jeudi 16 mars 2017

Alexandre Dumas, un auteur à part passionné de mentalisme : chiromancie, hypnose, magnétisme, prestidigitation, art du pickpocket, voyance (deuxième partie).




Un livre de Bertrand Méheust sur le cas du voyant Alexis Didier.



Je vous avais parlé dans mon précédent article des relations du romancier Alexandre Dumas avec le  voyant Alexis Didier (1826-1886), très connu au dix-neuvième siècle. Dumas a écrit deux « lettres magnétiques » dont la première est parue le 13 septembre 1847 dans Le Journal des débats et dont je vous livre un extrait (vous pourrez en trouver l'intégralité sur Google Livres) . A noter que les expériences décrites par Dumas sur Alexis peuvent être expliquées par un prestidigitateur comme d’abord un tour de jeu de cartes truquées ou avec complice et ensuite un effet de book test.

« Voulez-vous me permettre de vous écrire une longue lettre sur ce qui s'est passé chez moi aujourd'hui? Cette lettre ne sera peut-être pas sans un certain intérêt de circonstance.

N'allez pas croire, par ces derniers mots, qu'il soit question du procès Teste, de l'assassinat Praslin ou des émeutes de la rue Saint-Honoré ; il est tout simplement question de magnétisme.

Vous avez repris, depuis trois ou quatre jours, la publication de Joseph Balsamo ; et dans la première partie de ce roman le magnétisme a joué un grand rôle.

Le rôle ne doit pas être moins important dans la seconde partie que dans la première.

L'introduction de ce nouveau moyen dramatique dans mon œuvre préoccupe bien des gens, je puis le dire sans vanité, ayant reçu une vingtaine de lettres anonymes, dont les unes me disent que si je crois à ce que j'écris, je suis un charlatan ; et les autres, que si je n’y crois pas, je suis un imbécile.

Or, il faut que j'avoue une chose avec cette franchise qui me caractérise, c'est qu'avant aujourd'hui, 5 septembre 1847, je n'avais jamais vu une séance de magnétisme.

Il est juste de dire, en revanche, que j'avais à peu près lu tout ce qui avait été écrit sur le magnétisme.

D'après ces lectures, une conviction était passée en mon esprit, c'est que je n'avais rien fait faire à Balsamo qui n'eût été fait, ou tout au moins ne fût faisable.

Cependant, dans notre époque de doute, il me parut qu'une seule conviction ne suffisait pas, et qu'il en fallait deux : une conviction de fait, si l'on peut dire cela, et une conviction de droit.

J'avais déjà la conviction de droit ; je résolus de rechercher la conviction de fait.

Je priai M. Marcillet de venir passer la journée à Monte-Cristo avec son somnambule Alexis.

C'est jeudi dernier, je crois, que l'invitation avait été faite. Depuis jeudi un accident était arrivé dans la maison, qui m'eût fait désirer, si la chose eût été possible, de remettre la séance à un autre jour.

Mon pauvre arabe Paul, que vous m'avez déjà aidé à illustrer sous le nom d'Eau de Benjoin, était tombé malade jeudi soir, et la maladie avait fait de tels progrès, qu'aujourd'hui il était sans connaissance. J'eusse donc, comme je vous le disais, désiré remettre la séance à un autre jour ; malheureusement quelques amis étaient prévenus, à qui je n'eusse pas eu le temps de donner avis de la remise, et qui fussent venus inutilement à Saint-Germain. Or, aux amis qui font cinq lieues par la pluie, on doit bien quelque concession, et je leur fis celle de ne rien changer aux dispositions prises, malgré la triste préoccupation où me plongeait l'état désespéré du malade.

A deux heures, tout le monde était réuni. La scène se passait dans un salon, au second.

On prépara une table ; sur cette table on étendit un tapis ; sur ce tapis on posa deux jeux de cartes encore enfermés dans leur enveloppe timbrée de la régie, du papier, des crayons, des livres, etc.

M. Marcillet endormit Alexis sans faire un seul geste et par la seule puissance de sa volonté.

Le sommeil fut cinq ou six minutes à venir. Quelques tressaillements nerveux et une légère oppression le précédèrent. Il y avait surabondance de fluide. M. Marcillet enleva cette surabondance par plusieurs passes ; le sommeil devint plus calme, et au bout d'un instant fut complet.

Alors, deux tampons de ouate furent faits et posés sur les yeux d'Alexis ; un mouchoir assura les tampons sur les yeux ; deux autres mouchoirs, posés en sautoir et noués derrière la tête, détruisirent jusqu'à la supposition qu'il fût possible au somnambule de voir par l'organe naturel, c'est-à-dire par les yeux.

Le fauteuil où dormait le somnambule fut roulé vers une table ; de l'autre côté de la table s'assit M. Bernard ; une partie d'écarté commença.

En touchant les cartes, Alexis déclara qu'il se sentait parfaitement lucide, que par conséquent on pouvait exiger de lui tout ce qu'on voudrait. Il paraissait effectivement, au milieu de son sommeil, en proie à une vive agitation nerveuse.

Trois parties d'écarté se firent sans qu'Alexis relevât une seule fois ses cartes ; constamment il les vit couchées sur la table, les retournant pour jouer et annonçant d'avance quelle carte il jouait. Pendant les trois parties il vit également dans le jeu de son adversaire, que son adversaire relevât ses cartes ou les laissât sur la table.

Plusieurs personnes manifestèrent le désir de voir M. Bernard céder sa place. M. Bernard se retira ; M. Charles Ledru s'assit à son tour en face d'Alexis.

La lucidité allait croissant. Alexis annonçait les cartes au fur et à mesure que M. Ledru les donnait.

Enfin il repoussa le jeu en disant :
« C'est trop facile. Autre chose :
On prit un livre au hasard parmi les volumes posés sur la table, et complétement inconnus au somnambule. C'était un Walter Scott,  traduction de Louis Vivien, Les Eaux de Saint-Ronan.
Le somnambule l'ouvrit au hasard, à la page 229.
«A quelle page voulez-vous que je lise ? demanda-t-il.
— A la page 249, répondit Maquet.
— Peut-être sera-ce un peu difficile ; le caractère est bien fin. N'importe, je vais essayer. 

Puis il prit un crayon, traça une ligne aux deux tiers de la page.
« Je vais lire à cette hauteur, ajouta-t-il.
Et il lut sans hésitation, écrivant les yeux bandés, les deux lignes suivantes :
« Nous ne nous arrêterons pas sur les difficultés inséparables du transport. » 

L'impatience fit qu'on ne lui laissa pas lire plus loin. Nous lui prîmes le livre des mains ; et à la page 249, aux deux tiers de la page, à la 35 ème ligne commençant un alinéa, nous lûmes exactement les mêmes paroles que venait d'écrire Alexis : il avait lu à travers onze pages. »

Voilà. C’est tout pour aujourd’hui. Amitiés à tous.

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