mardi 2 avril 2019

Compte rendu du livre « Le Moi, la Faim et l’Agressivité » de Fritz Perls (troisième partie, la signification de l'insomnie).



  
Un autre  ouvrage sur la Gestalt-thérapie.


Je viens de lire un livre que j’ai trouvé à la fois précis et très bien conçu sur les thèmes de base de la Gestalt-thérapie. Il s’agit de  « Le Moi, la Faim et l’Agressivité »  de Fritz Perls (il y décrit pour la première fois les fondements de sa théorie gestaltiste).

Cet article est la suite de celui-ci.

La signification de l'insomnie

  
On a enfin réalisé que le phénomène déplaisant de « l'insomnie » ne pouvait se soigner par médicaments, relaxation, silence, rideaux sombres ou « comptage des moutons». Ces « remèdes » provoquent une sorte d'état inconscient proche du sommeil, encore que contraire au but de celui-ci : procurer repos et fraîcheur. On ne devrait pas parler d'insomnie lorsqu'il s'agit de quelques nuits blanches occasionnelles, et il ne faut absolument pas prendre ce phénomène pour un symptôme névrotique. Il vaudrait mieux, selon moi, réserver ce -terme « d'insomnie » à une perturbation du sommeil répartie sur un grand nombre de nuits, et le terme « d'insomnie chronique » à cette même perturbation sur une assez longue période. Seule doit être traitée l'insomnie véritable, et je me propose, vu l'incompétence des prescriptions mentionnées ci-dessus, d'aborder ce pro-brème sous un angle différent.

Lorsque des bactéries ont envahi l'organisme, le taux des leucocytes, leurs ennemis, s’accroît. Lorsqu'on absorbe trop d'alcool, on vomit. Croyez-vous que ces leucocytes ou ce vomissement soient une maladie et qu'il faille les supprimer ? Bien sûr que non; vous allez chercher à découvrir ce qu'ils signifient, et la réponse est toute trouvée il s'agit d'une autodéfense organique Dans la plupart des cas, l'insomnie n'est pas une maladie, mais un symptôme d'une politique sanitaire organique. généralisée au service de l’holisme. Tous les « trucs », les somnifères, les boules Quiès, le livre de chevet, etc. ne sont que des méthodes de suppression, contraires aux besoins de l'organisme.

Pour beaucoup de gens, apprendre que l'insomnie n'est pas un symptôme pathologique mais un symptôme curatif, produit le même effet que lorsqu'on leur a enseigné que c'était la Terre et non le Soleil qui se mouvait. Avant de prouver l'exactitude de mon affirmation paradoxale, je voudrais dire quelques mots sur le repos. Vous conviendrez avec moi qu'il est la visée du sommeil et que les médicaments provoquent plus une sorte de paralysie qu'ils n'apportent ce repos. Voilà pourquoi on recherche des médicaments sans effets secondaires de migraines et de vertiges. La recherche du repos n'est qu'une expression de la tendance générale qu’a notre organisme à retrouver son équilibre par l'élimination d'une influence perturbatrice ou la conclusion d'une. situation incomplète. Combien de temps nous passionne une grille de mots croisés ? Jusqu'au moment précis où le problème est résolu, Ce n'est plus ensuite qu'un bout de. papier bon à jeter.

Un représentant de commerce, gaillard insouciant, visite une petite ville. Le propriétaire de l'hôtel lui demande de faire le moins de bruit possible à cause de l'extrême nervosité de l'occupant de la chambre voisine, Il promet, maie rentre. le soir légèrement gris en chantant. Il commence à se déshabiller et lance une chaussure contre le mur. Il se souvient alors subitement de sa promesse et se met calmement au lit. Comme il est en train de s'assoupir, une voix coléreuse s'élève de l’autre côté du mur : « Et l'autre chaussure, quand est-ce qu'elle arrive ? »

Nous nous mettons souvent au lit avec des situations incomplètes, inachevées, et, dans des centaines de cas, il est plus important pour l'organisme de compléter la situation que de dormir. La plupart du temps, nous n'avons pas conscience de ce besoin organiciste. Nous sentons uniquement que quelque chose perturbe notre sommeil, et nous pestons devant cet élément .perturbateur, Nous réorientons notre contrariété de la situation incomplète sur les aboiements du chien, les bruits de la circulation, la rigidité de l'oreiller, nous en faisons des responsables alors qu'ils ne sont que des boucs émissaires. La circulation n'est pas plus bruyante que pendant les nuits où nous sommes prêts à dormir.

Comme je l'ai déjà dit, les possibilités de situations incomplètes sont innombrables. L'élément perturbateur peut être un moustique et la situation ne s'achèvera que lorsque vous aurez tué l'insecte et vous serez débarrassé de la peur d'être piqué. Peut-être quelqu'un vous a-t-il blessé et votre esprit ne cesse-tell d'échafauder des fantasmes de vengeance. Peut-être devez-vous demain affronter un examen ou une entrevue importante et êtes-vous en train d'anticiper la situation difficile au lieu de vous accorder du repos. Un désir sexuel non gratifié, une sensation de faim, un sentiment de culpabilité, un désir de réconciliation, l'envie de sortir d'une situation délicate, toutes ces situations incomplètes vont indisposer votre sommeil.

Le proverbe dit : « Une bonne conscience est un doux oreiller. » Souvenez-vous de l'exemple classique de l'insomnie : Lady Macbeth, Elle cherche à se persuader que la situation du meurtre est bien terminée « Je vous le répète, Banqua est enterré, il ne peut sortir de sa tombe. Ce qui est fait ne peut être défait, » Mais son auto-suggestion demeure vaine « Qu'est cela ? Ces mains ne seront-elles jamais propres ? Tous les parfums de l'Arabie ne sauraient purifier cette petite main. »

J'ai traité autrefois un fonctionnaire à la conscience très stricte. Cet homme devait chaque jour traiter un certain nombre de problèmes et son ambition le faisait s'atteler à trop de dossiers à la fois. Les problèmes irrésolus l'accompagnaient au lit, il ne se reposait donc qu'insuffisamment et entamait épuisé la journée du lendemain, de moins en moins capable d'affronter les taches quotidiennes, .Un cercle vicieux s'enclenchait qui aboutissait au bout de quelques mois à une dépression nerveuse qui l'obligeait à interrompre toute activité, Son état ne s'améliora que lorsqu'il eut compris qu'il devait limiter les problèmes et terminer les situations avant d'aller se coucher.

On pourrait objecter à mon approche que, premièrement, l'insomnie est particulièrement déplaisante et que l'organisme a besoin de repos, que nous ne pouvons nous permettre de gaspiller cette phase nocturne précieuse; et, deuxièmement, que mes théories n'embrassent que le côté psychologique.

Commençons par la dernière objection. Je prétends que la cause physique de l'insomnie (maladie, souffrance) tombe dans la même catégorie que la cause psychologique (par exemple la contrariété). Une maladie est toujours une situation incomplète qui ne se termine que par la guérison ou la mort. Dans les cas d'urgence cependant, lorsque l'élément perturbateur est la souffrance associée à une maladie, on peut provisoirement éliminer cette perturbation par un antalgique ( mais aucune drogue n'élimine définitivement la souffrance). Quant à la première objection — le caractère déplaisant de l'insomnie — on peut en disposer aisément par une approche appropriée. Dès que le patient a compris sa signification, il est à même de se reconditionner, d'orienter ses énergies dans les voies biologiques adéquates et de transformer ce désagrément en une expérience gratifiante et constructive.

Si nous voulons guérir l'insomnie, nous devons affronter une situation paradoxale il nous faut renoncer à vouloir dormir. Le sommeil ne survient que lorsque le Moi se dissout; la volition est une fonction du Moi et tant que nous répétons « je veux dormir », notre Moi continue de fonctionner. .Il est très difficile d'admettre que, bien que nous soyons consciemment parfaitement convaincus de vouloir dormir et que nous soyons contrarie de ne pouvoir y parvenir, notre organisme, lui, ne veut pas dormir, attelé qu'il est à des problèmes plus importants que le sommeil.

Lorsque s'ajoute à notre envie de dormir la contrariété de ne pouvoir y parvenir, on voit s'instaurer une situation totalement déséquilibrée; cette excitation empêche de plus en plus d'obtenir le sommeil et cette contrariété sans décharge crée une situation incomplète additionnelle. En vous tournant et en vous retournant violemment dans votre lit, vous pourriez tout au moins décharger et exprimer l'excitation ! Mais non ! Vous vous forcez à une immobilité extrême et guettez (ce qui est une activité consciente) les premiers signes d'endormissement, alors que, simultanément, vous bouillez d'énervement. Résultat vous brûlez bien plus d'énergie que si vous vous leviez et accomplissiez n'importe quelle tâche. On est souvent plus exténué parce qu'on a désespérément tenté de dormir que parce qu'on manque de sommeil.

Au lieu de vous emporter contre l'élément perturbateur (que ce soit le chien qui aboie ou les pensées et images liées à la situation incomplète), apprenez à vous y intéresser. Ne leur résistez pas, mais octroyez-leur toute votre attention, Écoutez les bruits de votre environnement, regardez les images que vous avez à l'esprit, et vous percevrez bientôt les signes avant-coureurs de l'endormissement,
Vous allez voir surgir bien souvent un souvenir oublié ou la solution d'un problème, satisfaction dont la récompense sera un sommeil paisible.

Il existe des situations qui ne peuvent se compléter, ni cette nuit-là, ni jamais. C'est déjà une aide considérable que de réaliser ce fait dans le cas d'un problème insoluble. Et on peut parfois terminer la situation en se résignant à l'inévitable, en acceptant qu'on ne peut rien y faire.

J'ai lu l'autre jour une définition selon laquelle l'insomnie serait un défaut de sommeil issu des contrariétés. Cela est exact en ce qui concerne le caractère obsessionnel, mais l'insomnie affecte tout aussi bien d'autres types, et tout particulièrement le neurasthénique. Nous savons tous qu'une contrariété nous maintient éveillés et que les inquiets ont rarement un sommeil paisible. Aucun mystère à cela, puisque l'inquiet se caractérise Par son incapacité généralisée â terminer les situations, à entrer en action.

C'est une idée fausse de croire que fermer les yeux amène le sommeil. C'est le contraire qui est exact : le sommeil amène la fermeture des yeux, A preuve la difficulté qu'on a à garder les -yeux ouverts devant une lecture ennuyeuse, particulièrement quand il fait très chaud ou qu'il est tard dans la nuit. Ceux qui se plaignent d'insomnie sont alors bien souvent les premiers à tomber endormis.

Le rêve est un compromis entre le sommeil et la situation incomplète. Chez celui qui mouille son lit, on trouvera toujours le complément au besoin d'uriner sous forme du rêve de se trouver dans des toilettes. Il ne faut donc pas prendre à n'importe quel prix la défense du sommeil, puisqu'en cas d'énurésie la guérison est justement entravée par le refus de l'enfant d'interrompre son sommeil. Un peu d'insomnie éviterait ici bien des souffrances aux parents et à l'enfant !


  
Voilà. C’est tout pour le moment comme dans les séries télé américaines ou les romans-feuilletons du dix-neuvième siècle. Amitiés à tous.


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