Un des livres dont est issu cet article.
Cet article est la suite de celui-ci .
Il est une synthèse de plusieurs textes écrits sur le sujet.
"La
haine de soi est un sentiment dont nous avons rarement conscience,
constate Charles Rojzman, auteur notamment, avec Nicole Rothenbühler, de Savoir aimer dans des temps difficiles, les trois combats (Guy
Trédaniel éditeur). D’abord parce qu’il est si inconfortable et destructeur que nous le
refoulons. Ensuite parce que, lorsque nous rencontrons des difficultés, nous
avons tendance à penser qu’elles viennent des autres ou des circonstances qui
ne sont pas propices. Nous avons du mal à voir qu’elles viennent de nos propres
empêchements et de ce qu’ils traduisent : une piètre image de nous-même." Pourquoi parler de haine plutôt que de manque de confiance ou d’estime de soi ?
« Parce qu’il s’agit d’un sentiment sans nuance, qui produit une image déformée
et diabolisée de soi : on se voit tout entier mauvais, inadéquat, incapable. »
Cet être monstrueux, que nous voulons à tout
prix dissimuler aux autres et à nous-même, est une créature blessée : enfant,
nous avons été meurtri, dans notre famille ou dans notre vie sociale, par des
railleries, des culpabilisations répétées, des mises à l’écart, des abandons ou
des maltraitances, qui aujourd’hui encore alimentent notre honte de qui nous
sommes. Ces violences du passé nous font toujours redouter de mal faire, nous
conduisent à nous effacer au profit des autres ou à nous soumettre à ceux qui
nous effraient. Or nous manquons de lucidité, la plupart du temps, sur ce que
nous avons vécu. Si bien que, au lieu d’avoir de la compassion pour nous-même,
nous continuons de nous maltraiter. Au fond, la haine de soi est un amour déçu
qui s’est transformé en son contraire. Du fait de nos blessures, nous ne sommes
pas devenu celui ou celle que nous espérions être. Et nous ne nous le
pardonnons pas.
Les représentations abîmées que nous avons de
nous-même ont nécessairement des effets dans notre vie. Les repérer permet de
commencer à s’en libérer. Charles Rojzman propose trois pistes pour guérir : «
1) Regarder ce que nous faisons aux autres – exigences, reproches excessifs –
pour mieux comprendre ce qui nous a été fait ; 2) Repérer les images négatives
que nous avons de nous-même et essayer de voir d’où viennent ces étiquettes ;
et surtout, 3) Apprendre à faire la différence entre le fantasme et la réalité
: les reproches que je m’adresse sont-ils justifiés ? Suis-je réellement
coupable ou est-ce que je me crois coupable parce que j’ai été beaucoup
culpabilisé ? » Il faut, à un moment, entrer en lutte contre nous-même et
cesser de nous condamner par avance sans nous être offert un procès équitable.
Au terme duquel nous deviendrons capables d’assumer plus tranquillement nos
défauts comme nos qualités.
La
reproduction de la violence, la difficulté à créer de l’intimité.
Tant que nous n’avons pas conscience de ce qui
nous a été fait, nous risquons à notre tour, sans nous en rendre compte, d’abandonner, de
culpabiliser, de maltraiter ou d’humilier notre conjoint, nos enfants, nos
collègues de travail… « Ces violences que nous reproduisons entravent notre
capacité à aimer les autres tels qu’ils sont et à nous montrer tels que nous sommes. C’est-à-dire,
en définitive, à créer de l’intimité. » Nous nous dissimulons derrière des
images (trop) positives de nous-même (gentil, parfait, dévoué) ou un peu
provocantes (« Je suis comme je suis, à prendre ou à laisser », « Je suis trop
épris de liberté pour me lier à quelqu’un »). Ces postures, qui nous permettent
de tenir les autres à distance, trahissent une profonde insécurité.
Dans nos accomplissements
Des rêves abandonnés, des talents entravés.
« Le fait de ne pas s’aimer
suffisamment entraîne aussi une difficulté à réaliser ses objectifs : on ne
prend pas ses rêves au sérieux, on n’ose pas affirmer ses envies, on ne s’en
donne pas les moyens », note Charles Rojzman. La vie que l’on voudrait vivre
est toujours remise à plus tard : on ne se sent ni digne ni capable d’être
heureux. Alors on se conforme ou bien on se sabote. Sans jamais déployer un
potentiel sous-estimé. L’ennui et le sentiment de passer à côté de sa vie sont
des signes forts d’une haine de soi que l’on ne reconnaît pas. Pour
s’accommoder de ses frustrations, on s’est habitué à croire que dans la vie on
ne fait pas toujours ce que l’on veut.
Dans notre travail
L’ambition empêchée, le syndrome de l’imposteur.
De la même manière, la haine de soi
retient d’évoluer professionnellement. Si l’on est persuadé d’être nul, si l’on
ne se donne pas le droit à l’erreur, le fait d’être mis en difficulté devant de
nouvelles tâches et exposé à la critique peut être insupportable. Plutôt que
d’écouter son envie de progresser, on prétend qu’on n’a pas d’ambition, qu’on
laisse ça aux autres. « On retourne le mépris que l’on a de soi contre ceux qui
réussissent et que l’on envie sans pouvoir l’admettre », commente Charles Rojzman.
Lorsque l’on accède malgré tout à des postes à responsabilités, le syndrome de
l’imposteur guette : « On ne se sent pas à la hauteur des fonctions qui nous
ont été confiées, et l’on est terrifié à l’idée d’être démasqué », décrit-il.
La haine de soi empêche de reconnaître son propre mérite : si l’on réussit,
c’est que les autres se sont trompés sur notre compte.
Dans notre corps
Une beauté méconnue, une santé négligée.
La manière dont nous prenons soin de
nous est évidemment liée à la valeur que nous nous accordons. Lorsque l’on a
été abandonné, on s’abandonne soi-même : vêtements informes, chevelure en
friche… Le fait de ne pouvoir se montrer sans un maquillage chargé ou un look
très étudié révèle aussi un manque d’assurance et une réticence à être vu au
naturel. Plus difficile à repérer, « la haine de soi transparaît également dans
le fait de négliger sa santé : on ne va pas chez le dentiste, chez le
gynécologue. On croit mériter les dégradations, la souffrance, on n’ose pas
montrer des parties de son corps pour lesquelles on a été culpabilisé »,
traduit le thérapeute.
Dans nos dépendances
Le besoin de béquilles, la difficulté à choisir.
« Enfant, lorsque nous n’avons pu
exister qu’à travers l’approbation, l’autorisation, la reconnaissance de nos
parents, c’est notre autonomie qui a été blessée », décrit Charles Rojzman.
Adulte, nous ne parvenons pas à prendre des décisions, à faire des choix pour
nous-même. Nous continuons d’avoir besoin de nous adosser à quelqu’un ou, si ce
quelqu’un fait défaut, à quelque chose. Cette dépendance fait le lit de nos
addictions. Elle crée aussi une vulnérabilité particulière au harcèlement et
aux pervers narcissiques. Elle exprime, en tout cas, notre conviction que nous
ne méritons pas d’exister par nous-même.
Voilà. C’est
tout pour le moment. Amitiés à tous !
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