Un moine zen.
Cet article est la suite de celui-ci.
Pour provoquer le satori certains
maîtres remplacent le koan par des moyens plus violents. A une demande de son
disciple au sujet du voyage de Bodhidharma, Ma-Tsu l'envoie au sol d'un coup de
pied. Le néophyte se met à rire et s'écrie : « Innombrables sont les vérités
enseignées par les Bouddhas. Il n'y en a plus une seule maintenant que je ne
comprenne avec toutes les autres. » D'autres maîtres avaient recours au cri, à
la gifle ou à diverses autres formes de violence physique. Il y a des exemples
moins excessifs. Te-Shan, avant sa révélation, avait choisi pour maître
Ch'ung-Hsin. Il alla loger dans son monastère ; un soir qu'il méditait
assis, Ch'ung-Hsin lui demanda : « Pourquoi n'entres-tu pas? » Te-Shan répondit
: « Il fait sombre. » Le maître revint avec une bougie allumée et quand le
disciple voulut la prendre, il la souffla ; Te-Shan comprit immédiatement la
Vérité.
Si on compare la mystique chrétienne ou
islamique à celle du bouddhisme, on notera entre elles les affinités suivantes
: a) le mépris des schémas rationnels lorsqu'ils ne sont que des moyens ;
personne ne pense que les nombreux volumes de la Somme Théologique puissent être l'équivalent de l'expérience de la
Vérité; b) la perception intuitive, différente de celle que peuvent fournir les
sens ; c) la connaissance absolue, qui nous donne une certitude complète, que
l'exercice de la logique ne peut réfuter ; celui qui la possède peut se passer
de prémisses et de conclusions. Une fois maître de la vérité, le mystique
s'aperçoit que l'opposition des contraires se fond d'une certaine façon dans
une réalité supérieure; il est donc aussi au-delà des valeurs de la morale
courante. Quand saint Augustin écrivit : « Aime et fais ce qu'il te plaît »,
peut-être voulut-il dire que l'homme qui est parvenu à l'amour divin est
incapable de mal agir ; d) l'annihilation du Moi. Notre vie passée est absorbée
dans le grand Tout; la paix et le soulagement en sont la récompense immédiate ;
e) la vision du multiple univers transformé en une unité ; f) une sensation de
félicité complète.
Si nous considérons maintenant les
traits qui les différencient, nous voyons que le bouddhisme se passe de toute
relation personnelle avec un dieu, car c'est
une doctrine essentiellement athée où il n'y a ni croyant ni déité. A
l'inverse de ce qui marque le judaïsme et ses dérivations, le christianisme et
l'islamisme, on note également l'absence
de ces concepts pathétiques de faute, de repentir et de pardon. On
n'atteint pas le satori par l'adoration, la crainte, la foi, l'amour de Dieu ou
la pénitence ; il s'agit ici d'une discipline qui ne vise que la paix et
élimine les émotions. Le maître Te-Shan
ne pria jamais, ne demanda jamais le pardon de ses fautes, ne vénéra jamais
l'image du Bouddha, ne lut jamais les écritures et ne brûla jamais d'encens.
De tels actes étaient, à son avis, d'inutiles formalités; seule l'intéressait
l'incessante et l'intense quête mystique.
Tai-Hui compare le satori à un incendie sur le point de nous
consumer, ou bien à une épée nue qui peut nous tuer. L'univers entier est un koan vivant et menaçant que nous devons résoudre
et dont la solution implique celle de tous les autres. Inversement, chacune
des parties contient le tout (c'est ce qui se passe avec les nombres
transcendants étudiés par Cantor, dont chaque série a le même nombre que le
total) ; il suffit d'en comprendre une pour comprendre l'univers.
La compréhension intellectuelle de la
doctrine du Bouddha n'est pas importante ; l'essentiel est une illumination
intime, qui semble correspondre à l'extase. Souvenons-nous de la parabole
hindoue du voyageur qui parcourt en été un désert et qui, croisant un autre
voyageur, lui dit qu'il est mort de fatigue et de soif, et qu'il est à la
recherche d'une source. L'autre lui indique le chemin. Cette indication n'apaisera
pas sa soif et ne soulagera pas sa fatigue ; il faut pour cela que le voyageur
parvienne lui-même à la source. Le désert est la naissance et la mort; le
premier voyageur est tout être vivant; le second est le Bouddha; la source est
le Nirvana. Comme tous les mystiques, le bouddhiste met en doute la valeur du
langage et des raisonnements. Rappelons la parabole de la flèche, exposée par
Gautama lui-même ; le Zen a repris cette tradition et fait passer le satori
avant les rites, l'érudition et la discussion philosophique. Le satori est donc
le principe et la fin du Zen; on l'a
comparé à une fleur qui s'ouvre et s'épanouit d'un seul coup.
La suite donc sur le
bouddhisme zen une prochaine fois comme dans les romans-feuilletons du
dix-neuvième siècle ou dans les séries télévisées américaines actuelles.
Amicales salutations.
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