Cassandre du mentaliste
Pourang
(Théâtre Funambule Montmartre, Paris dix-huitième)
et j’ai été impressionné, émerveillé, voire déstabilisé.

Il y a plusieurs mentalistes qui tournent actuellement sur Paris. J’ai assisté au spectacle de la plupart d’entre eux. En général, ils sont bons, font bien leurs tours, ont un contact satisfaisant avec le public, mais Pourang est différent. Il y a plusieurs éléments qui se combinent dans son spectacle et le font ressembler à celui de certains grands mentalistes américains, comme Banachek, Richard Osterlind ou Max Maven. Le premier point est la maîtrise totale de son show : sa technique magique est parfaite, ainsi que son interprétation scénique et ce que les prestidigitateurs appellent le boniment (art de parler, fascination du public par une parole brillante).

En second lieu, en prenant comme fil rouge la vie dramatique de Cassandre, qui pouvait prédire l’avenir et que personne ne croyait (mais aussi les quatre éléments dans la philosophie grecque : la terre, l’air, l’eau et le feu), Pourang procède comme tout bon mentaliste devrait procéder : il nous raconte une histoire. Les meilleurs spectacles auxquels j’ai pu assister se déroulent ainsi : ils ont une thématique qui charpente tout le show (Jean-Michel le Magicien s’est basé sur la vie imaginaire d’Arsène Lupin, Xavier Nicolas oriente sa présentation sur les événements extraordinaires qui arrivent sans qu’on s’y attende et qu’on les ait prévus ( !): la disparition des dinosaures, le naufrage du Titanic, l’attentat du 11 septembre contre les tours jumelles, etc.). Ensuite, ce que j’adore chez Pourang, c’est son humour (jamais lourd), son sens de la répartie et sa gestion parfaite des spectateurs sur la scène (il y fait venir au moins dix membres du public).

Cependant, je préfère vous prévenir, son spectacle est si complexe, si prolixe, si déroutant, il vous emmène subtilement dans tellement de fausses et illusoires directions que je ne pourrai pas vraiment vous le décrire d’une manière à la fois ordonnée et détaillée. Ce texte sera donc une ébauche, avec les grandes idées, les tours principaux, l’ensemble de ce qui m’a étonné, écrite dans le seul but de vous donner envie d’aller voir le show de ce très grand mentaliste et de juger de l’ensemble par vous-même.

Au début du spectacle, sur le plateau se trouve une simple bougie. D’un mouvement de la main, Pourang l’allume à distance. Il fait un petit discours sur ce qui est réel, logique, scientifique et sur son contraire, ce qui paraît complètement irrationnel, voire délirant, ce qui ne peut pas être expliqué par la science. Il nous parle de la pauvre Cassandre, qui a vécu dans l’Antiquité au temps de la guerre de Troie (celle-ci commença en 1184 avant Jésus-Christ) et qui avait un don exceptionnel, celui de prédire l’avenir. Malheureusement, personne ne l’écoutait et l’on ne tenait pas compte de ses avertissements. Elle était la fille de Priam, roi de Troie, et d’Hécube, et avait un jumeau, Hélénos. On raconte que, très jeunes, les deux enfants s’endormirent dans le temple d’Apollon où ils furent retrouvés le lendemain entre deux serpents qui leur léchaient les oreilles et la bouche. Cet épisode expliquerait en partie le don de divination qui les toucha tous les deux quand ils grandirent. Mais surtout, par la suite, Apollon tomba amoureux de Cassandre qui était réputée pour sa beauté sans égale. Elle se promit à lui en échange de l’apprentissage de l’art de prédire l’avenir. Cependant, une fois instruite dans cette science, elle n’accorda au dieu du Soleil qu’un simple baiser, en se moquant de sa naïveté. Alors Apollon, qui ne pouvait reprendre son don, lui retira le pouvoir de persuader, malgré l’exactitude de ses prédictions. Elle prévint sa famille du malheur qui allait résulter du voyage à Sparte de Pâris. Il y enleva la belle Hélène, la femme de Ménélas, roi de la cité, ce qui bien évidemment déclencha une guerre entre les Troyens et les Grecs. De même, elle mit tout le monde en garde contre le cheval de Troie, où s’étaient dissimulés les guerriers ennemis, qui fut finalement à l’origine de la défaite des Troyens et de la destruction totale de la ville. L’histoire pourrait être longue : emmenée comme captive par Agamemnon, un prince grec, elle prévit l’assassinat de son amant et d’elle-même par sa femme Clytemnestre (mais là aussi ne fut pas crue).

A la fin de son discours, Pourang éteint la bougie, toujours à distance. Pour choisir un spectateur ou une spectatrice dans le public, il pratique la méthode dite du nounours. Il envoie un ours en peluche dans la salle que le spectateur qui l’a reçu relance vers un autre membre du public. Une jeune femme est ainsi choisie pour venir sur la scène. Pourang le mentaliste lui montre un tableau avec les quatre éléments constitutifs du monde tels qu’ils étaient décrits par le philosophe grec, Empédocle. Il y a la terre, l’air, l’eau et le feu. Pourang explique que la plupart des spectateurs ont tendance à prendre le premier des éléments, la terre. Ils laissent en général de côté le feu car c’est l’élément qui détruit, qui incendie. Mais la spectatrice choisit quand même le feu. Notre mentaliste lui propose un billet de cent euros ou sa chemise s’il n’arrive pas à deviner son choix. Il déplie finalement un morceau de papier blanc où il a marqué de manière humoristique le mot : « chemise ». Finalement, il lui propose de lui donner le billet de cent euros mais c’est un faux. Après cet échec, il semble avoir très chaud et enlève sa veste. On voit alors inscrit sur sa chemise dans son dos en très grosses lettres l’inscription « Feu » avec son symbole grec. Après ce clin d’œil humoristique, Pourang triomphe sous les applaudissements des spectateurs.

Il fait venir sur la scène une autre jeune femme à laquelle il demande quel est son élément préféré. Cette fois, c’est l’eau et elle l’associe avec les poissons. Puis il lui demande de mettre dans un coffre transparent une enveloppe avec une prédiction. Il suspend en l’air le coffre à l’aide d’un câble, confie les clés du cadenas à la spectatrice et lui dit de ne pas le quitter des yeux durant tout le numéro, car il y aura dedans une prédiction finale.

Puis toujours avec le nounours, le mentaliste choisit dans la salle deux jeunes gens. Il fait inscrire sur un carnet à l’un le nom d’un animal familier qu’il avait quand il était petit, à l’autre le nom d’un ami d’enfance. Puis il prend des ardoises. Le spectateur révèle que son animal était un chat et qu’il s’appelait Epsylon. C’est la prédiction écrite sur l’ardoise par Pourang avec seulement un i à la place du y comme différence. L’autre personne choisie révèle que son ami s’appelait Nicolas. Pourang retourne son ardoise ; c’est ce qui y est écrit.

Le mentaliste propose ensuite à un membre de l’assistance de choisir au hasard, alors qu’il a le dos tourné, dans un certain nombre d’images, la représentation d’un personnage célèbre du vingtième siècle. Pourang se met alors à son chevalet et dessine en musique à l’envers un portrait. Le spectateur révèle qu’il a pris Charlie Chaplin. Pourang tourne son tableau vers le bas, c’est bien la figure qu’il a dessinée.

Enfin, il demande à un spectateur de prendre une carte dans un jeu ne représentant que des grandes figures de l’histoire. Notre mentaliste découvre son ardoise. On y voit marqué : « Les quatre éléments ». Le spectateur révèle alors qu’il a choisi « Louis XIV ». Pourang est totalement honteux ; il efface sa prédiction avec un chiffon et alors on voit apparaître très distinctement, cachés en dessous du message qui indiquait « Les quatre éléments », les mots « Louis XIV ». Là aussi, par cet effet à la fois flash et visuel, notre mentaliste fait un triomphe ; les applaudissements résonnent dans la salle.

Mais Pourang reprend son tableau avec les quatre éléments, qui constituent notre réalité selon les grecs. Il dit qu’il faut y ajouter un autre, l’esprit. Il nous raconte que c’est au dix-neuvième siècle que l’on a recommencé très fortement à croire aux pouvoirs magiques de notre esprit. Il évoque les sœurs Fox aux Etats-Unis qui, dans la nuit du 31 mars 1848, ont communiqué avec un défunt par l’intermédiaire de coups frappés et qui par la suite ont popularisé les fameuses tables tournantes. Il mentionne le nom du français Allan Kardec, qui, en 1857, écrivit Le Livre des Esprits, le premier grand manuel sur le sujet, un véritable code de communication avec les défunts, et fonda le spiritisme. Plusieurs auteurs du dix-neuvième siècle adhérèrent avec passion à ce mouvement, notamment l’anglais Sir Arthur Conan Doyle, Alexandre Dumas ou Victor Hugo. Celui-ci, exilé à Jersey, inspiré par son amie Delphine de Girardin, une passionnée de ce type de phénomènes, y fit tourner les tables du 11 septembre 1853 au 8 octobre 1855 et communiqua pendant ces deux années avec les défunts dans des réunions où assistaient ses amis et des membres de sa famille. Ces expériences furent consignées dans Le Livre des tables, où Hugo (ce n’est pas rien !), fait état de contacts avec Caïn, Jésus, Shakespeare, Dante, Chateaubriand, Robespierre, Mahomet, Napoléon et encore beaucoup d’autres tout aussi illustres, mais également avec sa fille Léopoldine, décédée très jeune par noyade, dont il n’avait jamais admis la mort brutale. Cependant, dans la nuit du 10 au 11 octobre 1855, un des participants de la séance de spiritisme, Jules Allix, frère du médecin de Victor Hugo, après avoir tenté de magnétiser une montre (sic !), fut pris d’une crise de folie furieuse, distribua des coups violents aux différents participants et déclara qu’il était Dieu, etc. On dut l’interner pendant plusieurs mois. Voilà pourquoi Victor Hugo décida brusquement d’arrêter ces incroyables séances.

C’est cette atmosphère particulière que désire restituer Pourang. Son assistante apporte un guéridon avec une clochette. Une spectatrice écrit son jour et son mois de naissance sur un papier. La clochette sonne plusieurs fois et donne de façon exacte les deux chiffres de son jour de naissance. Puis le mentaliste et la jeune femme prennent les coins de la nappe qui recouvre la table. Celle-ci décolle et s’envole progressivement, à au moins un mètre au-dessus du sol. Cette lévitation dure plus de cinq minutes, avec la spectatrice, qui passe sa main de tous côtés autour du guéridon et qui ne trouve aucun truc.

Puis Pourang choisit, toujours grâce à son petit ours, deux spectateurs, un homme et une femme, pour l’expérience qui m’a le plus bluffé. Il demande à la spectatrice, qui a les yeux fermés, de soulever un bras quand elle aura l’impression d’être touchée. Pourang se dirige alors vers l’homme et lui tapote l’épaule. La spectatrice lève le bras et dit qu’elle a senti une main se poser sur elle à cet endroit-même. Le mentaliste refait la même expérience sur l’autre épaule du spectateur. Même réaction de la jeune femme qui soulève son bras à nouveau. Là aussi, c’est un tonnerre d’applaudissements pour cette démonstration des pouvoirs de l’esprit qui défie notre rationalisme. 

Mais le mentaliste nous propose sa dernière expérience. Il lance dix journaux dans le public : Le Parisien, Le Monde, Le Canard enchainé, l’Humanité, Le Figaro, Paris Turf, etc. Un jeune homme qui a reçu un de ces magazines, Paris Turf en l’occurrence, est choisi au hasard ; il l’ouvre à la page qu’il désire, la page 9 ; une spectatrice désigne un mot qui lui plaît dans cette page 9. Incroyable ! Sur son ardoise, le mentaliste a écrit sans hésiter le mot que révèle la spectatrice.

Attention, ce n’est pas terminé ! Il y a encore le climax, l’expérience impossible, le coffre transparent qui est resté suspendu en l’air durant tout le spectacle, dans lequel la jeune femme, choisie au hasard au début du spectacle, a mis une enveloppe et dont elle a la clé autour du cou. Elle vient elle-même l’ouvrir et y prend l’enveloppe qu’elle y a déposée. Dans celle-ci se trouve un long papier, une banderole, que Pourang va déplier petit à petit, au fur et à mesure des prédictions : il y est écrit le premier élément choisi, le feu, et le deuxième l’eau ; en association est noté le mot « poissons » comme l’avait suggéré la spectatrice ; on peut lire le nom du chat du spectateur, « Epsylon », avec un « y » cette fois, et « Nicolas », le prénom de l’ami d’enfance de l’autre membre du public ; il y a aussi noté « Chaplin » et « Louis XIV », les personnage célèbres choisis au hasard ; et, en morceau final, le nom du journal lancé dans la salle, Paris Turf, le numéro de la page choisie, c’est-à-dire 9, et le mot désigné par la spectatrice dans cette page.

Les spectateurs applaudissent à tout rompre mais Pourang les interrompt et déclare : « En magie, il n’y a jamais véritablement de fin définitive. Que va-ton faire des petits morceaux de papier colorés qui vous ont été donnés au départ et remplis par vous-mêmes avec un chiffre de 1 à 9 ? » Parmi ceux qui ont été ramassés, le mentaliste en prend quatre de couleurs différentes et il reconstitue un nombre à quatre chiffres. Qu’est-ce que cela peut signifier ? C’est exactement le jour et le mois de naissance de Cassandre que le mentaliste avait mentionnés au début du spectacle, en affirmant qu’il fallait y prêter une attention particulière.

Voilà ! Le spectateur sort soit perplexe, soit désorienté, soit enthousiaste du show de Pourang, mais jamais indifférent. Qui a dit que la France n’avait pas de formidables talents en mentalisme comme les Etats-Unis ou l’Angleterre ? 

Après cette description détaillée du spectacle, je vais vous donner quelques éléments complémentaires sur la vie et l’œuvre de notre mentaliste.

1) Aperçus biographiques.
Pourang est né à Téhéran. Il est venu en France dans les années 80 à l’âge de 14 ans et a obtenu un diplôme international à l’école Américaine de Paris, ce qui lui a permis de suivre des études de médecine. Il s’est vite intéressé à la magie, mais d’abord au close-up, puis s’est spécialisé dans le domaine du mentalisme. Il est membre de différentes associations magiques : la FFAP, le CFI, l’OEDM. Outre ses spectacles, il donne des conférences sur les principes du mentalisme.
L’idée de L’œil de Cassandre lui est venue en lisant le livre de Bernard Werber, Le Miroir de Cassandre. Il a pensé que la vie tragique de cette jeune femme serait pour son spectacle un excellent fil conducteur et lui permettrait de raconter une véritable histoire à son public, ce qui est déterminant en matière de mentalisme ou de magie.

2) Bibliographie succincte sur le mentalisme.
Il y a trois très bons livres par lesquels on peut débuter si l’on s’intéresse au mentalisme. Je les cite dans cet article de mon blog. Cependant, il vous faudra, je pense, beaucoup de travail et de lectures avant de devenir l’égal de Pourang.

3) Sites Internet qui donnent des informations sur Pourang.
On peut trouver une interview dans « Sortir à Paris » au sujet de son parcours professionnel et dans Nouvelles de Paris un article sur le spectacle qui vient d’être décrit, L’œil de Cassandre.

Vous trouverez aussi de nombreuses vidéos sur YouTube : démonstrations de mentalisme, extraits du show, etc.




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