jeudi 28 février 2019

Compte rendu de l’article « Zazen » dans le « Dictionnaire de la sagesse orientale ».



 Le livre en question.


Cet article est la suite de celui-ci. 

Zazen : za : « être assis », zen [en] «méditation ». Pratique méditative enseignée par le zen comme la voie la plus directe pour parvenir à l'Illumination (Kenshô, Satori). Le Zazen n'est toutefois pas tout à fait une méditation au sens habituel du terme, supposant, au moins dans un premier temps, de fixer son esprit sur un « objet de méditation » (par exemple un mandala ou la représentation iconographique d'un bodhisattva), ou de concentrer sa réflexion sur une qualité abstraite (comme le caractère éphémère des choses ou la compassion). Le but du Zazen est de libérer l'esprit du carcan des idées, des images, des visions et des objets, si sacrés et sublimes soient-ils.

Les aides à l'exercice du Zazen que sont par exemple les kôan ne constituent pas de véritables objets de méditation, car ils reposent par essence sur le paradoxe, c'est-à-dire, comme l'indique la traduction littérale du mot grec, ce qui se trouve « au-delà (grec : para) de la pensée (grec : dokein) », « au-delà du concevable ».

Dans sa forme la plus pure, le Zazen permet de demeurer dans un état qui ne se fixe sur aucun objet et ne s'attache à aucun contenu (Shikantaza). Pratiqué pendant une assez longue période avec persévérance et don total de soi, le Zazen transporte l'esprit de l'homme « assis » dans un état de lucidité nue et parfaite qui, par une brusque révélation, peut permettre d'accéder à l'Illumination de sa Vraie Nature ou nature de bouddha (Busshô), identique à l'essence de l'univers dans son entier.

Comme l'indique la particule « zen » ou « recueillement », le Zazen ou « recueillement assis » constitue l'alpha et l'oméga du zen. Pas de zen sans Zazen. Les kôan, comme celui où un grand maître du zen indique à ses élèves que « ce n'est pas en restant assis (Zazen) que l'on devient un bouddha », donnèrent parfois lieu à des interprétations erronées. Ces maitres ne voulaient pas dire qu'ils considéraient la pratique du Zazen comme inutile puisque tout homme est depuis toujours un bouddha. L'idée, essentielle pour le bouddhisme et le zen, que toute créature possède dès l'origine une nature de bouddha n'empêche pas le zen d'opérer une distinction très nette entre celui qui se contente de croire par un acte de foi à la vérité du dogme et celui qui en a fait lui-même l'expérience immédiate, dans son sens le plus profond. C'est cette expérience que l'on appelle « éveil » (Illumination) et à laquelle l'exercice du Zazen permet d'aboutir.

Comme le démontra le premier patriarche du ch'an (Bodhidharma) en restant neuf ans assis en pleine méditation au monastère de Shao-lin, le Zazen est bien la pratique centrale du zen. Tous les maîtres du zen le célèbrent, à l'image de Dôgen, comme le « passage qui permet de parvenir à la Délivrance parfaite ». Dans son Zazen-wasan, l'« Hymne au Zazen », le grand maître du zen Hakuin Zenji chante :

« Le Zazen tel que l'enseigne le Mahâyâna :
Aucune louange ne saurait en épuiser les mérites.
Les six Pâramitâ, la pratique de l'aumône, le respect des commandements,
toutes les bonnes actions énumérées en divers lieux,
Tout vient du Zazen.
Les mérites d'un seul Zazen suffisent à effacer
Les fautes innombrables accumulées dans le passé. »


La suite donc sur le bouddhisme zen au prochain numéro comme dans les romans-feuilletons du dix-neuvième siècle ou dans les séries télévisées américaines actuelles. Amicales salutations.

mardi 26 février 2019

Hommage à James Hodges, association Magie, Histoire et Collections, soirée du 25 février 2019.



Un ouvrage de James Hodges.


Suite au décès de James Hodges le 3 février, les collectionneurs de magie de l’association Magie, Histoire et Collections ont décidé de lui consacrer leur soirée du mois de février pour lui rendre hommage.

James Hodges était, comme il l’affirmait lui-même, « un touche-à-tout » en magie, mais un touche-à-tout de génie, comme le fut naguère l’écrivain Jean Cocteau. Il était dessinateur, illustrateur, affichiste, constructeur d’objets de magie et d’automates, ventriloque-marionnettiste, illusionniste, dompteur, clown, et… bien d’autres choses encore, en un mot un « créateur ».

La soirée-hommage a été animée par Jean-Luc Muller (Mandrake), réalisateur de plusieurs documentaires sur la magie, auteur, musicien, qui a tourné en 2008 un film sur James Hodges à la Maison de la Magie à Blois, à l’occasion des 80 ans de celui-ci.

Cette soirée a été tellement riche en interventions et en informations qu’il m’est complètement  impossible d’en résumer la teneur dans un seul article de ce blog. Je ne donnerai que quelques pistes sur une œuvre et un créateur immenses, un monument de la magie.

Le prestidigitateur Jean Merlin a d'abord raconté l’aventure incroyable de la revue magique Mad Magic avec comme dessinateur exclusif James Hodges.

Georges Proust, le créateur de l’Académie de magie à Paris, a précisé que James Hodges avait dessiné 1300 explications de tours de magie pour son musée, soit 5000 pages de dessins.

On peut estimer que James Hodges a écrit à peu près 70 livres de magie et 50 brochures sur le sujet (depuis les différents tomes des Grandes illusions, Illusions théâtrales, L’œil optique, Des trucs pour épater les nanas (deux volumes) jusqu’à Les trucages du corps, Les entresorts - Tome 1, en 2009 et L’alu et moi en 2016, un de ses derniers ouvrages).

Mais il a aussi illustré des boîtes de magie pour Gérard Majax (pour lequel il également travaillé et tourné à la télévision) et confectionné des dizaines de jeux de cartes différents (le jeu de Madame Soleil, le jeu des Saints Patrons, un jeu de tarot, un jeu sur le football, un jeu des chansons à boire, le  jeu des familles Thierry La Fronde pour Grimaud, etc.).

James Hodges a même réalisé l’affiche d’un film pseudo érotique Eve et les bonnes pommes de Claude Sendron en 1965.

Les bandes dessinées érotiques dessinées par James Hodges pour les périodiques « Petits Formats Adultes », magazines « Sexovid » et « Erotik Story », ont aussi été évoquées et montrées.

Il a été question de son expérience dans l’hebdomadaire Le Hérisson des années 90 avec des dessins de pin-ups et des explications en BD de tours de magie.

Sur ce sujet à consulter absolument les passionnants articles de bdzoom.com sur James Hodges :
Et une bibliographie sur le site « bedetheque »

1) Étaient donc présents pour rendre hommage à James Hodges (d’avance pardon à ceux que ceux que j’oublie, vous étiez trop nombreux !).

D’abord les invitées d’honneur : la femme de James Hodges, Liliane, deux de ses filles, Vanina et Maïlys.

a) Ceux que j’appellerais les « Prestidigitateurs institutionnels » : Gérard Majax, Gaétan Bloom, Jean-Merlin, Pierre Switon, Georges Proust, le fondateur de l’Académie de magie à Paris.

b) Les prestidigitateurs Claude Abacus (Claude Litolff), Roger Roka, Alain Florimond-Filaos, Patrick Rivet, Gilles Mageux, Valérie, la spécialiste du « Quick Change ».

c) Le mentaliste Gilles Rollini, le mnémotechnicien, prestidigitateur, peintre illustrateur, Richard Martens, le théoricien et historien de la magie Thibault Rioult (auteur d’une thèse de doctorat sur la magie de la Renaissance).

d) Les collectionneurs et prestidigitateurs, Jean-Claude Piveteau, Georges Naudet, Claude Aribeau, François Voignier.

2) Interventions sur James Hodges

a) Jean-Merlin

b) Gérard Majax

c) Gaétan Bloom

d) Georges Proust

e) Patrick Rivet

f) Le collectionneur et magicien Jean-Claude Piveteau

g) Le collectionneur et magicien Georges Naudet


3) Renseignements complémentaires sur James Hodges

a) Wikipédia

b) Le site très détaillé et très complet créé par sa fille Vanina


Voilà. C’est tout pour le moment. Amitiés à tous.

lundi 25 février 2019

Vie, œuvres et idées de Maître Dôgen (1200-1253), le fondateur du zen Soto au Japon.




Maître Dôgen. 

Disciple de plusieurs maîtres chinois et maître de Ejo, il implanta le zen Soto au Japon et fonda le temple Eiheiji. Son œuvre maîtresse est le Shobogenzo (Le Trésor de l'œil de la Vraie Loi). Ses principales autres œuvres sont : le Eihei koroku (Extensive Record de Dōgen), le Eihei shingi (Règles de pureté Eihei) dont le premier chapitre est le Tenzo kyokun (Les instructions au cuisinier), le Fukanzazengi (Pour la diffusion universelle des principes du zazen), le Gakudojojinshu (Conseils pour étudier le chemin), le Shobogenzo zuimonki (Trésor du véritable œil du dharma: récit des choses entendues), ainsi que les poèmes du Sansho doei (Versets sur le chemin de Sansho).


Quelques précisions sur ses œuvres principales,



        Le Fukanzazengi, « Recommandations générales sur les règles du zazen », écrit dès 1227, où il rectifie certaines idées selon lui erronées sur la méditation, et qui est devenu l'objet d'une récitation quotidienne lors des méditations du soir dans les monastères.

        Le Gakudojinshu, « Recueil des points à observer dans l'étude de la voie », écrit en 1234 pour guider ses étudiants le long de la voie.

        Et surtout son chef-d’œuvre, le volumineux et difficile Shôbôgenzô, « Le Trésor de l'œil du vrai Dharma » qui est en fait une compilation de ses écrits et de ses sermons pendant les vingt dernières années de sa vie, auquel on peut adjoindre le Shôbôgenzô zuimonki, série d'enseignements oraux de Dôgen recueillis et mis en forme par son disciple Ejô.

 

Biographie :



Eihei Dôgen fut, semble-t-il, orphelin de père à deux ans et de mère à sept ans. Adopté par un oncle, il s'enfuit à douze ans chez un autre de ses oncles vivant au pied du mont Hiei. En 1213, il entre au monastère du Hieizan, puis séjourne peut-être au monastère de Miidera de l'école Tendai à tendance ésotérique (Mikkyô).

Selon l'interprétation traditionnelle, son questionnement — « Pourquoi, si notre nature essentielle est la bodhi, pourquoi tous les bouddhas doivent-ils lutter durement avant d’atteindre le plein Éveil ? » - le mène au Kennin-ji fondé par Eisai (Yôsai), monastère tendai où ce dernier a introduit le courant Rinzai. Eisai étant mort en 1215, Dôgen suit les enseignements d'un de ses disciples, Myôzen (1184-1225), pendant neuf ans. 

En 1223, il l'accompagne en Chine, séjourne un temps au monastère Tiantongsi sous la direction de Musai Zenji, puis poursuit sa quête avant de revenir en ce même monastère, où il devient en 1225 le disciple du nouvel abbé, Tiantong Rujing (1163-1228), un maître de l'école Caodông. Dôgen connaît un profond Éveil et reçoit la transmission. De retour au Japon en 1227, il s'installe d'abord au Kennin-ji, à Kyôto, avant de déménager en 1230 dans un temple désaffecté, l'Anyôin. En 1234, il rencontre Ejô, son principal disciple, qui lui succédera plus tard.

Vers 1237, il fonde le temple de Kôshô-ji, non loin de Kyôto, où il va enseigner durant dix ans. C'est le premier monastère zen au Japon. L'afflux des auditeurs diversement motivés, la proximité du Hieizan hostile au Zen, le décidèrent sans doute à se retirer dans un ermitage de montagne à Echizen. Bientôt, grâce aux dons et à la protection d'Hatano Yoshishige, le représentant du shôgun à Kyôto, l'ermitage se transforma en un grand monastère, 1 'Eihei-ji, devenu depuis le siège de l'école Soto. En 1253, Dôgen Zenji remet à Ejô ses fonctions d'abbé de l'Eihei-ji et meurt quelques semaines plus tard à Kyôto.



L’enseignement de Dôgen repose essentiellement sur trois points principaux :

1.- La pratique sans but ni objet (mushotoku)
2.- L’abandon du corps et de l’esprit (shin jin datsu raku)
3.- La pratique est elle-même satori (shu sho ichi nyo)


Maître Deshimaru a synthétisé sept principes du zen selon Maître Dôgen. Voici ses commentaires :

1) Zazen et satori (illumination) sont unité.
Shu sho ichi nyo

Shu (la pratique de zazen), c’est retourner à l’origine. Le corps et l’esprit retrouvent leur condition normale. Le vrai sens est s’éveiller, remarquer, prendre conscience, comprendre la vérité. Lorsque l’esprit est clair, Sho, le satori (illumination), peut jaillir à partir de pensées mauvaises ou bonnes. Je répète toujours que, durant zazen, il faut aller de pensée en non-pensée, de non-pensée en pensée. Telle est la conscience hishiryo (L’au-delà de la pensée, penser du tréfonds de la non-pensée. Penser sans penser, sentir sans sentir. La conscience hishiryo apparaît quand la conscience personnelle suit l’ordre cosmique.)
Zazen lui-même est pratique-réalisation.
Shu, la pratique de zazen, touche non seulement votre propre personne mais aussi les autres. Faire zazen pour les autres. Durant zazen, vous devenez unité avec vos voisins. Tel est le véritable bouddhisme Mahayana. Zazen lui-même est Bouddha.
Pour Dôgen, la culture ou pratique (« shu ») ne mène pas à l'Éveil et l’Eveil n'est pas le couronnement de la pratique. En pratiquant on est éveillé et, dans l'Éveil, il n'y a que pratique. Ce principe servira par la suite de justification au caractère ritualiste du Zen Soto. L'important, selon lui, était la méditation assise, ou zazen, en tant que voie immédiate : « Vénérer les statues ou les reliques [du Bouddha] assure aux hommes et aux dieux leur part de bonheur [...], mais c'est une erreur de penser que l’on obtient l'Éveil par ces moyens. Un pratiquant bouddhiste suit les enseignements de manière à parvenir immédiatement à l'état de bouddha et, pour y parvenir, il lui suffit de se conformer aux enseignements, de pratiquer zazen. La méditation assise est, à ce jour, dans les monastères, la pratique réelle conforme aux enseignements. Rappelez-vous-en » (Shôbôgenzô zuimonki).


2) Tous les êtres et Bouddha sont unité.
Sho butsu ichi nyo

Sho, tous les êtres vivants, toutes les existences vivantes.
Le kanji sho signifie vivant ; butsu : Bouddha ; ichi nyo : sont unité. Les êtres sensibles et Bouddha sont identiques, nous-mêmes et Bouddha sommes semblables.
La religion de Dôgen diffère du bouddhisme et de toutes les religions, selon lesquelles Dieu et nous sommes complètement différents, séparés et en dualité.
Les êtres sensibles et Bouddha sont unité.
Qui fait zazen ? Bien sûr, c’est moi. Qui êtes-vous ? À la fin, il n’y a pas de noumène. Toutes les existences sont sans noumène. Elles deviennent ku (vide). Ku, ici et maintenant, devient les phénomènes. C’est mujo (l’impermanence), tout change sans cesse. L’on devient parfois Bouddha, parfois un ivrogne, un obsédé sexuel, un fou, un prisonnier. On est tour à tour stupide et intelligent.
Dans la philosophie et la religion européennes, le dualisme règne pour l’éternité. Dieu et le démon ne peuvent être en unité. Dans le bouddhisme, Bouddha et le démon peuvent être amis et être en unité.

3.- Zazen est la plus grande vérité.
Shoden no buppo
Shoden, la vraie transmission. Le vrai bouddhisme est seulement zazen.
Le vrai bouddhisme transmis passe par la pratique de zazen, sinon ce n'est que de l'imagination. Tous les maîtres de la transmission l'ont certifié. Shoden no buppo est le monde de la vérité. On sépare souvent le monde de la vérité et celui des phénomènes. Mais :
Shiki soku ze ku,
Ku soku ze shiki.
Les phénomènes sont la vacuité,
La vacuité est les phénomènes.
Le Zen existe seulement de Bouddha en Bouddha, de Patriarche en Patriarche, à travers zazen. Le corps et l'esprit sont unité et reliés à tout le cosmos. Il n'y a pas de séparation. Tout le cosmos est le véritable corps-esprit. Il faut le comprendre à partir du corps, à travers zazen.
Qu'est-ce qu'étudier la Voie, le Zen ? Faire zazen, shikantaza, au-delà de la conscience personnelle. Lorsqu'on pratique zazen, à ce moment-là, le corps-esprit devient le cosmos lui-même, et vice versa. Telle est la véritable essence du Zen, le véritable shoden no buppo, l’essence du zen, l’essence des religions.

4.- Le samadhi de zazen.
Jijuyu zanmai

Jijuyu veut dire accepter, recevoir par soi-même ; zanmai (le samadhi). Le samadhi est reçu par soi-même, seul. On peut seul en recueillir la joie. Les autres ne peuvent pas le comprendre. Le samadhi du zen, c’est hishiryo (L’au-delà de la pensée, penser du tréfonds de la non-pensée. Penser sans penser, sentir sans sentir. La conscience hishiryo apparaît quand la conscience personnelle suit l’ordre cosmique). C’est un point très important par rapport aux autres religions où cette notion n’existe pas. Hishiryo est le vrai samadhi, l’authentique joie. Si l’on fait zazen, à ce moment-là, on peut atteindre le vrai kaku soku.
Qu’est-ce que kaku soku ? (c’est le maître Keizan Jôkin qui a inventé cette expression.) Parfois, il est difficile de donner une traduction juste. Maître Kodo Sawaki parlait souvent de kaku soku. Kaku est très important. Kaku, l’intuition. Soku, toucher. Comprendre par le toucher, le sentir, l’être.
Je dis toujours, si vous pratiquez zazen, votre zazen lui-même est Dieu ou Bouddha. Inutile de penser : « Je dois me connecter avec le cosmos. » Durant zazen, ce lien s’établit automatiquement à travers le corps et l’esprit, même si des pensées personnelles apparaissent. En faisant zazen, vous pouvez devenir jijuyu zanmai. En vous rasant, en revêtant le kesa (robe des moines et des nonnes composée de plusieurs bandes de tissu rectangulaires. Drapé sur l’épaule gauche, le kesa se porte sur le kolomo noir) et le kolomo (nom donné au vêtement du moine et de la nonne zen. Il s'agit d'un kimono à manches longues, le plus souvent en coton), en pratiquant zazen, vous suivez le véritable Dharma et devenez jijuyu zanmai.
Jijuyu zanmai. Abandonner l’ego, suivre l’ordre cosmique. Ainsi, la vie prend une valeur véritable. Si l’ego et le cosmos sont en harmonie, on ne tombe pas malade et le corps devient fort comme celui d’un lion ou d’un tigre. Les gens qui attrapent froid sont comme des grenouilles. Elles n’ont pas assez de force sous le nombril. Je remarque que durant zazen, chacun de vous est très malin. Vos postures se développent. Vous devenez des saints. Mais en sortant du dojo, on revient vite à la condition anormale et on tombe dans le monde des phénomènes, du social, du vulgaire. Si la direction de l’esprit est erronée, même si vous continuez zazen jusqu’à votre mort, ce n’est pas efficace.

5.- L’enseignement et la pratique sont unité.
Kyo gyo sho itto

Kyo gyo sho itto. Kyo, enseignement ; gyo, pratique ; sho (comme dans shu sho), satori, sagesse, compréhension ; itto (analogue à ichi nyo), unité. Enseignement, pratique, satori n’existent pas séparément et ne sont qu’une seule et même chose.
Dans les religions, on retrouve presque toujours cette notion de trinité. Le christianisme s’appuie sur la Bible, le bouddhisme sur les sutras. La Bible et les sutras sont kyo. Mais l’essentiel est la pratique, gyo. La littérature, les romans sont uniquement faits pour être lus. Si on devait les réaliser, cela deviendrait démoniaque. Tandis que si on suit la Bible ou les sutras, on ne commet pas d’erreur et on peut devenir une personne sainte. Sho, le satori, apparaît.
Kyo gyo sho itto, pratique, sagesse, satori ne sont pas séparés. Il n’y a pas d’intervalle entre kyo, gyo et sho, pas de différence. Il n’y a pas de satori, sho, sans kyo gyo. Il n’y a pas de kyo, gyo, sans sho. Ils sont unité. Sans cette unité, il n’y a pas de religion. Malheureusement, les religions les séparent souvent.

6.- Au-delà de Bouddha.
Butsu kojo no homon

Bien que Bouddha soit l’idéal de notre démarche dans la vie quotidienne, il ne faut pas y être trop attaché. Il faut être au-delà de Bouddha. Trop d’attachement fait qu’on le sépare de soi et ainsi devient-il un objet extérieur. Nous devons devenir Bouddha lui-même qui existe dans notre corps et notre esprit.
Dans presque toutes les religions, Dieu ou Bouddha est un objet de foi auquel les gens sont trop attachés. Une telle attitude dénote un esprit erroné. Dans la conscience et le cerveau se crée alors un dualisme entre soi et l’objet de la foi. L’unité est rompue. Cela ne signifie pas qu’il ne faille pas respecter Bouddha, mais il ne faut pas en dépendre. Agir avec un esprit mushotoku, sans but ni profit, est l’attitude la plus exacte.
Ici et maintenant, nous devons trouver Dieu ou Bouddha en nous-mêmes, devenir Bouddha. La statue de Bouddha, même placée dans le dojo, n’est qu’une sculpture. N’y soyez pas trop attachés. Lorsque je rentre dans le dojo et que je fais sanpai (suite de trois prosternations devant Bouddha en total abandon du corps et de l’esprit), je m’incline certes devant la statue de Bouddha, mais surtout pour vous qui êtes devenus des bouddhas vivants. Par les sanpai, une unité se crée entre tous les disciples et la force cosmique. Lorsque le disciple étale son zagu (pièce d’étoffe que l’on déplie devant soi pour faire sanpai. Grâce au zagu le kesa ne touche pas le sol.) et qu’il touche celui du maître, c’est le symbole de i shin den shin (d’esprit à esprit, de mon cœur à ton cœur), de la communication parfaite, de l’unité entre maître et disciple.
Butsu kojo no homon, au-delà de Bouddha est la porte du Dharma. Il ne faut pas être limité par Dieu ou Bouddha ni par les sutras, la Bible ou les préceptes. La vraie liberté existe dans notre esprit, au-delà de Dieu ou de Bouddha. Telle est la vraie religion.

7.- Corps et esprit sont unité.
Shin jin ichi nyo

C’est un point très important. Le corps et l’esprit ne sont pas séparés, contrairement à ce qu’avait dit Descartes, influençant la médecine jusqu’à nos jours. Les médecins n’étudient que le corps, mais la plupart des maladies proviennent de l’esprit. Les docteurs l’ignorent et n’étudient que les organes.
La pratique de zazen est semblable à l’image du cheval de course : « Pas d’homme sur la selle pendant la course. Sous la selle, pas de cheval. » C’est un koan. Il n’y a pas de cheval sous cette selle. Il n’y a pas non plus de cavalier. Le jockey, le cavalier comprend qu’il doit diriger le cheval avec les rênes et les pieds. Il doit aussi comprendre l’esprit du cheval. La selle, c’est zazen. En pratiquant zazen, on peut réaliser la conscience hishiryo (l’au-delà de la pensée, penser du tréfonds de la non-pensée. Penser sans penser, sentir sans sentir. La conscience hishiryo apparaît quand la conscience personnelle suit l’ordre cosmique). Hi signifie au-delà. Il est semblable à ku, l’infini. Dans le zen Soto, l’ultime secret est shin jin ichi nyo. Le corps et l’esprit sont unité, ichi nyo.

Dôgen s'est élevé contre la théorie de mappô selon laquelle on ne peut plus guère pratiquer par soi-même, la prière et la foi dans la force des bouddhas étant le seul recours des êtres. Il est au contraire possible, selon lui, de raviver le « vrai Dharma » (JAP. shôbô) en cette ère de mappô, d'où le  titre qu'il donnera d'ailleurs à son œuvre principale, « Trésor de l'œil du vrai Dharma » (JAP. Shôbôgenzo). Par ailleurs, Dôgen insista sur la nécessité de la bodhicitta et de la discipline morale dans la pratique. Il préconisa la prise des dix grands préceptes tirés du Brahmâjâlasutra comme étant « parfaits et com-plets ». Il instaura aussi l'usage des règles de comportement communautaire fixées à la suite de Baizhang, justifiant le travail quotidien des moines et le maintien de la chasteté dans les monastères.

Contrairement aux tenants du Chan chinois qui déclarent le Chan ineffable, il souligne l'importance des mots et du langage dans la transmission. S'il préconise shikantaza, « juste s'asseoir », Dôgen n'en néglige pas pour autant l'importance  de l'étude : «Écouter le Dharma touche et transforme l'esprit comme la conscience. Le zazen, quant à lui, unifie la pratique et la réalisation. C'est ainsi qu'on entre dans la voie du Bouddha » (Gakudojinshu).

Quelques références :

1) Un article en ligne d’Erik Pigani sur le site du journal « Psychologies »

2) Un article dans un petit livret joint au journal « Psychologies » n°394, février 2019, « 10 maîtres de vie indispensables, tome II », « Maître Dôgen, le fondateur du zen » par Erik Pigani.

3) Histoire du zen Soto par l’Association Zen Internationale

4) Les sept principes de Dôgen commentés par Maître Deshimaru

5) Des réponses de maître Dôgen

6) Un livre sur maître Dôgen de Jacques Brosse


Voilà. C’est tout pour le moment. Amitiés à tous.



dimanche 24 février 2019

Borges et le bouddhisme : étude de l’ouvrage " Qu’est-ce que le bouddhisme ? " par Jorge Luis Borges et Alicia Jurado (1976) (septième partie : le bouddhisme zen, troisième sous-partie).




Ikebana.



Cet article est la suite de celui-ci
  
Le Zen a influé et continue d'influer sur la vie quotidienne des communautés qui le professent. Les divers arts — l'architecture, la poésie, le dessin, la peinture, la calligraphie — témoignent de cette influence. Omettre délibérément et s'en tenir à suggérer en sont les caractéristiques essentielles ; rappelons-nous les dessins laconiques et les brèves strophes des tanka et des haïkus. Voici quelques exemples de ces derniers :

Plus fugace que l'éclat d'une feuille emportée par le vent, cette chose, la vie.

L'épouse sans enfants, avec quelle tendresse ne touche-t-elle pas les poupées du magasin?

Prunier sur la berge : l'eau emporte-t-elle vraiment tes fleurs reflétées ?

Sur les marches du temple, je tends vers la lune d'automne mon vrai visage.

De même, le difficile apprentissage dans l'art du maniement de l'épée et de l'arc n'est pas non plus une fin en soi, mais un exercice spirituel : le maître décoche la flèche dans l'obscurité et atteint le cœur de la cible, mais cela est moins important que la discipline mentale qui a précédé l'exploit.

L'ikebana, dont le sens littéral est l'immersion de plantes vivantes dans l'eau, coïncide avec l'introduction du bouddhisme ; cette pratique fut, à l'origine, rituelle et monastique, et elle se généralisa par la suite. Il n'y a pas de maison japonaise où l'on ne dispose des fleurs ou des branches dans le tokonoma, niche murale qui tient lieu de sanctuaire et qu'on montre toujours aux hôtes de passage. La pratique de l'ikebana exige une grande concentration d'esprit, non seulement au moment du choix des fleurs, mais encore dans la disposition des éléments qui le composent, et qui doit suivre le schéma, toujours asymétrique, formé par les trois lignes qui symbolisent le ciel, la terre et l'homme. La réussite esthétique vient par surcroît ; ce qui est fondamental, c'est le sentiment religieux de celui qui a créé et de celui qui contemple l'œuvre. Il est fréquent qu'on s'incline devant la composition, avant et après l'avoir admirée.

Les jardins du Japon sont célèbres ; beaucoup sont conçus comme des tableaux, ils ne sont habituellement pas très grands et l'on cherche dans leur composition à imiter la nature, en évitant la symétrie et les couleurs vives. L'eau, si elle fait défaut, est simulée par du sable; les rochers et les arbustes aux formes harmonieuses y abondent. Le plus célèbre des jardins de ce type est celui de Ryoan-Ji, à Kyoto; il mesure trente mètres de long sur dix de large et comporte quinze rochers, des grands et des petits, disposés en cinq groupes diversement ordonnés et asymétriquement distribués. Il date du début du XVI ème siècle et on le considère comme la quintessence de l'art zen.

Caractéristique du Zen est aussi la cérémonie du thé, qui se déroule dans des pavillons destinés à cette fin ou dans des demeures familiales. Le caractère religieux de ce rite se reconnaît à la digne lenteur de l'officiant, à la parcimonie des propos échangés, à l'attitude respectueuse des commensaux, à la beauté et à la propreté des objets utilisés. Dans le Zen, l'exécution des actes les plus ordinaires peut être accompagnée d'un sentiment religieux et doit rendre notre vie plus belle.

  
La suite donc sur le bouddhisme zen une prochaine fois comme dans les romans-feuilletons du dix-neuvième siècle ou dans les séries télévisées américaines actuelles. Amicales salutations.


Compte rendu du livre « Le Moi, la Faim et l’Agressivité » de Fritz Perls (première partie).





Le livre en question.


Je viens de lire un livre que j’ai trouvé à la fois précis et très bien conçu sur les thèmes de base de la Gestalt-thérapie. Il s’agit de  « Le Moi, la Faim et l’Agressivité »  de Fritz Perls (il y décrit pour la première fois les fondements de sa théorie gestaltiste).

Cet article est la suite de celui-ci.  


Introduction

Pour le lecteur d'aujourd'hui, Le Moi, la Faim et l'Agressivité constitue en quelque sorte la transition entre 1a psychanalyse orthodoxe et la « Gestalt ». Mais quantité d'idées exprimées dans cet ouvrage sont encore — plus de vingt ans après sa première édition — ignorées de la psychiatrie moderne.

Si l'on accepte désormais les concepts de la réalité hic et nunc de l'organisme considéré comme un tout et de la prédominance absolue du besoin le plus urgent, en revanche l'on comprend encore assez difficilement ce que signifie l'agressivité en tant que force biologique, la relation entre agressivité et assimilation, la nature symbolique du Moi, l'attitude phobique dans la névrose et l'unité organisme-environnement.

La dernière décennie a vu reconnaître la théorie de la conscience, mise en pratique par les trainings sensitifs et les groupes de training. On a également accepté la validité de l'expression spontanée non verbale (mouvements des mains et des yeux, postures, voix, etc.). Dans le contexte thérapeutique, on passe peu à peu de la pratique du divan, phobique (encore que prétendue objective), à la rencontre entre un thérapeute humain et un autre humain, qui n'est plus un « cas ».

C'est là un début prometteur, mais il reste encore beaucoup à faire. La majorité des thérapeutes et de leurs patients ne s'est pas encore rendu compte qu'il faut probablement renoncer aux thérapies individuelles et aux thérapies de longue durée, Bien sûr, on voit se développer les groupes et les ateliers, mais souvent davantage pour des raisons de facilité économique que d'efficacité. Il faudrait cependant que la séance individuelle constitue plutôt l'exception que la règle. Sans doute ces quelques phrases paraissent-elles aussi hérétiques que la proposition que j'ai émise voici quelque temps : s'occuper du comportement dans l'abstrait et en dehors des référents de temps et d'espace actuels constitue une perte de temps pure et simple. Depuis les gigantesques découvertes de Freud, la psychanalyse a fait des progrès considérables. Citons notamment : l'accent mis par Sullivan sur le respect de soi (ou l'amour-propre) ; le concept des jeux de Berne; celui de Roger sur le feed-back et plus particulièrement la mise à jour par Reich de la psychologie des résistances. Le passage de la symptomatique à la caractérologie, puis à la thérapie existen­tielle, et enfin à la psychologie humaniste, est des plus prometteurs.

Depuis l'époque où je rédigeais le manuscrit de la Gestalt-thérapie, j'ai formulé de nouvelles idées. J'ai surtout réussi à briser le sentiment d'impasse et de statu quo auquel se heurte en général la thérapie. Sans projet approprié, le thérapeute est perdu d'avance. Rien n'empêchera le patient de contrebalancer les efforts du praticien, ni l'emploi des meilleures techniques, pas plus que le recours aux concepts les plus ingénieux, Dès lors, la thérapie se fige et rien ne peut vraiment aller à son terme.
Le Moi, la Faim et l'Agressivité faciliteront les choses dans la perspective que j'ai évoquée. Et, ne l'oublions pas, toute perspective se fonde sur des polarités et l'attraction d'un centre, d'où l'importance du premier chapitre malgré sa difficulté de lecture. Ici, comme dans le reste du livre, une part importante du matériel historique est aujourd'hui démodée, mais la signification de l'agression mal placée demeure aussi valable qu'autrefois. Le transfert de l'agression, de la destruction des villes et des êtres à l'assimilation et à la croissance... puisse-t-il se réaliser... Mais c'est bien improbable.


Voilà. C’est tout pour le moment comme dans les séries télé américaines ou les romans-feuilletons du dix-neuvième siècle. Amitiés à tous.


samedi 23 février 2019

Pause dans le blog avec Osho (vingt troisième partie) (Le livre des secrets, « Le monde des Tantras », deuxième partie).



   
Osho

  
Osho au départ ne s’appelait pas Osho. Il est né sous le nom de Rajneesh Chandra Mohan Jain. Puis il s’est fait connaître dans les années 70 et 80 en se présentant comme Bhagwan Shree Rajneesh. Il publie en 1974 The book of secrets (Le livre des secrets), un livre au titre mystérieux mais au contenu passionnant. Osho est pour moi un des écrivains qui a le mieux parlé de la spiritualité et de la méditation. Il était mystique mais ne croyait à aucun dieu. Il a fait scandale avec la révélation de sa grande fortune personnelle (il possédait plusieurs voitures de luxe). Il y a plusieurs ouvrages de lui que j’ai beaucoup aimés (par exemple Être en pleine conscience, une présence à la vie et Autobiographie d’un mystique spirituellement incorrect).


Cet article est la suite de celui-ci.

Le monde des Tantras (deuxième partie)

Le second point que je veux souligner, c'est qu'il est question d'un autre type de langage. Il faut savoir certaines choses avant d'y pénétrer. Tous les traités tantriques se composent de dialogues entre Shiva et Devi. Devi questionne et Shiva répond. Tous les traités commencent comme ça. Pourquoi ? Pourquoi cette méthode ? Elle est très significative. 

Ce n'est pas un dialogue entre un maître et son disciple c'est un dialogue entre deux amants. Le tantrisme prend alors un sens particulier : les enseignements les plus profonds ne peuvent se donner, s'il n'y a pas d'amour entre celui qui enseigne et et celui qui  apprend, entre le disciple et le maître. Il faut que le disciple et le maître deviennent profondément amoureux. Il faut qu'un amour profond les lie. Ce n'est que dans ces conditions que le plus noble, l'au-delà, peut être exprimé.


C'est donc un langage d'amour : le disciple doit être dans une attitude d'amour. Ce n'est pas non plus suffisant, parce que des amis peuvent être amants. Les tantras disent que le  disciple doit être en état de réceptivité. En état de réceptivité féminine. Ce n'est que dans ce cas que quelque chose est possible. Il ne faut pas nécessairement être une femme pour être un disciple, mais il faut être en état de réceptivité féminine. Devi demande, la femme demande. Pourquoi cette emphase sur l'attitude féminine ?

L'homme et la femme ne sont pas seulement différents physiquement : ils le sont aussi psychologiquement. Le sexe n'est pas uniquement une différence corporelle. Il implique également une différence psychologique. L'esprit féminin est réceptivité — réceptivité totale, reddition, amour. Il faut que le disciple se mette dans un état de psychologie féminine. Autrement, il ne pourra pas apprendre. Vous pouvez poser des questions : si vous n'êtes pas ouvert, vous n'obtiendrez pas de réponse. Vous pouvez poser une question et rester pourtant fermé. La réponse ne peut, dans ce cas, vous pénétrer. Vos portes sont fermées ; vous êtes mort. Vous n'êtes pas ouvert.

La psychologie moderne, la psychologie des profondeurs, affirme à présent que l'être humain est à la fois homme et femme. Personne n'est uniquement mâle ou femelle. Tout le monde est bisexué. Les deux sexes coexistent en chacun de nous. C'est une nouvelle découverte pour l'Occident mais c'est un des concepts tes plus fondamentaux des tantras depuis des milliers d'années. Vous avez dû voir des représentations de Shiva en ardhanarishwar — mi-homme, mi-femme. C'est un concept unique dans l'histoire de l'homme. Shiva est à la fois homme et femme.

Ainsi Devi n'est pas seulement sa conjointe. Elle est l'autre moitié de Shiva. Et si le disciple ne devient pas l'autre moitié de son maître, il est impossible de lui communiquer les enseignements les plus élevés, les méthodes ésotériques. Quand vous ne faites plus qu'un avec le maître, totalement, profondément, alors, le doute n'existe plus. La discussion, la logique, la raison, n'existent plus. Vous absorbez, tout simplement. C'est alors que l'enseignement commence à croître en vous, à vous transformer.

C'est la raison pour laquelle, les tantras sont écrits dans le langage de l'amour. Il me faut donner là quelques précisions. Il existe deux types de langage : le langage logique et le langage de l'amour ; et il y a entre les deux des différences fondamentales.

Le langage logique est agressif, il prête à discussion, il est violent. Quand j'utilise le langage logique, j'agresse votre pensée. J'essaie de vous convaincre, de vous convertir, de faire de vous une marionnette. Mon argument est « juste » et vous, « vous avez tort ». Le langage logique est égocentrique : « j'ai raison et vous avez tort, je dois donc prouver que j'ai raison et que vous avez tort. » Je ne me préoccupe pas de vous, je me préoccupe de mon moi. Mon moi a « toujours raison ».

Le langage d'amour est entièrement différent. Je ne me soucie pas de mon moi, je me soucie de vous. Je ne cherche pas à prouver, à renforcer mon moi. Je veux vous aider. J'ai envie de vous aider à croître, à vous transformer, à re-naitre. 

Deuxièmement, la logique est toujours intellectuelle. Les concepts et les principes sont signifiants. Les arguments sont signifiants. Dans le langage d'amour, ce qui est dit n'est pas aussi important. C'est plutôt la façon dont on le dit qui compte. Le contenant, le mot, n'est pas important. Le contenu, le message, est plus important. C'est une discussion cœur à cœur — et non un échange d'esprit à esprit. Ce n'est pas un débat. C'est une communion.




Voilà. C’est tout pour le moment. Amitiés à tous.

Borges et le bouddhisme : étude de l’ouvrage " Qu’est-ce que le bouddhisme ? " par Jorge Luis Borges et Alicia Jurado (1976) (sixième partie : le bouddhisme zen, deuxième sous-partie).




Un moine zen.


Cet article est la suite de celui-ci


Pour provoquer le satori certains maîtres remplacent le koan par des moyens plus violents. A une demande de son disciple au sujet du voyage de Bodhidharma, Ma-Tsu l'envoie au sol d'un coup de pied. Le néophyte se met à rire et s'écrie : « Innombrables sont les vérités enseignées par les Bouddhas. Il n'y en a plus une seule maintenant que je ne comprenne avec toutes les autres. » D'autres maîtres avaient recours au cri, à la gifle ou à diverses autres formes de violence physique. Il y a des exemples moins excessifs. Te-Shan, avant sa révélation, avait choisi pour maître Ch'ung-Hsin. Il alla loger dans son monastère ; un soir qu'il méditait assis, Ch'ung-Hsin lui demanda : « Pourquoi n'entres-tu pas? » Te-Shan répondit : « Il fait sombre. » Le maître revint avec une bougie allumée et quand le disciple voulut la prendre, il la souffla ; Te-Shan comprit immédiatement la Vérité.

Si on compare la mystique chrétienne ou islamique à celle du bouddhisme, on notera entre elles les affinités suivantes : a) le mépris des schémas rationnels lorsqu'ils ne sont que des moyens ; personne ne pense que les nombreux volumes de la Somme Théologique puissent être l'équivalent de l'expérience de la Vérité; b) la perception intuitive, différente de celle que peuvent fournir les sens ; c) la connaissance absolue, qui nous donne une certitude complète, que l'exercice de la logique ne peut réfuter ; celui qui la possède peut se passer de prémisses et de conclusions. Une fois maître de la vérité, le mystique s'aperçoit que l'opposition des contraires se fond d'une certaine façon dans une réalité supérieure; il est donc aussi au-delà des valeurs de la morale courante. Quand saint Augustin écrivit : « Aime et fais ce qu'il te plaît », peut-être voulut-il dire que l'homme qui est parvenu à l'amour divin est incapable de mal agir ; d) l'annihilation du Moi. Notre vie passée est absorbée dans le grand Tout; la paix et le soulagement en sont la récompense immédiate ; e) la vision du multiple univers transformé en une unité ; f) une sensation de félicité complète.

Si nous considérons maintenant les traits qui les différencient, nous voyons que le bouddhisme se passe de toute relation personnelle avec un dieu, car c'est une doctrine essentiellement athée où il n'y a ni croyant ni déité. A l'inverse de ce qui marque le judaïsme et ses dérivations, le christianisme et l'islamisme, on note également l'absence de ces concepts pathétiques de faute, de repentir et de pardon. On n'atteint pas le satori par l'adoration, la crainte, la foi, l'amour de Dieu ou la pénitence ; il s'agit ici d'une discipline qui ne vise que la paix et élimine les émotions. Le maître Te-Shan ne pria jamais, ne demanda jamais le pardon de ses fautes, ne vénéra jamais l'image du Bouddha, ne lut jamais les écritures et ne brûla jamais d'encens. De tels actes étaient, à son avis, d'inutiles formalités; seule l'intéressait l'incessante et l'intense quête mystique.

Tai-Hui compare le satori à un incendie sur le point de nous consumer, ou bien à une épée nue qui peut nous tuer. L'univers entier est un koan vivant et menaçant que nous devons résoudre et dont la solution implique celle de tous les autres. Inversement, chacune des parties contient le tout (c'est ce qui se passe avec les nombres transcendants étudiés par Cantor, dont chaque série a le même nombre que le total) ; il suffit d'en comprendre une pour comprendre l'univers.

La compréhension intellectuelle de la doctrine du Bouddha n'est pas importante ; l'essentiel est une illumination intime, qui semble correspondre à l'extase. Souvenons-nous de la parabole hindoue du voyageur qui parcourt en été un désert et qui, croisant un autre voyageur, lui dit qu'il est mort de fatigue et de soif, et qu'il est à la recherche d'une source. L'autre lui indique le chemin. Cette indication n'apaisera pas sa soif et ne soulagera pas sa fatigue ; il faut pour cela que le voyageur parvienne lui-même à la source. Le désert est la naissance et la mort; le premier voyageur est tout être vivant; le second est le Bouddha; la source est le Nirvana. Comme tous les mystiques, le bouddhiste met en doute la valeur du langage et des raisonnements. Rappelons la parabole de la flèche, exposée par Gautama lui-même ; le Zen a repris cette tradition et fait passer le satori avant les rites, l'érudition et la discussion philosophique. Le satori est donc le principe et la fin du Zen; on l'a comparé à une fleur qui s'ouvre et s'épanouit d'un seul coup.



La suite donc sur le bouddhisme zen une prochaine fois comme dans les romans-feuilletons du dix-neuvième siècle ou dans les séries télévisées américaines actuelles. Amicales salutations.