Un livre de Frederick
Perls
Des amis m’ont demandé d’apporter des
approfondissements sur la gestalt-thérapie, la psychothérapie que je préfère
actuellement. J’ai déjà abordé ce sujet à plusieurs reprises dans ce blog. En
voici quelques exemples :
Cet article est la suite de celui-ci.
Le livre de référence sur le sujet
est Gestalt-thérapie, nouveauté,
excitation et développement de Frederick Perls, Paul Goodman
et Ralph Hefferline. Je vais, pour que vous compreniez bien la démarche de la
Gestalt, vous citer une partie de son introduction.
La plus grande valeur de l'approche
gestaltiste réside peut-être dans la notion que le tout détermine les parties,
ce qui s'oppose à l'hypothèse précédente que le tout n'est que la somme totale
de ses éléments. La situation thérapeutique, par exemple, est plus qu'un évènement
statistique se composant d'un médecin et d'un patient. C'est la rencontre d'un
médecin et d'un patient. Si le médecin est rigide et insensible aux exigences spécifiques
des fluctuations constantes de la situation thérapeutique, ce n'est pas un bon
thérapeute. C'est un tyran, un homme d'affaires ou un dogmatique ; mais ce
n'est certainement pas un thérapeute s'il refuse de faire partie du processus
de la situation psychiatrique. De même, le comportement du patient est dicté
par nombre de variables de l'entretien. Seuls les individus complètement
rigides ou fous (oublieux du contexte dans lequel ils opèrent) se comporteront
dans la salle de consultation comme ils le font à l'extérieur.
Ni la pleine compréhension des fonctions
de l'organisme, ni la meilleure connaissance de l'environnement (société, etc.)
ne rendent compte de la situation totale. Seule l'interaction de l'organisme et
de l'environnement (la théorie des relations interindividuelles de Harry Stack
Sullivan en donne un exposé partiel) constitue la situation psychologique, et
non pas l'organisme et l'environnement pris séparément. L'organisme isolé et
ses abstractions — esprit, âme et corps — et l'environnement isolé constituent
les sujets de nombreuses sciences : la physiologie, la géographie, etc., mais
ils ne sont pas l'objet de la psychologie.
En négligeant cette limite, on a,
jusque-là, empêché la création d'une théorie adéquate de la psychologie du
normal et de l'anormal. Puisqu'il ne fait aucun doute que les associations et
les réflexions existent, la plupart des théories précédentes, et même, dans une
grande mesure, celle de Korzybski, concluent que l'esprit se compose d'une
masse d'associations, ou que le comportement et la pensée consistent en
réflexes. Les associations, les réflexes et autres automatismes expliquent
aussi peu l'activité créatrice de l'organisme que l'obéissance de soldats
disciplinés ne rend compte de la stratégie et de l'organisation de la guerre.
La sensation et le mouvement sont tous
deux des réactions actives, et non des réponses mécaniques de l'organisme quand
il rencontre des situations nouvelles. Le système sensoriel de l'orientation et
le système musculaire de manipulation fonctionnent corrélativement, mais en
tant que réflexes, dans les strates les plus basses, totalement automatisées et
n'exigeant aucune conscience. La manipulation est le terme (assez maladroit)
qui définit toute activité musculaire. Par intelligence, nous entendons
orientation correcte, par efficacité, manipulation adéquate. Pour retrouver
celles-ci, le névrosé désensibilisé et immobilisé doit regagner une pleine
conscience, c'est-à-dire la sensibilité, le contact, l'excitation et la
formation de gestalten.
Pour y parvenir, il faut changer notre
vision de la situation thérapeutique en reconnaissant que toute approche non
dogmatique est fondée sur la méthode empirique de la nature. De cette façon, le
clinique devient situation expérimentale. Au lieu d'imposer des demandes
implicites ou explicites au patient — reprenez-vous, ou relaxez-vous ; ou ne
vous censurez pas, ou encore vous êtes vilain, vous avez des résistances, ou
vous êtes complètement mort —, il faut comprendre que ces demandes ne font
qu'accroître les difficultés du patient, le rendre encore plus névrosé, encore
plus désespéré. Nous suggérons des expériences graduées qui — et ceci est de la
plus haute importance — ne sont pas des tâches à accomplir en tant que telles.
Nous demandons explicitement : que se passe-t-il si vous essayez de faire ceci
ou cela plusieurs fois ? Avec cette méthode, nous amenons à la surface les
difficultés du patient. Ce n'est pas la tâche, mais ce qui empêche son
accomplissement, qui se trouve au cœur de nos préoccupations. En termes
freudiens, nous faisons apparaître les résistances elles-mêmes pour tenter de
les réduire ensuite.
Ce livre a plusieurs fonctions.
Pour
ceux qui travaillent dans le domaine de l'éducation, de la médecine et de la
psychothérapie, voici une bonne occasion d'abandonner une attitude sectaire, à
savoir que leur point de vue est le seul valable. Nous espérons leur montrer
qu'ils peuvent prendre en considération d'autres approches, sans que leur vie
en soit menacée.
Au profane, nous proposons une voie systématique pour son
développement et son intégration personnels. Pour en tirer le maximum de
bénéfices, cependant, le lecteur devra aborder les deux parties du livre en
même temps, peut-être de la façon suivante : faire les expériences aussi
consciencieusement que possible. Une simple lecture ne mènerait pas loin. Elle
peut même vous laisser le sentiment d'être confronté à une tâche gigantesque et
sans espoir ; alors que si vous faites les expériences, vous sentirez bientôt
que vous commencez à changer. Pendant que vous travaillez la partie pratique,
lisez la seconde partie du livre une fois sans vous préoccuper de tout
comprendre. Vous trouverez peut-être souvent cette lecture excitante et
stimulante, niais dans la mesure où la vision complète diffère grandement de la
manière de penser habituelle, vous ne pourrez pas l'assimiler tout de suite, à
moins que vous ne soyez familiarisé avec les écrits de Korzybski, de L.L.
Whyte, de Kurt Goldstein et autres gestaltistes. Après cette première lecture,
ce sera à vous de décider si vous avez tiré des bénéfices suffisants de cette
première approche, et vous pourrez alors commencer une lecture systématique de
la partie théorique. Finalement, si vous suivez une thérapie ou si vous étudiez
la psychanalyse, vous découvrirez que ce travail n'interfèrera en aucun cas
avec votre thérapie, mais qu'il la stimulera au contraire et qu'il vous aidera
à franchir le stade de la stagnation.
Voilà. C’est tout pour le moment.
Amitiés à tous.
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