mardi 4 septembre 2018

Nouvelles précisions sur la Gestalt-thérapie (dix-septième partie) (Orientation du Moi, troisième partie, chapitre 2, Contact avec l’environnement, expérience 3).




Laura Perls.

Des amis m’ont demandé d’apporter des approfondissements sur la gestalt-thérapie, la psychothérapie que je préfère actuellement. J’ai déjà abordé ce sujet à plusieurs reprises dans ce blog. En voici quelques exemples :


Cet article est la suite de celui-ci. 

Le livre de référence sur le sujet est Gestalt-thérapienouveauté, excitation et développement de Frederick Perls, Paul Goodman et Ralph Hefferline.

L’ouvrage est divisé en deux parties distinctes. La première partie porte sur l’orientation du moi et se subdivise en 4 chapitres. Le chapitre 1 définit l’aspect scientifique de la gestalt thérapie. Le chapitre 2 présente différentes expériences visant à développer ou à accroître chez l’individu sa capacité à entrer en contact avec son environnement. Les chapitres 3 et 4 présentent les différentes techniques de prise de conscience intégrée du soi. La deuxième partie de l’ouvrage porte sur la manipulation du moi. On y retrouve également 4 chapitres qui traitent globalement de 3 types de mécanismes névrotiques à l’origine des troubles psychologiques vécus par les individus. Ces mécanismes sont : la rétroflexion, l’introjection et la projection.

Je vais, pour que vous compreniez bien la démarche de la Gestalt, aborder le thème de la première partie, l’orientation du moi et plus particulièrement son chapitre 2 « Contact avec l’environnement ».


EXPÉRIENCE 3 : Attention et concentration

Les deux expériences précédentes étaient opposées. En essayant d'accroître votre sentiment de la réalité, vous focalisez votre intérêt à l'ici et maintenant, alors que, d'un autre côté, toute prise de conscience du sentiment qu'il existe dans votre personnalité des forces opposées dépend de l'élargissement de votre perspective au-delà de vos interprétations et évaluations habituelles. Mais le but des deux expériences était le même. C'est-à-dire vous aider à prendre conscience de résistances (vides, contre-émotions et autres difficultés du comportement) rencontrées en essayant honnêtement de faire les expériences.

Si ces résistances ont été assez sérieuses pour vous donner un sentiment d'impuissance et d'inadéquation à la tâche, il n'y a aucune raison d'être abattu. Quand vous avez eu un blocage ou que vous vous êtes senti soudain l'esprit vide, vous vous êtes peut-être dit : « C'est parce que je ne peux pas me concentrer », et nous sommes d'accord là-dessus, mais pas dans le sens conventionnel. L'incapacité à se concentrer provient d'années de soins minutieux pour garder certaines parties de votre personnalité à l'écart l'une de l'autre, de peur qu'elles ne se dévorent férocement. Alors, quand vous avez besoin que ces deux parties joignent leurs efforts pour faire quelque chose, il ne suffit pas de les convoquer simplement en leur faisant signe. Il ne sert à rien d'insister pour « rassembler ses forces ». Cela n'arrange pas non plus les choses quand un psychanalyste dit : « Relaxez-vous, ne vous censurez pas et souvenez-vous en détail de votre enfance ». Sauf très superficiellement, on ne peut pas décider délibérément de faire ce genre de choses !

Ce qu'on peut faire, c'est ce que avez commencé à faire dans ces expériences — devenir conscient de vos efforts et de vos réactions et acquérir envers eux une attitude de « pré-engagement créateur ».

D'abord, distinguons entre ce qu'on appelle d'habitude la concentration et la véritable concentration saine, organique. Dans notre société, la concentration est considérée comme un effort délibéré, difficile, coercitif — quelque chose qu'on s'oblige à faire. Ne nous étonnons pas puisque nous nous efforçons sans cesse, névrotiquement, de nous conquérir, de nous forcer. D'un autre côté, on n'appelle pas concentration la concentration saine, organique, mais dans les rares occasions où elle apparaît attirance, intérêt, fascination ou absorption.

Observez des enfants en train de jouer et vous verrez qu'ils se concentrent sur ce qu'ils font à tel point qu'il est difficile de les en distraire. Vous noterez aussi qu'ils sont excités par ce qu'ils font. Ces deux facteurs — l'attention apportée à l'objet ou l'activité et l'excitation de satisfaire un besoin, intérêt ou désir, grâce à l'objet auquel on fait attention — sont la substance même de la concentration saine.

Dans la concentration délibérée, nous « faisons » attention quand nous pensons que nous le « devons », nous déconcentrant ainsi, en même temps, d'autres besoins ou intérêts. Dans la concentration spontanée, l'objet auquel nous consacrons notre attention attire à soi et inclut toute la gamme de nos intérêts présents. Quand nous « devons » entreprendre une tâche particulière, nous avons de la chance si la concentration délibérée peut se transformer en concentration spontanée et s'appuyer librement de plus en plus sur nos forces jusqu'à ce que la tâche soit terminée.

Quand la personnalité est divisée devant une situation donnée, de telle sorte que la partie qui essaie d'entreprendre la tâche se heurte à une résistance qui la mine, l'énergie qu'on possède ne peut pas se concentrer librement sur l'objet de l'attention, car une partie  est déjà fixée sur autre chose peut-être précisément sur l'impossibilité d'achever la « tâche » choisie. Cette interférence, la personne se concentrant délibérément l'expérimentera comme une « distraction » et elle devra alors utiliser une partie de son énergie disponible pour réduire au minimum l'influence contraire de la distraction. Notez bien ce qui se produit en termes d'énergie totale de l'organisme. Cette dernière souffre d'une triple division : une partie se consacre à la tâche donnée, la seconde se dépense à vitaliser la résistance et la troisième à lutter contre la résistance. Notez aussi que ce qui, pour la personne qui se concentre délibérément, constitue des « distractions », représente, pour la partie résistante, des « attractions » vers autre chose que la tâche ou vers la lutte plutôt que vers l'accomplissement de la tâche. Comme l'énergie totale se consacre de plus en plus à la bataille contre la « distraction attrayante » et, de ce fait, n'est plus disponible pour continuer à travailler selon la ligne choisie, on éprouve une irritabilité et une colère croissantes, jusqu'à ce qu'on se décide à abandonner la tâche ou qu'on explose.

En d'autres termes, quand on se force à faire quelque chose qui, en soi, n'attire pas l'intérêt, l'excitation s'accumule, non pas vers cet objet de l'attention « choisi », mais vers la lutte contre la « distraction » qui peut vraiment enflammer l'intérêt. (Quand cette excitation montante explose finalement en colère, elle se tourne souvent contre un spectateur innocent, comme si c'était lui la « distraction ».) Pendant ce temps, comme l'excitation se concentre de plus en plus sur la suppression du perturbateur, l'objet sur lequel on se concentrait perd de plus en plus de son intérêt. En bref, on s'ennuie.

L'ennui se produit quand l'attention se dirige délibérément vers quelque chose sans intérêt. La situation qui pourrait devenir intéressante est effectivement bloquée. Il en résulte la fatigue et, finalement, la transe. Soudain, l'attention s'évade de la situation ennuyeuse dans la rêverie. Le signe de l'attention et de la concentration spontanées, c'est la formation progressive d'une relation figure/fond, qu'il s'agisse de sentir, de faire des plans, d'imaginer, de se souvenir ou de se livrer à une activité pratique. Si l'attention et l'excitation sont présentes et travaillent ensemble, l'objet de l'attention devient une forme de plus en plus brillante, unifiée, distincte, sur un fond de plus en plus vide, peu remarquable et inintéressant. On appelle cette sorte de forme unifiée sur un fond vide, une « bonne forme ».

Mais les gestaltistes eux-mêmes ne se sont pas, en général, intéressés suffisamment à la signification du fond. Ce dernier est tout ce qui progressivement est éliminé de l'attention dans une situation vécue. Dans la relation figure/fond, la figure et le fond ne sont pas statiques, mais changent au cours d'un développement dynamique.

Prenons une expérience aussi simple que l'observation d'une forme visuelle — par exemple, un carré sur un tableau noir. Quand le carré devient net et clair, le « tout éliminé » en vient à inclure le tableau, la pièce, son propre corps, toute sensation autre que cette vision particulière, et tout intérêt autre que l'intérêt momentané pour le carré. Pour que la gestalt soit unifiée et brillante — une « forme prégnante » —, il faut que tout ce qui constitue le fond devienne progressivement vide et peu attirant. Le brillant et la clarté de la figure proviennent de l'excitation-de-voir-le-carré obtenue en vidant le fond.

On pourrait grossièrement comparer l'attention diffuse qui marque le début du processus figure/fond à un panneau de verre dont la surface est éclairée également. Supposons alors que le panneau de verre se transforme peu à peu en une lentille. La surface tout entière s'obscurcirait pendant que l'endroit sur lequel la lentille converge s'illuminerait. Aucune énergie supplémentaire en unité lumière ne serait requise, mais les rayons convergeraient de plus en plus de la périphérie vers le point brillant, intensifiant l'énergie à cet endroit. Cette analogie est limitée dans la mesure où nous n'avons pas supposé l'existence d'un objet qui expliquerait la sélection de l'endroit particulier sur lequel la lentille concentre la force de son intensité. Dans la situation organisme-environnement, c'est bien sûr la pertinence des objets de l'environnement vis-à-vis des besoins de l'organisme qui détermine le processus figure-fond. À cet égard, notre exemple du carré sur un tableau noir est banal à moins que nous n'inventions des circonstances extraordinaires. Nous l'utilisons simplement pour montrer que le processus figure/fond n'est pas réservé à l'extraordinaire et au dramatique.

Nous suggérons que vous vérifiiez nos affirmations ci-dessus, concernant la formation d'une gestalt, de la manière suivante :

Pendant une brève période, regardez un objet — par exemple une chaise. Remarquez comme elle se clarifie en obscurcissant l'espace et les objets alentour. Puis tournez votre attention sur un objet proche et observez comment, à son tour, il commence à se différencier. De même, prêtez attention à un son et remarquez comme les autres bruits s'atténueront. Finalement, faites attention à une sensation corporelle, un élancement ou un grattement, et observez comment ici aussi, le reste de vos sensations s'efface à l'arrière-plan.

La relation dynamique, libre, entre la figure et le fond, peut être interrompue, évidemment, de deux façons : a) en concentrant son attention trop fixement sur la figure de telle sorte que le fond ne peut susciter un nouvel intérêt. (C'est ce qui se produit dans l'attention délibérée.) Ou b) le fond contient certains pôles d'attraction assez puissants pour qu'on ne puisse les ignorer, et, dans ce cas-là, ils distraient ou doivent être supprimés.

Examinons chacun de ces cas :

a) Regardez fixement n'importe quelle forme, en essayant d'appréhender précisément sa forme et rien d'autre. Vous observerez qu'elle devient bientôt floue et que votre attention se dirige vers autre chose. D'un autre côté, si vous laissez votre regard jouer autour de la forme, en la plaçant dans différents contextes, cette dernière s'unifiera dans ces différenciations successives, deviendra plus claire et sera mieux perçue.

De même qu'un objet, quand on le regarde trop fixement devient flou, de même il perd de sa netteté quand il a retenu l'attention par l'excitation brute d'un récepteur. Par exemple, le bruit continuel d'une sirène. Ce n'est pas la violence physique qui provoque « la fatigue » mais le manque essentiel d'intérêt — l'incapacité d'enrichir la figure à partir du fond. Quand un compositeur souhaite maintenir un fortissimo — peut-être beaucoup plus fort qu'une sirène — il retient l'attention en variant les timbres et l'harmonie. Similairement, en étudiant spontanément un tableau ou une sculpture, nous laissons notre regard flotter et bouger autour de l'objet. Si nous ne permettons pas un libre changement et jeu d'observation, la conscience s'obscurcit. C'est ainsi que de la concentration délibérée, qui ne tend pas à devenir spontanée, naissent la fatigue, la fuite et, pour compenser le tout, la fixité du regard.

Pendant la guerre, un certain nombre d'aviateurs se plaignaient de maux de tête intenses au cours des atterrissages de nuit. Ces maux de tête étaient dus à la concentration délibérée des pilotes, qui fixaient leur regard. Quand on leur enseignait à regarder çà et là, autour de la piste d'atterrissage -- c'est-à-dire, quand ils cessaient de regarder fixement —, ils n'avaient plus mal à la tête et leur vision s'éclaircissait. Quand on persiste à fixer une forme jusqu'au point de la complète disparition de la relation figure/fond, il arrive qu'on plonge dans l'inconscience, ou la transe hypnotique.

b) La difficulté opposée, dans la formation libre de la relation figure/fond, c'est l'incapacité de vider le fond de tout contenu. Le résultat est que la forme ne peut s'unifier. En poussant ceci à l'extrême, on aboutirait au chaos. Il n'est pas facile d'expérimenter l'environnement comme un chaos, parce que, pour des raisons pratiques, il nous faut toujours découvrir des unités différenciées (gestalts). Vous pouvez éprouver ce sentiment de chaos en regardant certaines peintures modernes qui, à cause de votre éducation, ne retiennent pas votre attention. Vous fuyez le sentiment de chaos, parce que vous le trouvez douloureux ou grotesque. 

Voilà. C’est tout pour le moment. Amitiés à tous.

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