samedi 23 juin 2018

Compte rendu du livre « Ma Gestalt-thérapie, une poubelle-vue-du-dehors-et-du-dedans » de Fritz Perls (vingtième partie).



Gestalt-Academie.


Je viens de lire un livre que j’ai trouvé à la fois passionnant, précis et instructif sur la création de la Gestalt-thérapie. Je voudrais vous en faire part à travers quelques articles de ce blog. Il s’agit de « Ma Gestalt-thérapie, une poubelle-vue-du-dehors-et-du-dedans »  de Fritz Perls.

Cet article est la suite de celui-ci.


Voici le résumé de ce livre.

J'ai dans ma poubelle un tas de guérisons prétendues miraculeuses. C'est le genre de choses sensass que je peux exhiber. Elles sont aussi peu miraculeuses que le fait de voir un arbre que ne peut voir un aveugle. C'est simplement que ma zone intermédiaire est moins encombrée que celle de la plupart des autres, et que je suis capable de voir ce qui est évident. Je citerai le cas suivant comme exemple de déséquilibre.

On m'envoya un jour un violoniste parce qu'il avait une crampe de la main gauche après un quart d'heure de concert. Il avait l'ambition de devenir soliste, et n'avait jamais de crampe lorsqu'il jouait dans l'orchestre. Tous les examens neurologiques étaient négatifs. De toute évidence, il s'agissait d'un trouble psychosomatique, pour lequel la psychanalyse était tout indiquée. J'ai bien vu des cas de psychanalyse de longue durée. Cinq ans, dix ans, c'est très fréquent. Mais lui détenait le record. Il en avait eu pour vingt-sept ans, avec six thérapeutes différents. Inutile de dire que tous les aspects du complexe d'Œdipe, masturbation, exhibitionnisme, etc., avaient été passés en revue mainte et mainte fois.

Quand il vint me voir, comme il plongeait déjà vers le divan, je l'arrêtai et je lui demandai d'apporter son violon.
« Pour quoi faire ?
        Je veux voir comment vous vous y prenez pour provoquer cette crampe. »

Il apporta son violon et joua magnifiquement, debout. Je vis qu'il s'appuyait sur sa jambe droite, avec la jambe gauche croisée par-dessus. Au bout de dix minutes environ il commença à vaciller. Quelques minutes plus tard son jeu de doigts se ralentit et il fit quelques couacs. Il s'arrêta : « Vous voyez, ça devient difficile. Et si je me force à continuer j'ai des crampes et je ne peux pas jouer du tout.
        Et quand vous jouez dans l'orchestre, vous n'avez pas de crampes ?
        Jamais !
        A ce moment-là, vous êtes assis ?
        Bien sûr, mais en tant que soliste, je dois jouer debout.
        Bien ! Je vais vous masser les mains. Maintenant levez-vous, écartez légèrement les pieds, pliez les genoux, à peine, et recommencez à jouer. »

Au bout de vingt minutes d'un jeu parfait, il eut les yeux pleins de larmes et murmura : « Je ne peux pas y croire, je ne peux pas y croire ! » Son heure était passée, mais je fis attendre le client suivant. Cela était trop important ! Je voulais en avoir le cœur net et le laissai jouer encore quelques minutes.

Que s'était-il passé ? Nous avons plusieurs polarités qui, mal équilibrées, produisent une rupture, un conflit. Le cas le plus fréquent est la dichotomie gauche-droite. Les moins fréquents sont les conflits avant/ arrière ou haut et bas, comme Lore, la première, l'a observé. La partie du corps située au-dessus de la taille a surtout des fonctions de contact, la partie basse des fonctions de support. Or, mon patient, assis, avait suffisamment d'appui, mais pas assez, debout sur sa jambe droite, pour les délicats mouvements de doigts de sa main gauche. Dès que sa jambe droite était fatiguée de porter tout le poids du corps, il se mettait à vaciller et devait rétablir son équilibre à chaque seconde. La tension causée par ce déséquilibre influait sur les membres antérieurs, particulièrement sur la main gauche. Il nous fallut encore plusieurs semaines de travail pour le sevrer du sacro-saint divan et le débarrasser de ses expressions de « farouche détermination » — mâchoires serrées, etc.

Je ne sais s'il a réussi. Il jouait assez bien, mais je n'ai jamais vu son nom en vedette.

A cette époque-là, j'étais déjà solidement établi à New York et commençais à être connu comme quelqu'un qui ne reculait pas devant les cas difficiles.

En réalité, pendant un certain temps, j'avais couru le risque de ne pas rester aux États-Unis.

Je suis un peu dans l'impasse. J'ai envie de raconter mon arrivée aux États-Unis, et, en même temps, cela ne m'enchante pas. Je vais d'un sujet à l'autre et cela commence à ressembler à un truc, à une technique. Il ne s'agit même pas d'un contrepoint, dont les thèmes s'épauleraient mutuellement. Mais alors, qui d'autre que moi établira les règles de ce qui sera jeté aux ordures et de ce qui sera conservé ? Qui plus est, je ne suis même pas en train d'écrire sur ce qui me préoccupe le plus en ce moment.

Il est trois heures et quart du matin et je ne peux pas m'endormir. C'est une chose qui m'arrive très rarement. D'ordinaire, en cas de surexcitation, je suis capable de mettre le doigt dessus et de la localiser. Tout se dissout et s'évanouit, la conscience du « je », la conscience du corps, et puis, jusqu'au matin, « rien ».

Larry Booth a tourné un film en couleur intitulé Fritz. Ce film est un poème, un portrait de moi assez palpitant, bien qu'on ait dit que ma nature chaleureuse et aimante ne transparaissait pas autant que dans les films où sont enregistrées des séances de thérapie. Cela ne me tracasse pas. Ce qui me bouleverse, ce sont mes soupçons et mon irritation eu égard à certaines de mes attitudes paranoïdes. C'est une chose qui est devenue très rare. Je sens que l'on profite de moi. Réellement et dans les faits, j'ai raison en ce qui concerne le contrat et la situation financière. Mais je ne puis me permettre d'être généreux et en même temps d'avoir le sentiment d'être poire. Je peux me le permettre. Je gagne bien ma vie. Alors, merde !
  
J'ai survécu à l'enfer des Flandres et à pas mal de calomnies. J'ai survécu à la période hollandaise et à bien d'autres difficultés, et pourtant je ne puis avoir une attitude rationnelle à ce sujet. Toujours cet arrogant concept de soi-même : « Me faire ça à moi ! »

J'ai eu nombre d'accès paranoïdes, même dans des situations où j'avais tort. Ces accès ont été très marqués et exagérés après mes premiers « voyages » au L.S.D. A ces moments-là, je perdais tout recul et étais le siège d'une foule d'imaginations vengeresses. Je sais qu'il serait temps de parler des drogues psychédéliques et de mes rapports avec elles. Mais je commence à me sentir pesant et fatigué. Il me faut remettre ça à plus tard. Ce que je viens d'écrire m'apportera-t-il le sommeil ?

A midi, à table, nous parlions de ce qu'était apprendre. J'ai suggéré qu'apprendre c'est découvrir. Cela se rapporte à des faits. L'apprentissage d'une technique, d'un métier, c'est la découverte que quelque chose est possible. Enseigner, c'est montrer que quelque chose est possible. Découvrir : dé-couvrir, ôter la couverture, faire apparaître la chose ou la technique, ajouter quelque chose de « nouveau ».

Une cellule ou un organisme ayant perdu son centre — le point zéro de la normale, le point de l'indifférence créatrice — découvre ce déséquilibre et les moyens d'y remédier. Cela peut être un processus simple ou très compliqué, et présuppose pour le moins que toute vie organique est douée de conscience. Une déficience en eau, par exemple, crée un besoin d'eau temporaire, un instinct appelé soif, puis découvre une source pour se désaltérer, par exemple une bouteille de bière, puis découvre un moyen pour déboucher la bouteille, puis découvre que boire supprime la soif. Exprimé par une formule, cela se dit : « L'état de l'organisme est -x eau. Par l'absorption de +x eau, nous revenons à zéro, et supprimons un déséquilibre. »

Avec une telle formule, nous progressons légèrement par rapport à l'idée qui fait d'une âme ou de Dieu ou de « la vie » l'agent de fonctionnement de l'organisme. Cela bouge déjà un peu ; nous avons une relation bien définie de l’organisme avec son environnement, et nous avons introduit une fonction de base de cet organisme, la nécessité de découvrir.

Voilà. C’est tout pour le moment comme dans les séries télé américaines ou les romans-feuilletons du dix-neuvième siècle. Amitiés à tous.


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