mardi 12 juin 2018

Compte rendu du livre « Ma Gestalt-thérapie, une poubelle-vue-du-dehors-et-du-dedans » de Fritz Perls (sixième partie).




Un des livres de Fritz Perls.


Je viens de lire un livre que j’ai trouvé à la fois formidablement bien écrit, original et passionnant. Je voudrais vous en faire part à travers quelques articles de ce blog. Il s’agit de « Ma Gestalt-thérapie, une poubelle-vue-du-dehors-et-du-dedans »  de Fritz Perls.


Cet article est la suite de celui-ci.

Voici le résumé de l’ouvrage.

Et voilà ! Le thème émerge ! Le contrôle organique opposé au contrôle dictatorial, le contrôle authentique opposé au contrôle autoritaire. La dynamique de la formation de la Gestalt opposée à la superposition des buts manufacturés. La vie plus forte que la schlague des préjugés moraux, le flot puissant et concerté de l'engagement organismique contre le poids de 1' « il faudrait ». J'en reviens à la rupture humaine : l'animal contre le social, le spontané contre le prémédité.

Dans la théorie de l'instinct, il y a quelque chose de faux, car sinon, nous n'aurions pas tant d'auteurs en désaccord sur le nombre et l'importance des divers « instincts ».

Voilà que je me fourvoie encore ! Au lieu de coucher sur le papier mes pensées et mes expériences, je me comporte comme si je voulais écrire un nouveau manuel pour faire le point sur une question, la reformuler et la clarifier. Au fait, j'ai déjà écrit sur la question de l'instinct en 1942. Ma confusion actuelle vient de ce que j'hésite à savoir si oui ou non je puis revendiquer la paternité de ma théorie du « non-instinct », comme si cela pouvait avoir la moindre importance.

Le livre que j'ai écrit en 1942 était intitulé Le Moi, la faim et l’agressivité, titre maladroit s'il en fut. A cette époque, je voulais apprendre à taper à la machine. Au bout de quelques jours d'entraînement, j'ai commencé à m'ennuyer. J'ai décidé alors, comme pour le présent livre, d'écrire tout ce qui demandait à être écrit. En deux mois environ, le livre entier était achevé, publié sans beaucoup de corrections à Durban, en Afrique du Sud.

J'étais arrivé en Afrique du Sud en 1934. La venue au pouvoir de Hitler et ma fuite en Hollande en 1933 avaient interrompu ma formation de psychanalyste. Wilhelm Reich était mon psychanalyste à cette époque et Otto Fenichel et Karen Horney mes directeurs d'études. Fenichel sema en moi la confusion ; Reich, l'impudence ; avec Horney, je plongeai dans l'humain en dehors de toute terminologie. A Amsterdam, en Hollande, j'ai travaillé sous la direction de Karl Landanner, réfugié lui aussi, et qui avait été à Francfort, en Allemagne, le psychanalyste de ma femme. C'était un homme très chaleureux qui fit de son mieux pour rendre le freudisme plus compréhensible. Du moins il ne fit pas ce que j'ai vu faire à Fenichel et à d'autres : des tours de prestidigitation intellectuelle avec le « contre-transfert négatif latent » ou la « sublimation libidinale infantile », etc., performances qui me donnaient d'ordinaire le vertige et que je ne pouvais jamais répéter. Rien d'étonnant que Fenichel ait souvent manqué de patience à mon égard.

On ne peut imaginer contraste de fortune plus grand qu'entre notre vie à Amsterdam et celle d'un an plus tard à Johannesburg.

En avril 1933, j'avais passé la frontière germano-néerlandaise avec 100 Marks cachés dans mon briquet. A Amsterdam, j'ai vécu avec de nombreux réfugiés dans une maison fournie par la communauté juive.

Nous étions empilés les uns sur les autres. L'atmosphère, on s'en doute, était à la préoccupation. Beaucoup avaient laissé leurs proches parents en Allemagne. Bien que les déportations ne fissent que commencer, nous sentions fortement le danger. Comme la plupart des réfugiés qui avaient quitté l'Allemagne d'aussi bonne heure, nous étions sensibles à ces préparatifs de guerre et de camps de concentration.

Bien que Lore et notre premier enfant aient trouvé asile chez ses parents, je ne savais trop s'ils étaient en sûreté, car j'étais sur la liste noire nazie. Ils me rejoignirent en Hollande quelques mois plus tard, nous trouvâmes une mansarde et traversâmes quelques mois encore une misère noire.

Pendant ce temps-là, nous vécûmes de charité, et j'essayai d'en tirer le maximum avec deux personnes qui sont encore dans ma mémoire. L'un d'eux était acteur, un vrai cabotin. Il n'avait rien de particulier, à part son talent véritable : il était pétomane et pouvait jouer ainsi une mélodie entière. J'admirais son talent, et un jour je lui demandai de me répéter son spectacle. Il m'avoua alors qu'il lui fallait d'abord se bourrer la veille de choux ou de fayots.

L'autre était une jeune mariée, du genre fantasque et hystérique. J'ai été quelque temps l'un de ses deux amants. Je n'en parlerais pas si elle ne m'avait donné l'occasion d'être pour la seule fois de ma vie superstitieux, et de croire aux phénomènes surnaturels. C'était à propos d'un fétiche, un « Minogame ».

Le mien était un bronze japonais d'à peu près vingt-cinq centimètres, quelque chose entre le dragon et le lézard. Je l'avais reçu à Berlin, peu avant la venue au pouvoir de Hitler, en gage d'amitié, des mains d'un cinéaste célèbre qui m'avait assuré que c'était un porte-bonheur.

J'étais sceptique. Il ne lui avait pas porté bonheur.

A moi non plus, puisque, bientôt, j'avais dû quitter l'Allemagne. La vie en Hollande était difficile, surtout après la venue de ma famille avec laquelle je vivais dans cet appartement, glacé par temps de gel. Nous n'avions pas de permis de travail. Les meubles de valeur que nous parvînmes finalement à faire sortir d'Allemagne arrivèrent dans un wagon à découvert, très abîmés par la pluie. L'argent provenant de leur vente et de celle de mes livres ne dura pas longtemps. Lore se fit avorter, puis eut une dépression. Et, par-dessus le marché, la jeune femme en question commença de faire des histoires.

Je décidai alors de tenter les dieux. J'étais convaincu à ce moment-là que le fétiche me portait la poisse et je le donnai à l'emmerdeuse. Coïncidence ou non, son riche époux la mit dehors, sans compter les autres ennuis qui lui tombèrent sur le dos.

A la même époque, notre situation changea complètement. C'était comme si une malédiction s'était envolée.

Ernest Jones, l'ami et le biographe de Freud, se démena remarquablement pour les psychanalystes juifs persécutés. On lui demandait un analyste formateur pour un poste à Johannesburg. J'obtins ce poste. Je n'avais pas demandé de garanties. Non seulement je voulais en finir avec cette situation désespérée d'Amsterdam, mais je pressentais aussi l'avenir. Je dis à mes amis : « Il se prépare la plus grande guerre de l'Histoire, et vous ne mettrez jamais assez de kilomètres entre vous et l'Europe. »

A l'époque, ils me crurent fou, mais, plus tard, me félicitèrent de mes prévisions.
  

Voilà. C’est tout pour le moment. Amitiés à tous.


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