lundi 7 novembre 2016

« Vie de Marcel Proust » dans « Atteindre l’excellence » de Robert Greene, chapitre 6, troisième partie.



Marcel Proust et ses livres


Je n’ai jamais vu de description de l’existence de Marcel Proust aussi exacte et aussi parlante que celle de Robert Greene dans son livre Atteindre l’excellence. Cet article est la suite de celui-ci.

Tout ce qu’écrivait Marcel Proust, il voulait qu’il surgisse du réel, c’est-à-dire d’une scène à laquelle il avait personnellement assisté. Faute de quoi, son écriture était atone. Néanmoins, sa propre crainte des relations intimes constituait un obstacle pour lui. Attiré autant par les hommes que par les femmes, il ne pouvait se défendre de garder ses distances quand la relation menaçait de devenir trop tendre, voire physique. Il avait donc du mal à décrire les sentiments amoureux de l’intérieur. Par conséquent, il prit une habitude qui allait bien lui servir. Quand il se sentait attiré par une femme, il se liait d’amitié avec son fiancé ou son petit ami et, ayant gagné sa confiance, il l’interrogeait sur les détails les plus intimes de leur relation. Fin psychologue, il était à même de leur prodiguer d’excellents conseils. Ensuite, il rebâtissait dans son esprit toute l’affaire, en en percevant aussi profondément que possible les hauts et les bas, et même les crises de jalousie, comme si elles le concernaient personnellement. Il pratiquait cela avec les deux sexes.

Le père de Marcel Proust était un médecin renommé et il en vint à désespérer de son fils. Celui-ci faisait la fête tous les soirs, rentrait dans la matinée et dormait toute la journée. Pour fréquenter la haute société, il dépensait un argent fou. Il semblait n’avoir ni discipline, ni ambition personnelle. A cause de sa santé fragile et du fait que sa mère le gâtait, le docteur Proust craignit que son fils ne fût un raté et un poids continuel. Il tenta de lui trouver une situation. Marcel Proust essayait de le rassurait comme il pouvait : un jour il déclarait qu’il voulait faire son droit, le lendemain il voulait devenir bibliothécaire. En vérité, il misait tout sur la publication de son premier roman Les plaisirs et les jours dont le titre était un pastiche ironique de l’œuvre d’Hésiode Les travaux et les jours. Ce serait un recueil d’histoires et de portraits reflétant la société qu’il avait infiltrée. Tel Augustin Thierry avec sa conquête de l’Angleterre, il donnerait vie à ce milieu grâce à son écriture. Le succès de ce livre lui gagnerait l’estime de son père et de tous ceux qui doutaient de lui. Pour garantir le succès de l’ouvrage, il y publierait les superbes dessins d’une dame de la haute société devenue son amie et il le ferait imprimer sur le plus beau des papiers.

Après de nombreux retards, son œuvre fut enfin publiée en 1896. Même si la critique fut élogieuse, on jugea qu’il avait une plume exquise et raffinée, ce qui impliquait que son travail était un peu superficiel. Pire, ce fut un échec commercial. Étant donné le coût de fabrication, il s’avéra un fiasco financier et l’image de Proust en souffrit : c’était un dandy, un snob qui n’écrivait que sur ce qu’il connaissait, un jeune homme sans le moindre sens pratique, bref, un dilettante vaguement frotté de littérature. Couvert de honte, il en resta très affligé.

Sa famille insistait pour qu’il se décide à choisir un métier. Toujours confiant dans son talent, il estima que la seule solution était d’écrire un autre roman, dans un style contraire à celui des Plaisirs et des jours. Il serait beaucoup plus long, on y trouverait à la fois des souvenirs d’enfance et des expériences mondaines récentes. Il décrirait la vie des Français de toutes les classes et relaterait une période de l’histoire du pays. Nul ne pourrait le juger superficiel. Les pages s’entassaient, mais Proust n’arrivait pas à en faire un tout cohérent et logique, ni à raconter une histoire. Il s’égara dans l’immensité de son ambition  et, au bout de quelques centaines de pages, il abandonna le projet.

Voilà. C’est tout pour le moment. La suite au prochain numéro. Amitiés à tous.