jeudi 23 mars 2017

Compte rendu de "L'art et la science de se souvenir de tout" de Joshua Foer (troisième partie).






Ed Cooke.


Récemment est paru en livre de poche L’art et la science de se souvenir de tout qui est en fait le même livre que l’ouvrage en grand format Aventures au cœur de la mémoire (tous les deux la traduction de Moonwalking with Einstein). 

Aventures au cœur de la mémoire est un livre référence dans le monde de la mémoire. Il y est question de l’histoire de la mémoire et de la mnémotechnie, de la naissance des Mémoriades, les Championnats du monde de mémoire, en 1991, mais surtout de la manière dont un journaliste indépendant, Joshua Foer, est devenu champion de mémoire des États-Unis en 2006 alors qu’il ne savait même pas ce qu’était une technique de mémorisation un an auparavant !

L’auteur raconte, qu’après avoir découvert sur Google les exploits de mémorisation du triple champion du monde Ben Pridmore (lire de celui-ci Comment être génial avec sa mémoire), il décide d’assister aux championnats de mémoire des États-Unis de 2005. En voici la description :

"Le championnat comportait cinq épreuves. Pour commencer, les concurrents devaient apprendre par cœur un poème inédit de cinquante vers, « La trame de mon être ». Dans la deuxième manche, ils se voyaient remettre quatre-vingt-dix-neuf photographies de visages légendés de prénoms et de noms, et ils avaient un quart d'heure pour en mémoriser le maximum. Ensuite ils avaient encore quinze minutes pour apprendre une liste de trois cents mots aléatoires, puis cinq minutes pour mémoriser une page contenant mille chiffres aléatoires (vingt-cinq lignes de quarante chiffres). Enfin, ils devaient mémoriser en cinq minutes l'ordre d'un jeu de cinquante-deux cartes battues. Parmi les concurrents se trouvaient deux grands maîtres de mémorisation — deux sur les trente-six recensés à ce moment-là à travers la planète. Un athlète mental acquiert le titre de grand maître s'il parvient à apprendre une série de mille chiffres aléatoires en moins d'une heure, l'ordre de dix jeux de cartes dans le même laps de temps et l'ordre d'un seul jeu de cartes en moins de deux minutes.

À première vue, ces prouesses peuvent sembler tout juste bonnes à animer les soirées des fanas d'une bien étrange sous-culture ; elles peuvent paraître foncièrement inutiles, voire un zeste pathétiques. Mais en discutant avec certains concurrents du championnat, je découvris quelque chose de beaucoup plus sérieux : une histoire qui m'obligea à réfléchir aux limites de ma pensée et à l'essence même de mon éducation.

Parmi ceux que j'interviewai, Ed Cooke était un jeune grand maître anglais venu participer à la compétition pour se préparer aux Championnats du monde de l'été suivant. (Comme il n'était pas américain, ses résultats ne pouvaient être pris en compte ce jour-là au championnat des États-Unis.) Je lui demandai ce qu'il éprouvait à l'idée d'être doté d'une intelligence exceptionnelle.

« Oh, mon intelligence n'a rien d'exceptionnel ! répondit-il avec un petit rire sarcastique.

— Mémoire photographique ? » lançai-je.

Il s'esclaffa de plus belle, avant de déclarer : « La mémoire photographique, c'est un mythe détestable. Ça n'existe pas. Et à vrai dire, ma mémoire est tout ce qu'il y a de plus ordinaire. Tous les gens qui sont ici ont une mémoire parfaitement ordinaire. »

Cette affirmation paraissait difficilement conciliable avec le fait que je venais de le voir réciter deux cent cinquante-deux chiffres avec autant d'aisance que s'il avait débité son numéro de téléphone.
« Mais ce qu'il faut bien comprendre, précisa Ed, c'est que même une mémoire moyenne peut se révéler remarquablement puissante si elle est bien exploitée. »

Ed avait le visage carré et une tignasse de cheveux châtains bouclés qui lui descendaient jusqu'aux épaules. Sans doute pouvait-on le classer parmi les concurrents les moins préoccupés de leur apparence, car il portait un costume dont la cravate était à moitié dénouée et, détail assez incongru, des tongs décorées de l'Union Jack. Il avait vingt-quatre ans mais la posture d'un homme trois fois plus âgé. Il marchait en clopinant, appuyé sur une canne qu'une rechute de son arthrite chronique juvénile l'obligeait à utiliser à ce moment-là — « Le pilier de ma réussite », me confia-t-il au sujet de cet accessoire. De même que Ben Pridmore l'avait affirmé dans l'interview que j'avais lue sur le Net, et comme d'autres athlètes mentaux que je rencontrai pendant le championnat, Ed me répéta avec insistance que n'importe qui pouvait faire la même chose que lui. Il suffisait, m'expliqua-t-il, d'apprendre à « penser de façon plus mémorable », en utilisant la technique mnémonique « extraordinairement simple », éprouvée depuis deux mille cinq cents ans, du « palais de mémoire » — cette technique inventée par Simonide de Céos, d'après la légende, devant les décombres de la grande salle de banquet dont il avait été le seul rescapé.

La technique mnémonique du palais de mémoire — aussi connue sous le nom de « méthode du voyage » ou « méthode des loci», et à laquelle il est fait référence de manière plus générale par l'expression « art de la mémoire » (traduite du latin ars memoriae) — fut affinée et codifiée dans divers manuels d'instruction rédigés au temps des Romains, tels ceux de Cicéron et Quintilien ; elle connut son apogée au Moyen Âge, lorsque les croyants s'en servaient pour mémoriser sermons, prières et autres listes de châtiments des pécheurs promis à l'enfer. Les sénateurs romains pour retenir leurs discours, l'homme d'État athénien Thémistocle qui avait la réputation de connaître les noms de vingt mille de ses concitoyens, les lettrés de l'époque médiévale qui apprenaient par cœur des livres entiers, tous utilisaient le même « truc » : la méthode du palais de mémoire.

Ed m'expliqua que les concurrents du championnat se considéraient comme les « participants d'un programme de recherche amateur » dont l'objectif était de ressusciter une tradition de formation de la mémoire qui, hélas, avait sombré dans l'oubli depuis quelques siècles. Jadis, insista-t-il, les hommes devaient avant tout se souvenir des choses. Entraîner méthodiquement sa mémoire, ce n'était pas simplement apprendre à utiliser un outil commode, c'était acquérir une composante fondamentale de l'esprit bien fait. Le travail de la mémoire forgeait le caractère, contribuait à développer la vertu cardinale de la prudence et, par extension, la probité. C'était uniquement par le biais de la mémorisation, selon ce raisonnement, que les idées pouvaient imprégner la conscience et que leurs valeurs étaient correctement assimilées. Les techniques mnémoniques n'existaient pas simplement pour apprendre des informations inutiles comme l'ordre d'un jeu de cinquante-deux cartes ; elles servaient à graver des textes et des concepts fondamentaux dans le cerveau."

Voilà. C’est tout pour aujourd’hui. Amitiés à tous.

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