jeudi 23 mars 2017

Compte rendu de "L'art et la science de se souvenir de tout" de Joshua Foer (quatrième partie).




La persistance de la mémoire de Dali.


Récemment est paru en livre de poche L’art et la science de se souvenir de tout qui est en fait le même livre que l’ouvrage en grand format Aventures au cœur de la mémoire (tous les deux la traduction de Moonwalking with Einstein). 

Aventures au cœur de la mémoire est un livre référence dans le monde de la mémoire. Il y est question de l’histoire de la mémoire et de la mnémotechnie, de la naissance des Mémoriades, les Championnats du monde de mémoire, en 1991, mais surtout de la manière dont un journaliste indépendant, Joshua Foer, est devenu champion de mémoire des États-Unis en 2006 alors qu’il ne savait même pas ce qu’était une technique de mémorisation un an auparavant !

Voici ce que nous dit Joshua Foer : La mnémotechnie ou art de la mémoire avait été d’une importance immense dans l’Antiquité et au Moyen Age parce que les livres étant manuscrits, la plupart des gens, même les intellectuels, possédaient peu de livres et s’entraînaient à mémoriser ceux qu’ils ne possédaient pas. Mais au XV ème siècle Gutenberg entra en scène avec l’imprimerie et transforma le livre en produit de grande consommation. Bientôt, il ne fut plus si important que ça de mémoriser ce dont la page imprimée pouvait se souvenir à la place du cerveau. La méthode du palais de mémoire, pilier des cultures de l'Antiquité et du Moyen Âge, se vit assimilée durant la Renaissance aux traditions occultes et ésotériques comme l'hermétisme. À l'époque des Lumières, elle n'était plus qu'une curiosité de foire, sinon le sujet d'ouvrages de développement personnel médiocres et vulgaires. Elle fut réhabilitée seulement dans les dernières décennies du XX ème siècle pour cette étrange et singulière compétition de fanas de techniques mnémoniques.

Le chef de file de la reviviscence de l'art de la mémoire est Tony Buzan, un pédagogue britannique âgé de soixante-sept ans, homme de belle prestance et gourou autoproclamé, qui affirme posséder le « quotient créatif » le plus élevé du monde (vous trouverez plusieurs livres de lui en français dont Tout sur la mémoire. un ouvrage très clair et très pédagogique). Quand nous fîmes connaissance à la cafétéria de la tour Con Edison, il portait un costume bleu marine dont la veste était fermée par cinq immenses boutons cerclés d'or, et une chemise sans col ornée d'un autre gros bouton, au niveau de la gorge, qui lui donnait l'air d'un prêtre oriental. Une petite broche en forme de neurone ornait le revers de sa veste. Le cadran de sa montre reproduisait un élément de La Persistance de la mémoire de Dali (le tableau des montres molles). Il qualifiait les concurrents du championnat de « guerriers de l'esprit ».

Le visage de Buzan, grisonnant, ridé, desquamé par endroits, lui donne dix ans de plus que son âge, mais par ailleurs, il semble aussi en forme et énergique qu'un trentenaire. Il parcourt à la rame, chaque matin, six à dix kilomètres sur la Tamise, et il veille à manger des tas de légumes et de poissons « bons pour le cerveau ». « Alimentation de pacotille, cerveau de pacotille, me déclara-t-il. Alimentation saine, cerveau sain. »

Quand il marche, Buzan donne l'impression de glisser sur le sol, un peu comme un palet de air hockey (conséquence, me révéla-t-il un jour, de ses quarante années de pratique de la technique Alexander). Quand il parle, il accompagne ses propos d'une gestuelle précise, parfaitement cadencée, qu'il a dû longuement peaufiner devant le miroir. De temps en temps, il ponctue un argument majeur d'une explosion de doigts jaillissant de son poing fermé.

Buzan a fondé le Championnat du inonde de mémorisation en 1991, puis des championnats nationaux dans plus d'une douzaine de pays — de la Chine au Mexique en passant par l'Afrique du Sud. Il dit avoir œuvré avec l'ardeur du missionnaire, depuis les années 1970, pour faire entrer les techniques mnémoniques dans les écoles du monde entier. Il s'agit pour lui d'une « révolution éducative globale dont le but est d'apprendre à apprendre ». Et il s'est bâti une fortune conséquente en cours de route. (Selon certains articles de presse, Michael Jackson lui-même aurait mis trois cent quarante-trois mille dollars sur la table, peu de temps avant sa mort, pour se payer les services de stimulation cérébrale du maître.)

D'après Buzan, les méthodes d'enseignement de nos écoles sont complètement absurdes, car elles consistent à injecter d'immenses quantités d'informations dans les têtes des élèves sans leur expliquer comment les retenir. Le principe même de la mémorisation a été discrédité, assimilé à une technique bêtifiante tout juste bonne à garder certains faits à l'esprit le temps des examens. 

Mais ce n'est pas le principe de mémorisation en soi qui est mauvais, affirme Buzan. Le problème, c'est que la pratique de l'assimilation par la répétition, sans aucune réflexion, a corrompu l'éducation. « Ce qui s'est passé au cours du siècle dernier, explique-t-il, c'est que nous avons défini la mémoire de façon incorrecte, nous l'avons comprise de façon incomplète et nous l'avons utilisée de façon inadaptée. Et puis nous avons condamné la mémorisation, arguant qu'elle ne donnait aucun résultat et qu'elle ne procurait pas de plaisir. » Si la vieille méthode du matraquage — l'apprentissage par cœur et par bourrage de crâne — permet tout juste de fixer des impressions provisoires sur nos cerveaux par la force brute de la répétition, l'art de la mémoire propose des techniques élégantes qui servent à acquérir véritablement le savoir. « Des techniques plus rapides, moins pénibles, capables de produire des souvenirs durables », précise Buzan.

« Le cerveau est comme un muscle », m'affirma-t-il lors de notre première discussion. Et l'entraînement de la mémoire est une forme d'exercice mental qui rend le cerveau plus performant, plus rapide et plus agile au fil du temps. Cette idée remonte aux origines mêmes du travail de la mémoire. Selon les orateurs romains, l'art de la mémoire — l'assimilation et l'agencement corrects du savoir par l'esprit — était un instrument essentiel pour l'invention de nouvelles idées. 

Aujourd'hui, la notion d'exercice mental s'est beaucoup répandue dans l'imaginaire populaire. Les programmes de gymnastique cérébrale et d'entraînement de la mémoire connaissent un engouement croissant — en 2008, dans ce domaine, l'industrie des logiciels pesait deux cent soixante-cinq millions de dollars. Ce phénomène est sans doute une conséquence des recherches scientifiques qui ont montré que les personnes âgées qui font fonctionner leur cerveau en jouant aux échecs ou en remplissant des grilles de mots croisés augmentent leurs chances d'échapper à la maladie d'Alzheimer et à la démence sénile ; il atteste aussi, de façon plus générale, l'immense sentiment d'insécurité qu'éprouve la génération des baby-boomers à l'idée de perdre la boule. Mais s'il est aujourd'hui prouvé que l'activité intellectuelle aide à lutter contre la démence, les affirmations pleines d'emphase de Tony Buzan sur les bienfaits collatéraux de la « musculation cérébrale » ont tout de même de quoi inspirer une légère dose de scepticisme. D'un autre côté, il était difficile d'en contredire les résultats, car je venais tout juste de voir un concurrent du championnat âgé de quarante-sept ans réciter correctement une liste de cent mots aléatoires qu'il avait mémorisés seulement quelques minutes plus tôt.

Voilà. C’est tout pour le moment. Amitiés à tous.

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