Un livre de Bertrand Méheust sur le cas du voyant Alexis Didier.
Je vous avais parlé dans mon
précédent article des relations du romancier Alexandre Dumas avec le voyant Alexis Didier (1826-1886), très connu
au dix-neuvième siècle. Dumas a écrit deux « lettres magnétiques » dont
la première est parue le 13 septembre 1847 dans Le Journal des débats et dont je vous livre un extrait (vous pourrez en trouver l'intégralité sur Google Livres) . A noter que
les expériences décrites par Dumas sur Alexis peuvent être expliquées par un
prestidigitateur comme d’abord un tour de jeu de cartes truquées ou avec
complice et ensuite un effet de book test.
« Voulez-vous me permettre
de vous écrire une longue lettre sur ce qui s'est passé chez moi aujourd'hui?
Cette lettre ne sera peut-être pas sans un certain intérêt de circonstance.
N'allez pas croire, par ces
derniers mots, qu'il soit question du procès Teste, de l'assassinat Praslin ou
des émeutes de la rue Saint-Honoré ; il est tout simplement question de
magnétisme.
Vous avez repris, depuis trois ou
quatre jours, la publication de Joseph
Balsamo ; et dans la première partie de ce roman le magnétisme a joué un
grand rôle.
Le rôle ne doit pas être moins
important dans la seconde partie que dans la première.
L'introduction de ce nouveau
moyen dramatique dans mon œuvre préoccupe bien des gens, je puis le dire sans
vanité, ayant reçu une vingtaine de lettres anonymes, dont les unes me disent
que si je crois à ce que j'écris, je suis un charlatan ; et les autres, que si
je n’y crois pas, je suis un imbécile.
Or, il faut que j'avoue une chose
avec cette franchise qui me caractérise, c'est qu'avant aujourd'hui, 5 septembre
1847, je n'avais jamais vu une séance de magnétisme.
Il est juste de dire, en
revanche, que j'avais à peu près lu tout ce qui avait été écrit sur le
magnétisme.
D'après ces lectures, une
conviction était passée en mon esprit, c'est que je n'avais rien fait faire à
Balsamo qui n'eût été fait, ou tout au moins ne fût faisable.
Cependant, dans notre époque de
doute, il me parut qu'une seule conviction ne suffisait pas, et qu'il en
fallait deux : une conviction de fait, si l'on peut dire cela, et une
conviction de droit.
J'avais déjà la conviction de
droit ; je résolus de rechercher la conviction de fait.
Je priai M. Marcillet de venir
passer la journée à Monte-Cristo avec son somnambule Alexis.
C'est jeudi dernier, je crois,
que l'invitation avait été faite. Depuis jeudi un accident était arrivé dans la
maison, qui m'eût fait désirer, si la chose eût été possible, de remettre la
séance à un autre jour.
Mon pauvre arabe Paul, que vous
m'avez déjà aidé à illustrer sous le nom d'Eau de Benjoin, était tombé malade
jeudi soir, et la maladie avait fait de tels progrès, qu'aujourd'hui il était
sans connaissance. J'eusse donc, comme je vous le disais, désiré remettre la
séance à un autre jour ; malheureusement quelques amis étaient prévenus, à qui
je n'eusse pas eu le temps de donner avis de la remise, et qui fussent venus inutilement
à Saint-Germain. Or, aux amis qui font cinq lieues par la pluie, on doit bien
quelque concession, et je leur fis celle de ne rien changer aux dispositions
prises, malgré la triste préoccupation où me plongeait l'état désespéré du malade.
A deux heures, tout le monde
était réuni. La scène se passait dans un salon, au second.
On prépara une table ; sur cette
table on étendit un tapis ; sur ce tapis on posa deux jeux de cartes encore enfermés
dans leur enveloppe timbrée de la régie, du papier, des crayons, des livres,
etc.
M. Marcillet endormit Alexis sans
faire un seul geste et par la seule puissance de sa volonté.
Le sommeil fut cinq ou six
minutes à venir. Quelques tressaillements nerveux et une légère oppression le
précédèrent. Il y avait surabondance de fluide. M. Marcillet enleva cette
surabondance par plusieurs passes ; le sommeil devint plus calme, et au bout
d'un instant fut complet.
Alors, deux tampons de ouate
furent faits et posés sur les yeux d'Alexis ; un mouchoir assura les tampons
sur les yeux ; deux autres mouchoirs, posés en sautoir et noués derrière la
tête, détruisirent jusqu'à la supposition qu'il fût possible au somnambule de
voir par l'organe naturel, c'est-à-dire par les yeux.
Le fauteuil où dormait le
somnambule fut roulé vers une table ; de l'autre côté de la table s'assit M.
Bernard ; une partie d'écarté commença.
En touchant les cartes, Alexis
déclara qu'il se sentait parfaitement lucide, que par conséquent on pouvait exiger
de lui tout ce qu'on voudrait. Il paraissait effectivement, au milieu de son
sommeil, en proie à une vive agitation nerveuse.
Trois parties d'écarté se firent sans qu'Alexis relevât une
seule fois ses cartes ; constamment il les vit couchées sur la table, les
retournant pour jouer et annonçant d'avance quelle carte il jouait. Pendant les
trois parties il vit également dans le jeu de son adversaire, que son adversaire
relevât ses cartes ou les laissât sur la table.
Plusieurs personnes manifestèrent le désir de voir M.
Bernard céder sa place. M. Bernard se retira ; M. Charles Ledru s'assit à son
tour en face d'Alexis.
La lucidité allait croissant. Alexis annonçait les cartes au
fur et à mesure que M. Ledru les donnait.
Enfin il repoussa le jeu en disant :
« C'est trop facile. Autre chose :
On prit un livre au hasard parmi les volumes posés sur la
table, et complétement inconnus au somnambule. C'était un Walter Scott, traduction de Louis Vivien, Les Eaux de Saint-Ronan.
Le somnambule l'ouvrit au hasard, à la page 229.
«A quelle page voulez-vous que je lise ? demanda-t-il.
— A la page 249, répondit Maquet.
— Peut-être sera-ce un peu difficile ; le caractère est bien
fin. N'importe, je vais essayer.
Puis il prit un crayon, traça une ligne aux deux tiers de la
page.
« Je vais lire à cette hauteur, ajouta-t-il.
Et il lut sans hésitation, écrivant les yeux bandés, les deux
lignes suivantes :
« Nous ne nous arrêterons pas sur les difficultés inséparables
du transport. »
L'impatience fit qu'on ne lui laissa pas lire plus loin.
Nous lui prîmes le livre des mains ; et à la page 249, aux deux tiers de la
page, à la 35 ème ligne commençant un alinéa, nous lûmes exactement les mêmes
paroles que venait d'écrire Alexis : il avait lu à travers onze pages. »
Voilà. C’est tout pour aujourd’hui. Amitiés à tous.
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