Je me suis interrogé un long
moment (c’était pendant une méditation) sur les raisons pour lesquelles le
bouddhisme tibétain me fascinait autant.
J’écrirai cet article comme
d’habitude, à la façon des religions orientales, en effectuant une liste
chiffrée de mes motifs d’attachement.
Il y en a trois : 1) le bouddhisme
tibétain comporte différents aspects ésotériques (cachés à la pensée dominante) et
j’ai toujours aimé profondément l’ésotérisme, 2) Il n’hésite pas à mettre en
avant les pouvoirs surnaturels de l’homme, 3) Il a accepté dans ses saints,
dans ses Éveillés, des fous divins, des êtres délirants, irrationnels, en dehors
des normes communes, comme par exemple Drupak Kunley, le yogi tantrique du quinzième siècle,
1) Les aspects ésotériques
On peut en discerner
quatre : la transmission de maître à disciple, la symbolique sexuelle
cachée, la pratique d’exercices secrets, la doctrine des termas.
a) La transmission de maître à disciple
Je le dis d’emblée, je n’aime pas
du tout la théorie de transmission
unique de maître à disciple et elle me paraît à la fois élitiste,
anti-démocratique et contraire à la doctrine même du bouddha. Celui-ci, à
partir du moment où il a décidé de transmettre sa pensée (ce qui n’était pas
forcément évident), s’est engagé à divulguer le maximum de ses connaissances.
S’il ne répondait pas à certaines questions de ses disciples, c’est qu’en fait
il ne connaissait pas les réponses.
Cependant, comme les Évangiles, les discours
du Bouddha comportent plusieurs niveaux de sens pour atteindre différents types
de personnes. Si Jésus et Bouddha (ou le psychiatre Milton Erickson au
vingtième siècle) utilisent par exemple des paraboles, c’est pour pouvoir
communiquer avec la partie non instruite de la population qui ne percevrait pas
un discours abstrait. Leurs paroles peuvent aussi comporter un niveau
symbolique, qui dépasse le sens premier du texte et ne peut être compris que
par des personnes très attentives ou très travailleuses (qui relisent de
nombreuses fois la parabole). En plus quelques lamas, particulièrement
intéressés par l’argent, n’hésitent pas à vous faire croire que, si vous
pratiquez sans « guru », vous deviendrez fou ou je ne sais quel autre
mensonge stupide. Certaines religions ont voulu aussi nous persuader autrefois
que, si nous ne passions pas par leurs
prêtres, nous n’atteindrions pas le « Paradis ». Dans l’histoire
spirituelle, les Gnostiques, qui trouvaient Dieu par la Connaissance (Gnose), ont prouvé l’inanité de ces théories, là aussi destinées à emmagasiner un maximum d’espèces sonnantes et trébuchantes.
Le but de ce blog, qui est
gratuit, sans obligation, et ouvert au dialogue est de justement refuser ces
pratiques et de véhiculer le maximum de connaissances. « Rien de ce qui
est humain ne m’est étranger », comme écrivait l’auteur latin Térence dans
l’ Heautontimoroumenos. Ce n’est pas
une prétention, c’est seulement le droit de chaque individu. Les bouddhistes ne
pratiquent pas le prosélytisme mais, en revanche, ils sont très heureux de
partager ce qu’ils ont appris avec tous.
Les grands maîtres tibétains
actuels ont eux aussi bien compris cela. Aujourd’hui, ils transmettent leur
doctrine dans des conférences ouvertes à tout un chacun. Cela n’empêche pas
ensuite les disciples d’approfondir leur compréhension des pratiques et des
textes par des questions directes à ces maîtres spirituels.
b) La symbolique sexuelle cachée.
De nombreuses traditions religieuses ou mystiques comportent
une symbolique sexuelle plus ou moins cachée : hindouisme, taoïsme,
gnosticisme, etc. C’est le septième des principes de Toth-Hermès en ésotérisme,
« la loi du genre » : « Il y a un genre dans toutes
les choses ; tout a ces principes, masculin et féminin ; le genre se manifeste
à tous les niveaux. »
Le
bouddhisme tibétain a intégré la tradition Vajrayana (véhicule du diamant). Or,
selon l’historien des religions Mircea Eliade, ce nom « implique déjà un
symbolisme sexuel (vajra est aussi le surnom du phallus) ». Ce langage secret domine la structure
significative de la plupart des tantras (textes tibétains) et cela à plusieurs
niveaux. Chaque concept bouddhique est toujours ouvert à une double lecture,
spirituelle ou sexuelle. Ainsi la bodhicitta, « pensée de l’Eveil ou
aspiration à l’Illumination » est le nom secret du sperme au niveau sexuel,
et la Prajna, la « Sagesse intuitive », la « Femme-Gnose »,
désigne en même temps la partenaire concrète ou imaginée d’un acte sexuel
rituel. L’abolition de la dualité entre le principe masculin (la méthode,
Upaya) et le principe féminin (sagesse, Prajna), grâce à une union soit
sexuelle, soit mystique, est le but suprême et parfois secret du bouddhisme
tibétain.
Tous les
tantras renferment donc deux exégèses possibles : l’une dont le référent
est un rituel secret, aboutissant en général à une relation sexuelle, dont la finalité est d’obtenir l’Eveil, et l’autre dont le référent est métaphysique.
Dans
l’iconographie, la copulation entre deux divinités est largement représentée
dans le bouddhisme tibétain, sous le nom de Yab-Yum (qui signifie
« père-mère »). Elles sont toujours en position d’union du lotus et
symbolisent, comme je le mentionnais, la rencontre non-duelle des deux
principes, le masculin (la méthode, les moyens adaptés, upaya) et le féminin (la
sagesse, prajna).
Upaya désigne également, toujours dans une symbolique
sexuelle, l’action de l’Absolu dans le monde phénoménal. Il est, lui, le
principe de multiplicité, se manifeste
sous la forme de la compassion (Karuna) et constitue le pole opposé au symbole
de l’Un et de l’Universel, Prajna, la Sagesse.
Ainsi, chacun des
dhyani-bouddhas que j’ai étudiés précédemment possède sa parèdre qui est sa conjointe divine. Celle d’Amitabha, par exemple, a pour nom Pandaravasini en sanskrit et Go
Karmo en tibétain.
Voilà. C’est tout pour
aujourd’hui. La prochaine fois, j’aborderai la pratique d’exercices secrets, la
doctrine des termas, les pouvoirs surnaturels, les fous divins dans le
bouddhisme tibétain. La suite au prochain numéro comme dans les
romans-feuilletons du dix-neuvième siècle ou dans les séries télévisées
américaines contemporaines.
Amitiés à tous.
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