mardi 28 avril 2020

Pause dans le blog avec un compte rendu de l’ouvrage «Méditer pour agir» du psychothérapeute Lawrence LeShan (cinquième partie).




  
La Bhagavad-Gita.



Dans le cadre de mon projet de publier un article chaque jour dans ce blog pour désennuyer les magiciens confinés, j’ai écrit sur un sujet totalement différent : la méditation (en plus abordée par un psychologue).

Lawrence LeShan est un des premiers psychologues à avoir pensé qu’il y avait des facteurs psychiques dans l’origine du cancer dans son livre « Vous pouvez lutter pour votre vie ». « Méditer pour agir » est le premier ouvrage que j’ai lu sur la méditation. Son titre m’avait fasciné : la méditation n’était pas quelque chose d’égoïste, de nombriliste. Elle pouvait aboutir à ce qui semble son contraire, l’action.

Voici un extrait du livre :

« La voie de la méditation n'est pas un chemin facile. Le premier choc de la surprise vient lorsque nous réalisons combien notre esprit est réellement indiscipliné, comment il refuse d'obéir aux injonctions de notre volonté. Après avoir essayé, pendant quinze minutes, de compter seulement nos expirations, sans penser à rien d'autre, nous réalisons que si notre corps refusait si peu que ce soit de coopérer avec notre volonté, comme le fait notre esprit, nous ne sortirions pas vivants d'un passage clouté. Nous trouvons notre pensée occupée à toutes sortes d'autres choses que le simple objet que nous venons de décider de considérer. Sainte Thérèse d'Avila compara un jour l'esprit de l'homme à « un cheval indompté qui va partout sauf là où on lui demande d'aller ».

Platon aussi examina ce problème. Il comparait l'esprit de l'homme à un navire où l'équipage s'est mutiné et a enfermé le capitaine et le pilote. Les matelots ont le sentiment d'une intégrale liberté et dirigent le vaisseau selon leurs humeurs du moment. Un premier marin prend la barre durant une courte période, puis un autre, et le voilier suit une route erratique et hasardeuse, dès lors que les matelots ne sont pas capables de se mettre d'accord sur un cap, et que, même s'ils s'en donnaient un, ils ne sauraient le tenir. La tâche d'un être humain, écrit Platon, est de mater la mutinerie, et de relâcher capitaine et pilote de telle sorte qu'ils aient la liberté de choisir un cap et de gouverner (travailler) de façon consistante et cohérente en sa direction. La véritable liberté n'apparaît que lorsque l'on est libéré des caprices du moment.

On trouve une analogie curieusement similaire dans la Bhagavad-Gita, long poème portant une sérieuse attention à la méditation et au mysticisme, écrit en Inde entre le V°ème et le II ème siècle avant notre ère.

« De même que le vent détourne un navire
de sa course sur les eaux,
de même les vents changeants des sens
font dériver l'esprit de l'homme
et détournent de leur course ses meilleurs jugements.
Lorsqu'un homme peut immobiliser ses sens,
je l'appelle illuminé. »

Réduire la mutinerie dont parle Platon exige un travail long, rigoureux, consistant. Les matelots emploient de multiples stratagèmes pour tourner la discipline. Alors que nous travaillons sérieusement la méditation, il se peut que nous nous trouvions en train de somnoler, de nous ennuyer, de penser à toutes sortes d'autres choses, de résoudre un vieux problème, ou Dieu sait quoi encore, puisque le « cheval indompté » de sainte Thérèse fait tout ce qui est en son pouvoir pour se dérober à la discipline de notre esprit. Cela peut aller jusqu'à la sensation d'être inondé par une intense lumière blanche, et l'étrange sentiment que l'on a atteint l'« illumination » et découvert la vérité ultime de toutes choses. Thomas Merton, qui s'y connaissait en méditation, écrivait, à propos de ce type d'expérience, et de l'attitude qu'elle implique :

« Certaines personnes se persuadent que la vie mystique doit ressembler à un opéra wagnérien. Des événements extraordinaires surviennent sans cesse. Le tonnerre et les éclairs annoncent chaque nouveau mouvement de l'esprit. Les cieux s'ouvrent, et l'âme s'échappe du corps dans l'éclat splendide d'une lumière surnaturelle. C'est à ce moment qu'intervient le face à face avec Dieu, au milieu d'un immense tourbillon d'anges en train de voler, de chanter, et de sonner de la trompette. Alors prend place un éloquent échange de vues entre l'âme et Dieu, sous la forme d'un duo d'opéra qui ne dure pas moins de sept heures, car sept est un nombre mystique. Tout cela est ponctué par des tremblements de terre, des éclipses du soleil et de la lune, et l'explosion de bombes surnaturelles. Enfin, après un bref avant-goût musical de la fin du monde et du Jugement dernier, l'âme réintègre le corps en une pirouette gracieuse, et le mystique, lorsqu'il revient à lui, se découvre entouré par un cercle attentif et fervent de coreligionnaires, parmi lesquels un ou deux prennent subrepticement des notes en vue du procès de canonisation. »

Merton examine ici un cliché culturel majeur concernant la pratique de la méditation et le développement intérieur. Il s'agit de la croyance selon laquelle tout ce qui survient le fait de façon soudaine, et qu'il convient d'écarter, pour en essayer une autre, une discipline de méditation qui ne produirait pas de tels effets. Ce type de croyance donne les « athlètes spirituels » si répandus aujourd'hui parmi les gens intéressés par la méditation. Ils expriment leur manque de discipline en passant, de façon répétée, d'une méthode à une autre, selon l'inspiration du moment, et ils croient réduire la mutinerie dans leur vaisseau intérieur alors même qu'ils en encouragent la victoire. Pour en revenir à notre comparaison avec la gymnastique, on ne s'attend pas à ce qu'un travail continu avec les haltères n'ait aucun effet sur le corps jusqu'au jour où, d'un seul coup, les muscles sortent, le ventre rentre, et on a l'air de Tarzan ou de Raquel Welch. On prévoit plutôt que le processus de changement dans la direction souhaitée sera long, lent, et généralement imperceptible. Il en est de même dans la méditation.

L'une des raisons que l'on donne à ce manque de discipline et à cette dérive d'une mode à l'autre est la relation que donnent les livres sur le Zen de la façon dont sont couronnés les efforts des étudiants qui ont suffisamment travaillé la technique des koans. Soudain, dit-on, ils comprennent le koan, dans la sueur et le tremblement. Le maître leur annonce alors qu'ils ont trouvé la réponse, et résolu le problème posé par ce type particulier de méditation, pour l'avoir suffisamment pratiqué. De cela, le lecteur souvent (et parfois l'étudiant du Zen) donne l'interprétation suivante : ils ont « atteint l'illumination ». Et l'on referme le livre avec un profond soupir d'envie et d'espoir. Mais, si, au lieu de refermer le livre, on tourne la page, on remarquera que l'étudiant reçoit alors un nouveau koan sur lequel travailler, et qu'il continue à pratiquer la méditation. On ne parle plus d'« illumination », le travail continue.

Le cardinal Newman écrivit qu'il n'y a pas réellement de conversion soudaine, mais que parfois, à l'issue d'un long travail, on réalise soudainement ce que l'on est déjà (en bouddhisme, c’est la doctrine du Tathagatagarbha, l’Eveil originel) (pour les gnostiques, des étincelles ou graines de l'Être divin (éons) sont emprisonnées dans les corps humains. Réveillé par la connaissance (gnose), l'élément divin de l'humanité peut retourner vers ce qui est sa place normale, le royaume céleste transcendant).  »

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Voilà. C’est tout pour le moment. Amitiés à tous !



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