Je viens de lire un livre que
j’ai trouvé à la fois passionnant, précis et instructif sur la création de la
Gestalt-thérapie. Je voudrais vous en faire part à travers quelques articles de
ce blog. Il s’agit de « Ma Gestalt-thérapie, une poubelle-vue-du-dehors-et-du-dedans » de Fritz Perls.
Cet article est la suite de celui-ci.
Voici le résumé de ce livre.
Je ressens maintenant le besoin
de me défendre contre l'étiquette de béhavioriste. D'une certaine façon, je le
suis. Il m'intéresse de savoir comment la matière se comporte, et
spécifiquement l'être humain. La différence entre mon attitude et celle de la
vaste classe de psychologues qui se veulent béhavioristes est décisive. C'est
la différence entre un endroit peuplé et une ville fantôme.
La conscience est une expérience
au plus haut point d'ordre privé. Je ne
puis être conscient de votre conscience, je ne puis y participer
qu'indirectement. Le béhavioriste observe les humains et les rats comme s'ils
n'avaient pas de conscience, comme s'ils étaient des choses. En conséquence, le
béhavioriste devient un ingénieur et un conditionneur du comportement,
c'est-à-dire un contrôleur et un manipulateur.
Mais même lui admettra la
fonction de base de la découverte.
Sans la conscience des chocs
qu'il subit et des appétits qu'il éprouve, aucun animal ne serait capable de
découvrir : « Comment l'expérimentateur souhaite-t-il que je me comporte ? »
Il est important pour moi
d'utiliser des mots qui couvrent l'ensemble des abstractions et conviennent à
chacun. Il est dommage que nous n'ayons pas un terme du langage courant pour
« Gestalt » — motif, mélodie,
configuration sont déjà trop spécifiques. Je crois qu'au fur et à mesure,
l'idée de Gestalt « émergera ». J'espère que ce que j'écris aidera à établir
une bonne formulation. Dans le cas d'une mélodie, l'idée de Gestalt est facile
à comprendre. Si vous transposez un thème musical d'un ton dans l'autre, le
thème reste le même, bien qu'en fait nous ayons changé toutes les notes. Si
vous connaissez bien une mélodie et que quelqu'un en chante les trois premières
notes, vous complétez l'air automatiquement.
Ainsi, nous voici revenus à l'une
des lois fondamentales de la formation de la Gestalt — la tension qui naît du
besoin d'achèvement est appelée frustration, l'achèvement est appelé
satisfaction. Satis-assez ; facere-faire. Faites en sorte d'avoir
assez. En d'autres termes, accomplissement : emplissez-vous jusqu'à ce que vous
soyez complet. Avec la satisfaction, le déséquilibre est annihilé, il
disparaît. L'incident est clos.
Tout comme l'équilibre et la
découverte peuvent être vécus à tous les niveaux d'existence, il en est de même
de la frustration, de la satisfaction et de l'achèvement.
Je pense à une situation où la
guerre se prolonge avec ses frustrations et ses possibilités d'achèvement : la
paix.
J'entends, de façon spécifique,
les frustrations de l'homme qui combat, bien sûr, et je compare ma situation
pendant la Première Guerre mondiale à celle où j'étais pendant la Seconde :
d'un
côté, la terreur, et, de l'autre,
un confortable abri antiaérien.
Quand la guerre hitlérienne
éclata, j'étais à Johannesburg bien établi, c’est-à-dire nous, car Lore
exerçait également. Je n’avais pas encore rompu officiellement avec les
freudiens. Cela vint plus tard.
En fait, je puis dire à quelle
minute précise je me sentis pleinement libéré de ces menottes idéologiques et
commençai à m'opposer au « système freudien ». Pendant des années, j'ai eu
tendance à exagérer cette opposition ; je manquais de moyens d'appréciation à
l'égard de Freud et de ses découvertes.
La rupture se produisit lors de
ma rencontre au Cap avec Marie Bonaparte, princesse de Grèce. Elle était amie
et disciple de Freud. J'avais achevé et ronéotypé le manuscrit de le Moi, la faim et l’agressivité et le
lui donnai à lire. En me rendant le manuscrit, elle me donna le traitement de
choc dont j'avais besoin :
« Si vous n'acceptez plus la
théorie de la libido, me dit-elle, vous feriez mieux de donner votre démission.
» Je n'en croyais pas mes oreilles ! Une approche scientifique fondée sur un
article de foi ?
Bien sûr, elle avait raison. La
libido était de façon assez vague reliée aux
hormones sexuelles, mais Freud, souffrant comme moi de systématisme,
avait besoin de trouver un dénominateur commun pour son modèle de l'homme. Il
l'appela la libido. A y regarder de plus près, ce dénominateur commun était
comme le joker dans le jeu de cartes. Il pouvait prendre la place de tout un
tas de choses, que ce soit l'instinct sexuel, l'affection, la sensibilité,
l'amour, la formation de la Gestalt, l'élan vital. Pauvre Wilhelm Reich, qui
essaya de trouver dans la réalité physique un équivalent de cette mixture
sémantique.
De toute façon, je n'ai pas donné
ma démission, je n'ai pas été mis dehors ; mes relations avec l'Institut de
psychanalyse, etc., cessèrent simplement peu à peu. Sans la guerre, j'aurais
peut-être pris position.
L'Afrikakorps circulait librement
en Afrique du Nord. Une division sud-africaine s'était fait surprendre à
Tobrouk. Je ne savais que faire. Mon diplôme de médecin n'était pas valable. Je
voulais m'engager comme toubib, mais on me renvoya chez moi avec un programme à
préparer poux un examen en hygiène, ce qui m'aurait valu le rang d'officier. Je
préparai l'examen avec deux amis plusieurs mois durant, mais ils furent reçus
et moi recalé.
Peu après fut votée une loi
reconnaissant l'équivalence des diplômes étrangers pour la durée de la guerre.
Je fus donc accepté comme médecin militaire et suivis une formation appropriée.
On nous appelait « les forçats ». Fallait nous voir ! Ça me faisait drôle
d'être à nouveau soldat et de marcher au pas. Puis nous fûmes attachés à des
hôpitaux.
C'était une vie de routine. Je
fus surpris par la quantité de thé que nous pouvions boire. Mon ordonnance me
réveillait avec « une bonne tasse de thé ». Ensuite, thé au petit déjeuner, thé
à
10 heures, thé à 4 heures, thé au
dîner, thé au souper.
Notre commandant était un
officier de réserve, résolu à montrer son efficacité. Tout devait être écrit en
triple exemplaire et enregistré. Au bout d'un an, nous fûmes débarrassés de lui
et un vrai colonel de l'active prit sa place. Il nous appela et nous dit : «
Messieurs, vous êtes officiers et médecins. Je gage que vous êtes des personnes
responsables et que vous savez ce que vous faites. Je vous suggère de vous
servir plus souvent du téléphone que de la plume. » Nous fûmes soulagés de voir
qu'il n'avait pas la manie de la paperasse, et le roulement des malades doubla
en un rien de temps.
L'infirmière-chef de mon service
était une volontaire, une grande blonde superbe qui venait de Vancouver. Elle
était chaleureuse et pourtant asexuée. Calme, et cependant une des personnes
les plus efficaces et dignes de confiance que j'aie jamais rencontrées. Je la
respectais tellement que je ne lui fis jamais d'avances. Le renard et les
raisins ? Peut-être.
Les patients étaient, bien sûr,
répartis par races. La ségrégation fut encore plus forte après la loi sur
l'Apartheid de 1946, mais ne croyez pas un instant qu'il y eut sous le régime
plus libéral de Jan Smuts quelque chose qui ressemble à de l'égalité. On
appelait les Blancs, Européens et les Noirs, indigènes. Un indigène n'avait pas
le droit de dormir sous le même toit qu'un Blanc, ni d'utiliser les mêmes
toilettes. Ils avaient des villes et des autobus séparés.
J'ai trouvé chez les indigènes
deux sortes de dépression nerveuse. L'indigène des villes, qui, en principe,
savait l'anglais ou l'afrikaans, une espèce de hollandais abâtardi, faisait en
général une névrose d'angoisse aiguë. L'indigène « brut », celui qui venait du
Kraal ou des corons miniers, avait plutôt une névrose de type schizophrénique.
C'étaient pour moi des cas impossibles à traiter, même avec l'aide d'un
interprète. Je les envoyais au sorcier, et, souvent, ils en revenaient guéris.
Les névroses des Européens, on
pouvait les classer ainsi, bien que ce soit là simplifier outre mesure :
troubles névrotiques chez les Anglais, hystérie chez les Juifs, compulsion chez
les Boers.
Le degré d'existence de la
maladie psychosomatique s'imposa peu à peu à mes confrères. Au début, le patron
du service de médecine interne disait : « Derrière chaque névrose il y a un ulcère
à l'estomac. » Et à la fin : « Perls (pas de petit nom entre copains, comme aux
États-Unis, sauf entre amis intimes), vous aviez raison : derrière chaque
ulcère à l'estomac il y a une névrose. » J'étais content ! Je lui pardonnai
même la gaffe qu'il avait faite à mon égard.
Voilà. C’est tout pour le moment
comme dans les séries télé américaines ou les romans-feuilletons du
dix-neuvième siècle. Amitiés à tous.
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