samedi 18 avril 2020

Extrait de mon livre sur un auteur révolutionnaire « Jean-Patrick Manchette, parcours d’une œuvre » (neuvième partie) (Vulgarité, racisme, stupidité généralisés).




  
Un autre roman de Jean-Patrick Manchette. 



En l’an 2000, j’ai publié un livre sur un auteur « révolutionnaire », Jean-Patrick Manchette.

Face à la crise que nous connaissons aujourd’hui, ses analyses sur notre société me paraissent être totalement d’actualité. Il décrit des situations analogues à celle que nous vivons en ce moment : nous connaissons une vulgarité, un racisme et une stupidité généralisés. Voilà pourquoi, j’ai décidé de partager avec vous l’essentiel de mon étude sur cet écrivain à travers plusieurs articles de ce blog.



«  Vulgarité, racisme, stupidité généralisés



La vulgarité et le racisme sont deux indicateurs de l’incapacité des personnages à communiquer entre eux et à accepter la différence. Chacun vit dans son monde en haïssant les autres.

Le champion toutes catégories de ce type de comportement est bien entendu Henri Butron dans L’Affaire N’Gustro. C’est au point que ce livre qui a été le premier roman policier écrit par Manchette a d’abord été refusé par Albin Michel puis par le comité de lecture de la Série Noire (en majorité de tendance gauchiste) qui a cru qu’il s’agissait d’un livre d’extrême droite. Ils lui ont demandé d’exécuter un petit exercice de style avec Jean-Pierre Bastid qui a donné Laissez bronzer les cadavres

Une anecdote croustillante : A.D.G., qui a maintenant exprimé ouvertement sa sympathie pour tout ce qui est partis et journaux fascisants, a adoré ce roman parce qu’il a cru lui aussi qu’il s’agissait d’un ouvrage de droite !

En fait l’auteur s’est exprimé plusieurs fois sur le sujet : il a voulu au maximum se distancier et il lui a paru intéressant d’exagérer (à peine) les propos et les actions d’un jeune homme affilié à l’OAS, de montrer son itinéraire qui passe d’abord par la délinquance et surtout son manque total de réflexion personnelle qui le fait adhérer à ces idéologies lui fournissant des schémas de pensée tout prêts et faciles à assimiler.

La vulgarité de Butron et son agressivité s’expriment d’abord par rapport à ses parents :

« ma maman, cette vieille conne. » (p. 14) ; « mon père, ce vieux con. » (p.15) ; « le vieux taré, le salaud. » (p. 30)

Il provoque délibérément l’assistance au moment de l’enterrement de sa mère, instant sacré par excellence :
« Au milieu de l’enterrement, pendant un silence, j’eus une impulsion et je fis un prout avec mon trou de balle, puis je souris largement aux gens furtifs, pour qu’on comprenne bien que j’étais l’auteur. Je venais ainsi de choisir mon camp. » (p. 26)

Quand son père meurt lui aussi, il veut tout détruire dans l’appartement dont il a hérité.
« Je suis dévoré par l’idée de chier partout sur les tapis. » (p. 54)

C’est une tête brûlée et il n’a peur de rien. Il est capable d’insulter n’importe qui. Le commissaire Goémond, pourtant représentant des forces de l’ordre dont il devrait redouter la réaction, s’en prend plein la figure :
« Diarrhée, dis-je. Merderie. Policier. Mal blanc. Chiotte. Goguenot.
Salope. Trouduc.
Il comprend que je lui suis plutôt hostile. » (p. 54)

Son racisme omniprésent s’exprime dans tout le roman d’une façon odieusement vulgaire :
« Elle doit se croire belle au second degré avec son nez bougnoul. C’est sûrement une juive sephardim. Je connais assez bien les juifs, j’ai enfilé plusieurs juives. » (p. 14)

Le deuxième accessit en ce qui concerne la xénophobie et la vulgarité peut revenir à Gérard Sergent, le frère de la victime dans Morgue pleine mais aussi son meurtrier. Voici quelques échantillons du discours de ce sympathique personnage:

« Je suis avec un ami à vous. Un Juif.
Il avait mis ses lèvres contre l’appareil pour chuchoter les deux derniers mots. Charmant garçon. » (chap. 7)
« Il faut vous dire, les gens de cinéma, c’est presque rien que des métèques. » (chap. 9)
« Sale Juif, m’a dit Gérard Sergent, ce qui était absurde car je suis de l’Allier. » (chap. 22)

Dans Le Petit Bleu de la côte ouest, Alonso Emerich y Emerich, le commanditaire de l’assassinat de Gerfaut, est lui aussi bêtement raciste. Il parle de la « pureté de son sang, indemne de tout croisement avec des races inférieures, indienne, juive, nègre ou autre ».

Mais le summum est atteint quand, en une parodie dont il a le secret, Manchette fait tenir aux Africains eux-mêmes de L’Affaire N’Gustro un discours xénophobe : « Sale nègre, pense le Maréchal Oufiri. » (p. 75)

Finalement on débouche sur une sorte de stupidité généralisée. Butron a des idées stéréotypées mais les exécutants de l’assassinat de N’Gustro sont eux-mêmes tout à fait ridicules, débitant des banalités pseudo-philosophiques sur Hegel pendant que le leader tiers-mondiste est suspendu par les pieds dans leur cave avant d’être finalement tué.

D’ailleurs dans la plupart des romans, conscients de leur propre médiocrité et de celle des autres, les personnages s’insultent vulgairement.
Ainsi Haymann demande à Tarpon dans Que d’os ! :
« Elle ne va pas se suicider, hein ? a-t-il demandé.
— Vous êtes vraiment con, ai-je dit.
— Excusez-moi. » (chap. 8)

Charlotte Malrakis dans Morgue peine déclare à ses compagnons d’extrême gauche au sujet de Tarpon:
« Vous voyez bien qu’il est complètement con! [...]. » (chap. 12)

Ce mépris mutuel arrive à son apothéose dans La Position du tireur couché où Félix Freux méprise Terrier et l’insulte, où Anne renvoie vertement balader son mari et où finalement le tueur montre tout son dédain pour celui qu’il considère comme un « cave ».
« Tu es con, affirma-t-il d’un ton émerveillé. C’est pour ça. Il fallait être con pour t’en aller dix ans et t’imaginer... [...] Mais je suis intelligent. Je ne suis pas con comme toi. » (chap. 11)
« Laissez-le, c’est un ahuri, déclara Terrier. » (chap. 11)

La violence omniprésente

La vulgarité, le racisme et la bêtise se manifestent souvent dans les propos des personnages mais parfois ceux-ci passent à l’acte. Ainsi Henri Butron dans L’Affaire N’Gustro mais aussi les membres du commando dans Nada

Contrairement à ce qu’ont cru certains critiques à l’époque, Manchette n’a jamais recommandé ce genre d’actions surtout lorsqu’il y a mort d’homme. Les membres du commando sont excusables parce qu’ils sont malheureux et répondent par la violence à celle de la société mais ces formes d’action terroristes doivent être totalement proscrites parce qu’elles renforcent les critiques habituelles de la société capitaliste à l’encontre de l’extrême gauche.

Mais ce que Manchette introduit de nouveau dans la thématique du roman policier, c’est la notion de violence primitive, à la limite du sadisme, provoquant une véritable jouissance chez ceux qui la commettent et réveillant les pulsions les plus bestiales chez les différents protagonistes. 

Qui plus est, elle peut concerner tout le monde, pas seulement tueurs, truands ou policiers : un cadre moyen comme Gerfaut dans Le Petit Bleu de la côte ouest assassine deux personnes sans trop de remords et ensuite revient à une vie normale comme si de rien n’était ! De même le frère de la victime dans Morgue pleine, Gérard Sergent: sous des dehors moralisateurs, il dissimule en fait un pervers refoulé et un tueur.





Voilà. C’est tout pour le moment. Amitiés à tous.


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