Disciple de plusieurs maîtres chinois et maître de Ejo, il implanta le
zen Soto au Japon et fonda le temple Eiheiji. Son œuvre maîtresse est le Shobogenzo (Le Trésor de l'œil de la Vraie
Loi). Ses principales autres œuvres sont : le Eihei koroku (Extensive Record de Dōgen), le Eihei shingi (Règles de
pureté Eihei) dont le premier chapitre est le Tenzo kyokun (Les instructions au cuisinier), le Fukanzazengi (Pour
la diffusion universelle des principes du zazen), le Gakudojojinshu
(Conseils pour étudier le chemin), le Shobogenzo
zuimonki (Trésor du véritable œil du dharma: récit des choses entendues),
ainsi que les poèmes du Sansho doei (Versets
sur le chemin de Sansho).
Quelques précisions sur ses œuvres principales,
— Le Fukanzazengi, « Recommandations générales sur les règles du
zazen », écrit dès 1227, où il rectifie certaines idées selon lui erronées
sur la méditation, et qui est devenu l'objet d'une récitation quotidienne lors
des méditations du soir dans les monastères.
— Le Gakudojinshu, « Recueil des points à observer dans l'étude de
la voie », écrit en 1234 pour guider ses étudiants le long de la voie.
— Et surtout son chef-d’œuvre,
le volumineux et difficile Shôbôgenzô,
« Le Trésor de l'œil du vrai Dharma » qui est en fait une compilation
de ses écrits et de ses sermons pendant les vingt dernières années de sa vie,
auquel on peut adjoindre le Shôbôgenzô
zuimonki, série d'enseignements oraux de Dôgen recueillis et mis en forme
par son disciple Ejô.
Biographie :
Eihei Dôgen fut, semble-t-il, orphelin de père à deux ans et de mère à
sept ans. Adopté par un oncle, il s'enfuit à douze ans chez un autre de ses
oncles vivant au pied du mont Hiei. En 1213, il entre au monastère du Hieizan,
puis séjourne peut-être au monastère de Miidera de l'école Tendai à tendance ésotérique
(Mikkyô).
Selon l'interprétation traditionnelle, son questionnement — « Pourquoi, si notre nature essentielle est la bodhi, pourquoi tous les bouddhas doivent-ils lutter durement avant d’atteindre le plein Éveil ? » - le mène au Kennin-ji fondé par Eisai (Yôsai), monastère tendai où ce dernier a introduit le courant Rinzai. Eisai étant mort en 1215, Dôgen suit les enseignements d'un de ses disciples, Myôzen (1184-1225), pendant neuf ans.
En 1223, il l'accompagne en Chine, séjourne un temps au monastère Tiantongsi sous la direction de Musai Zenji, puis poursuit sa quête avant de revenir en ce même monastère, où il devient en 1225 le disciple du nouvel abbé, Tiantong Rujing (1163-1228), un maître de l'école Caodông. Dôgen connaît un profond Éveil et reçoit la transmission. De retour au Japon en 1227, il s'installe d'abord au Kennin-ji, à Kyôto, avant de déménager en 1230 dans un temple désaffecté, l'Anyôin. En 1234, il rencontre Ejô, son principal disciple, qui lui succédera plus tard.
Vers 1237, il fonde le temple de Kôshô-ji, non loin de Kyôto, où il va
enseigner durant dix ans. C'est le premier monastère zen au Japon. L'afflux des
auditeurs diversement motivés, la proximité du Hieizan hostile au Zen, le
décidèrent sans doute à se retirer dans un ermitage de montagne à Echizen.
Bientôt, grâce aux dons et à la protection d'Hatano Yoshishige, le représentant
du shôgun à Kyôto, l'ermitage se transforma en un grand monastère, 1 'Eihei-ji,
devenu depuis le siège de l'école Soto. En 1253, Dôgen Zenji remet à Ejô ses
fonctions d'abbé de l'Eihei-ji et meurt quelques semaines plus tard à Kyôto.
L’enseignement de Dôgen repose
essentiellement sur trois points principaux :
1.- La pratique sans but ni objet (mushotoku)
2.- L’abandon du corps et de
l’esprit (shin jin datsu raku)
3.- La pratique est elle-même satori (shu sho ichi nyo)
Maître Deshimaru a synthétisé sept principes du zen selon Maître Dôgen. Voici ses commentaires :
1) Zazen et satori (illumination) sont unité.
Shu sho ichi nyo
Shu (la pratique de zazen), c’est
retourner à l’origine. Le corps et l’esprit retrouvent leur condition normale.
Le vrai sens est s’éveiller, remarquer, prendre conscience, comprendre la
vérité. Lorsque l’esprit est clair, Sho, le satori (illumination), peut jaillir
à partir de pensées mauvaises ou bonnes. Je répète toujours que, durant zazen,
il faut aller de pensée en non-pensée, de non-pensée en pensée. Telle est la
conscience hishiryo (L’au-delà de la pensée, penser du tréfonds de la
non-pensée. Penser sans penser, sentir sans sentir. La conscience hishiryo
apparaît quand la conscience personnelle suit l’ordre cosmique.)
Zazen lui-même est
pratique-réalisation.
Shu, la pratique de zazen, touche
non seulement votre propre personne mais aussi les autres. Faire zazen pour les
autres. Durant zazen, vous devenez unité avec vos voisins. Tel est le véritable
bouddhisme Mahayana. Zazen lui-même est Bouddha.
Pour Dôgen, la culture ou
pratique (« shu ») ne mène pas à l'Éveil et l’Eveil n'est pas le
couronnement de la pratique. En pratiquant on est éveillé et, dans l'Éveil, il
n'y a que pratique. Ce principe servira par la suite de justification au
caractère ritualiste du Zen Soto. L'important, selon lui, était la méditation
assise, ou zazen, en tant que voie immédiate : « Vénérer les statues ou les
reliques [du Bouddha] assure aux hommes et aux dieux leur part de bonheur
[...], mais c'est une erreur de penser que l’on obtient l'Éveil par ces moyens.
Un pratiquant bouddhiste suit les enseignements de manière à parvenir
immédiatement à l'état de bouddha et, pour y parvenir, il lui suffit de se
conformer aux enseignements, de pratiquer zazen. La méditation assise est, à ce
jour, dans les monastères, la pratique réelle conforme aux enseignements.
Rappelez-vous-en » (Shôbôgenzô zuimonki).
2) Tous les êtres et Bouddha sont unité.
Sho butsu ichi nyo
Sho, tous les êtres vivants,
toutes les existences vivantes.
Le kanji sho signifie vivant ;
butsu : Bouddha ; ichi nyo : sont unité. Les êtres sensibles et Bouddha sont
identiques, nous-mêmes et Bouddha sommes semblables.
La religion de Dôgen diffère du
bouddhisme et de toutes les religions, selon lesquelles Dieu et nous sommes
complètement différents, séparés et en dualité.
Les êtres sensibles et Bouddha
sont unité.
Qui fait zazen ? Bien sûr, c’est
moi. Qui êtes-vous ? À la fin, il n’y a pas de noumène. Toutes les existences
sont sans noumène. Elles deviennent ku (vide). Ku, ici et maintenant, devient
les phénomènes. C’est mujo (l’impermanence), tout change sans cesse. L’on
devient parfois Bouddha, parfois un ivrogne, un obsédé sexuel, un fou, un
prisonnier. On est tour à tour stupide et intelligent.
Dans la philosophie et la
religion européennes, le dualisme règne pour l’éternité. Dieu et le démon ne
peuvent être en unité. Dans le bouddhisme, Bouddha et le démon peuvent être
amis et être en unité.
3.- Zazen est la plus grande vérité.
Shoden no buppo
Shoden, la vraie transmission. Le
vrai bouddhisme est seulement zazen.
Le vrai bouddhisme transmis passe
par la pratique de zazen, sinon ce n'est que de l'imagination. Tous les maîtres
de la transmission l'ont certifié. Shoden no buppo est le monde de la vérité.
On sépare souvent le monde de la vérité et celui des phénomènes. Mais :
Shiki soku ze ku,
Ku soku ze shiki.
Les phénomènes sont la vacuité,
La vacuité est les phénomènes.
Le Zen existe seulement de
Bouddha en Bouddha, de Patriarche en Patriarche, à travers zazen. Le corps et
l'esprit sont unité et reliés à tout le cosmos. Il n'y a pas de séparation.
Tout le cosmos est le véritable corps-esprit. Il faut le comprendre à partir du
corps, à travers zazen.
Qu'est-ce qu'étudier la Voie, le
Zen ? Faire zazen, shikantaza, au-delà de la conscience personnelle. Lorsqu'on
pratique zazen, à ce moment-là, le corps-esprit devient le cosmos lui-même, et
vice versa. Telle est la véritable essence du Zen, le véritable shoden no
buppo, l’essence du zen, l’essence des religions.
4.- Le samadhi de zazen.
Jijuyu zanmai
Jijuyu veut dire accepter,
recevoir par soi-même ; zanmai (le samadhi). Le samadhi est reçu par soi-même,
seul. On peut seul en recueillir la joie. Les autres ne peuvent pas le
comprendre. Le samadhi du zen, c’est hishiryo (L’au-delà de la pensée, penser
du tréfonds de la non-pensée. Penser sans penser, sentir sans sentir. La
conscience hishiryo apparaît quand la conscience personnelle suit l’ordre
cosmique). C’est un point très important par rapport aux autres religions où
cette notion n’existe pas. Hishiryo est le vrai samadhi, l’authentique joie. Si
l’on fait zazen, à ce moment-là, on peut atteindre le vrai kaku soku.
Qu’est-ce que kaku soku ? (c’est
le maître Keizan Jôkin qui a inventé cette expression.) Parfois, il est
difficile de donner une traduction juste. Maître Kodo Sawaki parlait souvent de
kaku soku. Kaku est très important. Kaku, l’intuition. Soku, toucher.
Comprendre par le toucher, le sentir,
l’être.
Je dis toujours, si vous
pratiquez zazen, votre zazen lui-même est Dieu ou Bouddha. Inutile de penser :
« Je dois me connecter avec le cosmos. » Durant zazen, ce lien s’établit
automatiquement à travers le corps et l’esprit, même si des pensées
personnelles apparaissent. En faisant zazen, vous pouvez devenir jijuyu zanmai.
En vous rasant, en revêtant le kesa (robe des moines et des nonnes composée de
plusieurs bandes de tissu rectangulaires. Drapé sur l’épaule gauche, le kesa se
porte sur le kolomo noir) et le kolomo (nom donné au vêtement du moine et de la
nonne zen. Il s'agit d'un kimono à manches longues, le plus souvent en coton),
en pratiquant zazen, vous suivez le véritable Dharma et devenez jijuyu zanmai.
Jijuyu zanmai. Abandonner l’ego,
suivre l’ordre cosmique. Ainsi, la vie prend une valeur véritable. Si l’ego et
le cosmos sont en harmonie, on ne tombe pas malade et le corps devient fort
comme celui d’un lion ou d’un tigre. Les gens qui attrapent froid sont comme
des grenouilles. Elles n’ont pas assez de force sous le nombril. Je remarque
que durant zazen, chacun de vous est très malin. Vos postures se développent.
Vous devenez des saints. Mais en sortant du dojo, on revient vite à la
condition anormale et on tombe dans le monde des phénomènes, du social, du
vulgaire. Si la direction de l’esprit est erronée, même si vous continuez zazen
jusqu’à votre mort, ce n’est pas efficace.
5.- L’enseignement et la pratique sont unité.
Kyo gyo sho itto
Kyo gyo sho itto. Kyo,
enseignement ; gyo, pratique ; sho (comme dans shu sho), satori, sagesse,
compréhension ; itto (analogue à ichi nyo), unité. Enseignement, pratique,
satori n’existent pas séparément et ne sont qu’une seule et même chose.
Dans les religions, on retrouve
presque toujours cette notion de trinité. Le christianisme s’appuie sur la
Bible, le bouddhisme sur les sutras. La Bible et les sutras sont kyo. Mais
l’essentiel est la pratique, gyo. La littérature, les romans sont uniquement
faits pour être lus. Si on devait les réaliser, cela deviendrait démoniaque.
Tandis que si on suit la Bible ou les sutras, on ne commet pas d’erreur et on
peut devenir une personne sainte. Sho, le satori, apparaît.
Kyo gyo sho itto, pratique,
sagesse, satori ne sont pas séparés. Il n’y a pas d’intervalle entre kyo, gyo
et sho, pas de différence. Il n’y a pas de satori, sho, sans kyo gyo. Il n’y a
pas de kyo, gyo, sans sho. Ils sont unité. Sans cette unité, il n’y a pas de
religion. Malheureusement, les religions les séparent souvent.
6.- Au-delà de Bouddha.
Butsu kojo no homon
Bien que Bouddha soit l’idéal de
notre démarche dans la vie quotidienne, il ne faut pas y être trop attaché. Il
faut être au-delà de Bouddha. Trop d’attachement fait qu’on le sépare de soi et
ainsi devient-il un objet extérieur. Nous devons devenir Bouddha lui-même qui
existe dans notre corps et notre esprit.
Dans presque toutes les
religions, Dieu ou Bouddha est un objet de foi auquel les gens sont trop
attachés. Une telle attitude dénote un esprit erroné. Dans la conscience et le
cerveau se crée alors un dualisme entre soi et l’objet de la foi. L’unité est
rompue. Cela ne signifie pas qu’il ne faille pas respecter Bouddha, mais il ne
faut pas en dépendre. Agir avec un esprit mushotoku, sans but ni profit, est
l’attitude la plus exacte.
Ici et maintenant, nous devons
trouver Dieu ou Bouddha en nous-mêmes, devenir Bouddha. La statue de Bouddha,
même placée dans le dojo, n’est qu’une sculpture. N’y soyez pas trop attachés.
Lorsque je rentre dans le dojo et que je fais sanpai (suite de trois
prosternations devant Bouddha en total abandon du corps et de l’esprit), je
m’incline certes devant la statue de Bouddha, mais surtout pour vous qui êtes
devenus des bouddhas vivants. Par les sanpai, une unité se crée entre tous les
disciples et la force cosmique. Lorsque le disciple étale son zagu (pièce
d’étoffe que l’on déplie devant soi pour faire sanpai. Grâce au zagu le kesa ne
touche pas le sol.) et qu’il touche celui du maître, c’est le symbole de i shin
den shin (d’esprit à esprit, de mon cœur à ton cœur), de la communication
parfaite, de l’unité entre maître et disciple.
Butsu kojo no homon, au-delà de
Bouddha est la porte du Dharma. Il ne faut pas être limité par Dieu ou Bouddha
ni par les sutras, la Bible ou les préceptes. La vraie liberté existe dans notre esprit, au-delà de Dieu ou de
Bouddha. Telle est la vraie religion.
7.- Corps et esprit sont unité.
Shin jin ichi nyo
C’est un point très important. Le
corps et l’esprit ne sont pas séparés, contrairement à ce qu’avait dit
Descartes, influençant la médecine jusqu’à nos jours. Les médecins n’étudient
que le corps, mais la plupart des maladies proviennent de l’esprit. Les
docteurs l’ignorent et n’étudient que les organes.
La pratique de zazen est
semblable à l’image du cheval de course : « Pas d’homme sur la selle pendant la
course. Sous la selle, pas de cheval. » C’est un koan. Il n’y a pas de cheval
sous cette selle. Il n’y a pas non plus de cavalier. Le jockey, le cavalier
comprend qu’il doit diriger le cheval avec les rênes et les pieds. Il doit
aussi comprendre l’esprit du cheval. La selle, c’est zazen. En pratiquant zazen,
on peut réaliser la conscience hishiryo (l’au-delà de la pensée, penser du
tréfonds de la non-pensée. Penser sans penser, sentir sans sentir. La
conscience hishiryo apparaît quand la conscience personnelle suit l’ordre
cosmique). Hi signifie au-delà. Il est semblable à ku, l’infini. Dans le zen
Soto, l’ultime secret est shin jin ichi nyo. Le corps et l’esprit sont unité,
ichi nyo.
Dôgen s'est élevé contre la
théorie de mappô selon laquelle on ne peut plus guère pratiquer par soi-même,
la prière et la foi dans la force des bouddhas étant le seul recours des êtres.
Il est au contraire possible, selon lui, de raviver le « vrai Dharma »
(JAP. shôbô) en cette ère de mappô, d'où le titre qu'il donnera d'ailleurs à son œuvre
principale, « Trésor de l'œil du vrai Dharma » (JAP. Shôbôgenzo). Par
ailleurs, Dôgen insista sur la nécessité de la bodhicitta et de la discipline
morale dans la pratique. Il préconisa la prise des dix grands préceptes tirés
du Brahmâjâlasutra comme étant « parfaits et com-plets ». Il instaura
aussi l'usage des règles de comportement communautaire fixées à la suite de
Baizhang, justifiant le travail quotidien des moines et le maintien de la
chasteté dans les monastères.
Contrairement aux tenants du Chan
chinois qui déclarent le Chan ineffable, il souligne l'importance des mots et
du langage dans la transmission. S'il préconise shikantaza, « juste
s'asseoir », Dôgen n'en néglige pas pour autant l'importance de l'étude : «Écouter le Dharma touche et transforme
l'esprit comme la conscience. Le zazen, quant à lui, unifie la pratique et la
réalisation. C'est ainsi qu'on entre dans la voie du Bouddha » (Gakudojinshu).
Quelques références :
1) Un article en ligne d’Erik
Pigani sur le site du journal « Psychologies »
2) Un article dans un petit
livret joint au journal « Psychologies » n°394, février 2019,
« 10 maîtres de vie indispensables, tome II », « Maître Dôgen,
le fondateur du zen » par Erik Pigani.
3) Histoire du zen Soto par
l’Association Zen Internationale
4) Les sept principes de Dôgen
commentés par Maître Deshimaru
5) Des réponses de maître Dôgen
6) Un livre sur maître Dôgen de
Jacques Brosse
Voilà. C’est tout pour le moment.
Amitiés à tous.
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