jeudi 17 août 2017

Pause dans le blog avec le livre "Méditer, jour après jour" de Christophe André, « La méditation sur les émotions » (deuxième partie).



Un détail du tableau de Cranach.


Chaque chapitre du livre Méditer, jour après jour de Christophe André est illustré par un tableau correspondant à l’état d’esprit du chapitre. Ici il s’agit de La Mélancolie de Lucas Cranach l’Ancien. L’auteur écrit au sujet de ce tableau : « C’est un mélange d’ordre et de désordre, insolite, indéchiffrable, qui met discrètement mal à l’aise. On ne saisit pas ce que le peintre veut nous dire. Puis, au bout d’un moment, on ne comprend pas mieux, mais au moins on commence à percevoir l’organisation du tableau. »

Il y a dans cette Mélancolie de Cranach du réel et de l’irréel, de la tension et du calme, de l’action et de l’ennui. Des choses que l’on comprend, à peu près, et d’autres qui nous échappent et nous dépassent. Et dont on pressent que cela nous échappera et nous dépassera toujours.

Mais n’est-ce pas souvent comme cela que se présente à nous notre propre expérience émotionnelle ?

En réalité, nos émotions, même désagréables, ne sont pas les « mauvaises herbes » de notre esprit. Elles font partie de notre écologie psychique. Commencer par les accepter n'est possible et viable que si, par ailleurs, nous sommes conscients d'elles et de leurs mécanismes d'influence, puissants ou subtils. Les émotions tendent naturellement à s'imposer à nous ; c'est sur leur influence que nous devons agir, pas sur leur présence. D'ailleurs, le but de ce que l'on nomme en psychologie la « régulation émotionnelle » n'est pas le vide, le zen ou le calme. En tout cas, pas tout de suite, ou pas directement. Le but, c'est la conscience, la clarté.

Il y a ainsi dans la méditation deux « compétences » fondamentales pour progresser sur la voie de l'équilibre émotionnel : la première consiste à créer un espace intérieur pour permettre l'expérience de l'instant présent ; la seconde, à accueillir cette expérience telle qu'elle est, à la laisser exister. Pour dépasser une souffrance ou un inconfort, il faut d'abord avoir admis qu'ils existent en nous. On ne peut quitter un endroit où l'on n'a jamais accepté d'arriver : et on ne peut se libérer d'une souffrance qu'on n'a jamais accepté de reconnaître.

C'est seulement comme ça que, dans les moments de détresse émotionnelle, nous pourrons écouter et croire nos propres paroles de réconfort : se dire que ce n'est pas grave, que ça va passer, etc. Cela ne marche que si nous avons d'abord pleinement accepté le problème, pas si nous sommes encore en train de refuser son existence (« Ce n'est pas possible, ce n'est pas juste. »). Les graines de la sérénité ne poussent que sur une terre de lucidité, pas sur le déni ou le mensonge à soi-même. Pour que des paroles apaisantes soient réellement des paroles apaisantes, il faut prendre le temps de les accueillir, de les écouter, de les ressentir, de les éprouver. De les faire vivre en soi. Comme nous le faisons pour les émotions douloureuses. Et il n'est pas interdit, bien sûr, de donner aussi de l'espace à ses émotions agréables.

Donc, lorsque je suis troublé, contrarié, inquiet, surtout il ne faut pas passer à autre chose pour m'en libérer, me soulager. Au contraire, si j'en ai le temps, il est déterminant d’observer ce qui se passe en moi. Quelle est cette émotion qui m'habite? Vers quoi me pousse-t-elle? Cela semble très simple, mais évidemment ça ne l'est pas : comme pour nos pensées, nos émotions s'imposent à nous, c'est-à-dire qu'elles ne se présentent pas comme des phénomènes subjectifs, mais comme l'évidence, la réalité non discutable. Alors, il ne faut pas chercher à modifier ce que je ressens, ne pas chercher à me consoler ou à me calmer. Juste me rendre présent. Bien respirer alors, ne rien «vouloir» d'autre que m'attacher à respirer en observant ce qui se passe en moi. 

La respiration, la présence, la pleine conscience, c’est un peu comme une lampe dans les ténèbres : nous pouvons voir où nous sommes même si c’est toujours la nuit. Et parfois, ce sera étonnant ; en acceptant nos émotions douloureuses, en consentant à les traverser, nous découvrirons que cela se passe comme lorsqu’on traverse un nuage ; finalement, il n’y avait rien dedans de bien solide. Et à la sortie, le soleil brillera à nouveau. Nous nous nous apercevrons que, même si le soleil avait cessé de briller pour nous, il était toujours là, il avait toujours été là, même quand nous étions perdus dans nos émotions de souffrance.


Voilà. C’est tout pour le moment. La suite au prochain numéro.

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