Un autre roman de
Jean-Patrick Manchette transposé en BD.
En l’an 2000, j’ai publié un livre sur un
auteur « révolutionnaire », Jean-Patrick Manchette.
Face à la crise que nous connaissons
aujourd’hui, ses analyses sur notre société me paraissent être totalement
d’actualité. Ici, sa description de la désinformation est plus vraie que nature
et correspond presque totalement à la situation de la France de maintenant.
Voilà pourquoi, j’ai décidé de partager avec vous l’essentiel de mon étude sur
cet écrivain à travers plusieurs articles de ce blog.
« LA DÉSINFORMATION
Toutes ces magouilles, ces lacunes de la
police sont rendues possibles par une désinformation générale contre laquelle
peu de gens protestent.
Dès L’Affaire N’Gustro, Manchette s’en prend violemment
à la presse, notamment celle de gauche, qu’il accuse implicitement de
complaisance. Jacquie Gouin, la maîtresse de Butron, est journaliste et écrit
pour Le Nouvel informateur (allusion évidente au Nouvel observateur). Elle
entreprend toute une série d’articles sur Butron afin d’expliquer comment un
jeune homme de bonne famille en est arrivé là et a rejoint les rangs de
l’extrême droite.
Mais en fait son unique but est de vendre du papier et de se
faire connaître. Les lecteurs, quant à eux, ne désirent qu’une seule chose,
frissonner à la pensée de la brutalité de Butron au lieu de réfléchir et d’agir
pour changer la société. Sartre, lui-même, qui est dépeint de façon transparente
comme directeur de la revue Contemporanéité (Les Temps modernes) sous le nom de
Hourgnon, est assimilé à un intellectuel méprisable et sans intérêt !
Dans Nada, les journaux de toute
tendance sont affiliés au pouvoir et ne rendent compte que de façon déformée de
l’enlèvement de l’ambassadeur. La radio transmet un communiqué du Ministère de
l’Intérieur où il est question d’« acte révoltant », « châtiment exemplaire »,
« réprobation et mépris du peuple français ». « [...] cet attentat était
l’œuvre de ceux qui, par folie et par calcul, ont décidé coûte que coûte de
provoquer le désordre », telle est la conclusion du message radiophonique qui
naturellement n’est ni commenté, ni critiqué par les journalistes. A la fin du
roman, pour déjouer cette mécanique de censure, Treuffais, le seul survivant,
téléphone à une agence de presse étrangère à laquelle il raconte sans la
déformer la véritable histoire du groupe « Nada ».
Cette presse complaisante, lorsqu’elle
n’est pas censurée, devient en définitive d’une qualité déplorable et Manchette
se plaît à plusieurs reprises à parodier son style stéréotypé, son absence de pensée
et son goût de l’extraordinaire aux dépens de la vérité de l’information,
notamment dans les deux aventures d’Eugène Tarpon et plus particulièrement dans
Morgue pleine :
« Starlette assassinée, disait le titre,
le meurtrier pourrait être un cambrioleur (page 5). Pourquoi pas, en effet ?
ai-je pensé. Un cambrioleur, ou bien le Nonce Apostolique, ou bien un familier
de la victime. Ou bien Lee Harvey Oswald. Quelqu’un comme ça. » (chap. 7)
« [...] mes ravisseurs pouvaient être
des sous-prolétaires maoïstes avides de se faire justice eux-mêmes (Le Parisien
Libéré). » (chap. 16)
« extrait de l’hebdomadaire Détection,
Le fratricide dément voulait châtrer tous ceux qui avaient obtenu les faveurs
de sa sœur. » (chap. 24)
Le goût du sensationnel et du macabre
aboutit à une absence de hiérarchie dans l’information. L’individu moyen
n’arrive plus à savoir ce qui est véritablement important dans la société et
mérite d’être retenu et analysé.
« La une était partout consacrée au
champion de boxe décédé dans l’accident d’avion, ou bien à des événements
politiques. » (Que d’os ! chap. 11)
Naturellement, il n’est question dans
aucune revue de ce qui arrive à Tarpon et des malfrats qu’il tente de
débusquer! Aucune révélation non plus sur les compromissions de la police dans
l’affaire de trafic d’héroïne.
Le pastiche des articles de presse
culmine en une sorte de feu d’artifice humoristique dans Le Petit Bleu de la
côte ouest. Manchette énumère d’une façon imperturbable les sujets incohérents
abordés dans France-soir, qui devient le symbole de la sorte de poubelle à
informations que sont devenus les journaux : tiercé, détournement d’avion,
disparition d’un chalutier breton, une centenaire qui vote à gauche, chien
enlevé par des extraterrestres (sic !), etc. Naturellement, dans cette
logorrhée, se glisse et se dissimule la nouvelle importante : « le gouvernement
s’apprête à prendre des mesures brutales ».
Dans ce jeu de massacre seul est épargné
le quotidien Le Monde auquel il est fait référence de manière allusive dans
presque tous les romans de Manchette et dont il était lui-même un fidèle
lecteur. »
Voilà. C’est tout pour le moment.
Amitiés à tous.
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