Le Théâtre de la Mémoire reconstitué de Giulio Camillo.
Je me suis rendu compte, plusieurs semaines après avoir écrit mon article
« Histoire de la Mnémotechnie : Moyen Âge, Renaissance & Dix-Septième
siècle » que j’avais oublié de mentionner
le travail de Giulio Camillo (1480-1544), un érudit italien, qui a consacré
toute sa vie à la fabrication d’un édifice qu’il appela le Théâtre de la
Mémoire et qui était un gigantesque théâtre décoré d’images, conçu afin de
mémoriser l’ensemble des connaissances de l’époque.
Frances A. Yates est l’historienne qui a le mieux parlé de Camillo selon
moi dans L'art de la mémoire (quoique Paolo Rossi dans Clavis universalis et Lina Bolzoni dans La chambre de la mémoire lui aient consacré des analyses tout à fait
passionnantes) et j’utiliserai donc ses informations.
Dans un article précédent, j’ai
commencé à décrire la reconstitution qu’a opérée France Yates du Théâtre de la
mémoire de Camillo. A la fin de sa vie, Camillo consacra sept matinées à dicter
une ébauche d’explicitation de son opus magnum. Publié en 1550, le texte nous
informe que son Théâtre, analogue à celui de Vitruve, s’élève sur sept gradins,
séparés par sept allées représentant les sept planètes. Le spectateur se trouve
placé devant les « sept mesures de la fabrique des mondes céleste et inférieur
» correspondant aux Sept Sephiroth du monde supracéleste. Les Sephiroth du
Zohar sont dix, mais comme les trois premiers sont inaccessibles à
l’intelligence humaine, Camillo associe les sept restants aux « Sept
Gouverneurs » d’Hermès Trismégiste : « Au neuvième chapitre des Proverbes,
dicte Camillo, Salomon dit que la sagesse s’est construit une maison et qu’elle
l’a appuyée sur sept piliers. Par ces colonnes, qui signifient l’éternité la
plus stable, nous devons comprendre les sept Sephiroth du monde supracéleste, où
sont contenues les Idées de toutes les choses comprises à la fois dans le monde
céleste et dans le monde inférieur.
La première rangée du Théâtre est donc celle des Planètes et des Principes
de l’Univers (la Lune, Mercure, Vénus, le Soleil, Mars, Jupiter, Saturne), plus
proches de nous que les Sephiroth, et utiles parce que leur forte
différenciation s’imprime facilement dans la mémoire. Une fois celles-ci
saisies, on peut se déplacer dans deux directions : vers le haut, dans le monde
supracéleste des Idées (ce qui veut dire dans l’invisible), ou vers le bas,
dans le monde subcéleste et élémentaire.
Le deuxième degré s’appelle « Le
Banquet », et c’est celui des Dieux, du Monde Intelligible ou des Éléments
Simples. Camillo associe le Banquet et l’Océan, car l’Océan contient les eaux
de la sagesse qui préexistent à la matière, et les dieux invités au banquet
sont également les Idées existant dans l’archétype divin.
Le troisième degré,
c’est la Caverne. Camillo précise qu’il s’agit d’une caverne homérique et non
platonicienne. Dans la caverne des nymphes décrite par l’Odyssée, des nymphes
tissent sempiternellement et des abeilles entrent et sortent : ces deux
activités symbolisent le mélange des éléments destiné à former les choses
élémentaires « et nous désirons, explique Camillo, que chacune des sept
cavernes puisse, en accord avec la nature de sa planète, conserver les mélanges
et les éléments composés qui lui appartiennent. »
Le quatrième degré est celui
des Gorgones. Camillo y associe les trois sœurs décrites par Hésiode à l’homme
intérieur, car il reprend l’idée, cabaliste, des trois âmes – et ce degré
contient « les choses appartenant à l’homme intérieur en accord avec la nature
de chaque planète ».
Le cinquième degré est celui où l’homme s’unit à son
corps, union symbolisée par l’image de Pasiphaé et du Taureau. Pour Camillo, «
Pasiphaé amoureuse du Taureau symbolise l’âme qui, selon les platoniciens,
tombe dans un état de désir à l’égard du corps. »
Le sixième degré est figuré
par les Talonnières, ainsi que tous les attributs que revêt Mercure quand il va
exécuter la volonté des Dieux. C’est le degré correspondant aux Actions de
l’homme dans le Monde.
Par ce degré, la mémoire sera éveillée, et préparée pour
le septième degré, qui est celui des arts, au niveau duquel, à chaque porte, on
retrouvera l’image de Prométhée tenant une torche allumée. « Il donne beaucoup
de noms à son Théâtre, écrit Viglius. Il dit tantôt que c’est un esprit ou une
âme construite, tantôt que c’est une âme pourvue de fenêtres. Il prétend que
tout ce que l’esprit humain peut concevoir et que nous ne pouvons pas voir de
nos yeux corporels, on peut, après en avoir fait la synthèse au cours d’une
méditation attentive, l’exprimer par certains signes matériels de telle sorte
que le spectateur peut percevoir d’un seul coup d’œil tout ce qui, autrement,
reste caché dans les profondeurs de l’esprit humain. Et c’est à cause de cette
vision physique qu’il l’appelle un Théâtre. »
Voilà. C’est tout pour le moment. Amitiés
à tous !
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