Peinture.
Je viens de lire un livre que j’ai
trouvé à la fois passionnant, précis et instructif sur la création de la
Gestalt-thérapie. Je voudrais vous en faire part à travers quelques articles de
ce blog. Il s’agit de « Ma Gestalt-thérapie, une
poubelle-vue-du-dehors-et-du-dedans » de Fritz Perls.
Cet article est la suite de celui-ci.
Voici le résumé de ce livre.
Mes premiers
souvenirs en fait de peinture remontent à une visite à la Galerie nationale de
Berlin. Je devais avoir huit ans quand ma mère m'y mena. Je fus fasciné par les
tableaux de femmes nues ; ma mère en était gênée et rougissante. Je pris les
tableaux religieux pour ce qu'ils étaient : de la propagande pour Jésus-Christ.
Certains tableaux me frappèrent par leur beauté, une grande Madone bleue de
Raphaël avec de gentils angelots, et l'Homme au casque d'or de Rembrandt. A
l'école, j'étais très fort en dessin. Même quand je faisais la grève pour
toutes les autres matières, j'aimais bien le cours de dessin. Non, il y avait
une autre exception, les mathématiques, qui me fascinaient si fort que je ne
pouvais me résoudre à ne pas y assister.
En général, je
ne faisais aucune préparation scolaire. J'étais déjà trop engagé dans ma
tentative de devenir acteur. Je fus appelé un jour au tableau noir pour
résoudre un problème difficile. Je l'examinai et m'en tirai, sur quoi le
professeur commenta : « Ce n'est pas de cette manière-là que je vous l'ai
expliqué hier. Vous aurez une bonne note en travail et une mauvaise en
application. » Cela m'impressionna.
Dessiner, ce
fut toujours copier des choses — les ombres, la perspective. Il en fut ainsi
pendant longtemps. Je me faisais une pauvre idée de l'art, essentiellement
dictée par la gloire du peintre. Il m'a fallu longtemps pour considérer Picasso
comme ce qu'il était, un massacreur, Gauguin comme un producteur d'affiches et
Rousseau comme un « chosificateur ». Quelques peintres grandirent dans mon
estime : Klee, Van Gogh, Michel-Ange et Rembrandt. Pour Klee, j'éprouve une
affection de plus en plus grande. Chez Van Gogh, ce qui me fascine et me
renverse, c'est son déchaînement. Le plafond de la Sixtine est pour moi comme
un parent bien-aimé que je chéris avec une loyauté indéfectible. Mais Rembrandt,
pour moi, est, comme Goethe — un moi unifié —, un centre transcendant débordant
d'une intense vitalité. Je me suis assis une fois plus d'une heure devant sa Ronde
de nuit au Rijksmuseum d'Amsterdam.
J'ai parfois
violemment envie d'un tableau et alors il faut que je l'achète. Bien sûr, cela
n'est pas toujours possible. Le peintre risque d'être trop connu et je ne suis
ni un homme riche ni un collectionneur de tableaux.
Évidemment, «
si » j'avais été avide et malin, j'aurais pu acheter des tableaux avec les cinq
cents dollars que j'avais gagnés à Bremerhaven, mais alors je n'aurais
peut-être pas voulu m'en séparer et je me serais retrouvé dans un camp de
concentration, où les tableaux auraient été brûlés comme art dégénéré. Ainsi
nous voilà revenus à : « Si ma tante avait des roues, elle serait une
automobile. »
Après mon
arrivée aux États-Unis, je commençai à prendre la peinture plus au sérieux. La
vie de plein air et les sports que je pratiquais en Afrique du Sud semblaient
disparaître à New York, ville de pierre, de fièvre et de culture. Lore écrivait
des poèmes et des nouvelles. Et elle avait son piano. Elle était bonne pianiste
; dans sa jeunesse, elle avait hésité entre l'étude du droit et, plus tard, de
la psychologie et une carrière de soliste.
Je devins
sur-le-champ un esclave professionnel de l'heure, à l'heure, à l'exception de
mes longues vacances d'été à Province-town, au Cap Cod.
Nous y allions
tous les étés et Lore y va encore. Pour moi, cet endroit est gâté depuis qu'on
lui a ôté son innocence et offert la laideur en échange. A vrai dire,
j'exagère.
La population
estivale était composée de pêcheurs, d'artistes et de psychanalystes. Je
m'adonnai bientôt activement à la voile et à la peinture. Comme en avion, je
préférais naviguer seul. De même qu'en avion j'aimais le profond silence de
l'air, lorsque, moteur coupé, on glisse vers la terre en vol plané.
Je n'ai jamais
pu me faire à la pêche, je n'ai pêché que de petits poissons et un carrelet.
Je me donnai
intensément à la peinture, c'en était presque une obsession. Bientôt je pris
professeur sur professeur. A Ein Hod, en Israël, je fis de même.
J'aime bien
l'atmosphère d'une classe, avec l'émulation jalouse des élèves et la fierté
qu'ils retirent de leur production. J'aime cette plongée dans l'isolement qui
accompagne la relation objet-peintre-toile. J'aime cette anticipation des
groupes de rencontre, avec les critiques et les louanges mutuelles des « chefs-d’œuvre
» de chacun. J'aime que la toile soit le seul lieu où l'on peut commettre impunément
n'importe quel crime.
J'ai bien aimé
presque tous mes professeurs avec leurs phrases stéréotypées : « Tout ce que je
veux, c'est que vous vous exprimiez », mais qui cachent la deuxième partie de
leur pensée : « Pour autant que vous le fassiez comme je le désire. »
Il n'y a que
quelques années que je suis devenu vraiment peintre. J'avais appris un tas de
trucs, techniques, composition, mélange de couleurs. Tout cela contribua
simplement au renforcement du Fritz synthétique, de l'approche délibérée,
calculatrice de la vie, ratiocinante et scrutative. Et c'est très rarement que
j'ai pu réaliser quelque chose qui approche de la réalité du soi se projetant
sur la toile.
Pour sûr, j'ai
vendu quelques toiles. La plupart sont maintenant chez moi. Nombre d'entre
elles soutiennent la comparaison avec celles du peintre américain moyen qui,
voulant être différent de ses confrères, ne révèle que la même ennuyeuse
identité du besoin d'être différent, d'avoir son propre truc, qu'il nomme son
style.
Et puis, il y
a quelques années, « cela » a marché avec certaines aquarelles. Un jour, mañana,
je me remettrai à peindre.
D'une certaine
façon, je compare la peinture avec mon écriture actuelle ; soudain, après des
décennies, c'était ça. Dans les deux cas, écrire et peindre, je sais que j'ai
dépassé le statut d'amateur et progressé, en passant d'un symptôme à une
vocation.
Voilà. C’est tout pour le moment comme
dans les séries télé américaines ou les romans-feuilletons du dix-neuvième
siècle. Amitiés à tous.
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