Le livre de Charles Guignebert où il est question de la métanoïa.
Bonsoir à tous,
Je me suis rendu compte que, alors que ma femme, Wanda Torres, expose à la galerie Métanoïa, la plupart des
gens ne savent pas ce que signifie ce mot. Je vous ai donc concocté un petit
résumé sur cette notion à partir du remarquable livre Jésus de Charles Guignebert (ancien professeur d’histoire du christianisme à la
Sorbonne).
1) Métanoïa : transformation morale par le
repentir prêchée par Jean-Baptiste.
Jean-Baptiste
annonçait la proche venue du Royaume de Dieu et il recommandait aux hommes de
changer leur genre de vie, de le conformer à la volonté et au plaisir de Dieu.
Cette transformation (métanoïa) leur rendrait le Juge favorable et leur
porterait profit pour le Jour qui se préparait. Le baptême de repentance de
Jean-Baptiste (baptême de métanoïa) apparaît donc comme une lustration
symbolique préparatoire à l'avènement messianique. Du reste, le Baptiste aurait
dit de même que les pharisiens : Transformez-vous POUR que le Royaume arrive,
plutôt que : Transformez-vous CAR le Royaume arrive.
2) Métanoïa : transformation morale prêchée
par Jésus.
Jésus ne parlait
pas au peuple, autant que nous en pouvons juger, le langage que l'on attendait
d'un prophète messianiste. Il ne semblait pas s'intéresser au temporel
d'Israël. Il ne lançait pas un appel aux armes. Il prêchait la résignation bien
plutôt que la révolte. On n'enthousiasme pas les foules avec cela, les foules
de Galilée moins encore que d'autres. Le contenu même de son enseignement le
condamnait à un insuccès total, ou, ce qui revient au même, le réduisait à un
succès qui ne pouvait pas rayonner, qui ne se voyait pas. Il disait : Voici que
le Royaume approche, transformez-vous. Et il indiquait en quoi devait consister
cette métanoïa. D'abord, on pouvait ne pas le croire, n'accorder ni attention
ni crédit à sa proclamation. Mais, mettons les choses au mieux : on le croyait.
Que faire quand on l'avait cru ? Se transformer, en effet, réaliser la métanoïa
— opération toute subjective — et attendre que le Royaume se manifestât. Rien
de plus. Pourquoi aurait-on suivi Jésus et quelles raisons de se jeter dans
l'enthousiasme ? Tout au plus quelques hommes pieux pouvaient-ils s'attacher à
celui dont la parole les avait touchés et dont la présence les réconfortait.
Quant aux docteurs, aux scribes qui faisaient profession d'étudier et
d'observer scrupuleusement la Thora, ils ne pouvaient, bien sûr, éprouver pour
lui la moindre sympathie.
3) Les conditions d'entrée dans le Royaume.
Les conditions
d'entrée dans le Royaume, telles que Jésus les prévoit, sont naturellement
religieuses et morales. Elles se ramènent à trois : croire à l'Évangile — faire
la volonté de Dieu ; — opérer la métanoïa, la transformation de la vie morale.
La transformation
nécessaire, c'est donc la métanoïa, qui offre à l'homme une méthode de vie
salutaire ; il faut être juste pour y entrer. Les Juifs ont toujours grandement
prisé la justice, qui est la note propre de Iahvé, et ils avaient accoutumé
d'associer l'effacement des péchés et le renouvellement du peuple élu à
l'avènement du Royaume messianique. Si Jésus parle et multiplie les signes,
c'est « afin qu'ils se transforment » (Mc., 6, 12) : c'est pour les décider à
cet effort nécessaire qu'il est venu, car « Celui qui ne fait point pénitence
devant Lui, dit Hénoch (50, 2 et s.), sera perdu ». Il s'agit donc foncièrement
d'une mutatio animi, d'un changement
de sentiment à l'égard du péché ; c'est-à-dire d'un abandon résolu des
pratiques qui mènent au péché ou en viennent, repentir des fautes commises et
ferme propos de ne pas les commettre de nouveau. Un Juif légaliste croit avoir
tout fait quand il a exactement suivi la Loi, volonté écrite de Iahvé ; mais,
chez les pauvres et les exclus, le sentiment profond de leur indignité de
pécheurs devait provoquer un regret pieux de leurs manquements, qui les
rapprochait de Dieu. C'est dans la ligne de la piété de ces pauvres d'Israël,
nous le savons, que se place Jésus. Il n'est du reste pas probable que le
prophète ait eu l'illusion de croire qu'il demandait aux hommes quelque chose
de facile, en les engageant à tendre tous leurs efforts vers le Royaume, à
s'abstraire du monde présent, pour s'assurer la possession d'une place dans
l'autre.
Il semble avoir prévu la résistance des instincts, des bons comme des mauvais,
et ordonné de les contraindre tous :
« Si quelqu'un
vient à moi et ne hait pas son père et sa mère, et sa femme et ses enfants, et
ses frères et ses sœurs et jusqu'à sa propre vie, il ne peut être mon disciple
» (Lc., 14, 26).
Et c'est le
sentiment des difficultés diverses dressées sur le chemin de la métanoïa qui
s'exprime dans un passage célèbre de Mt., 10, 34 et s. :
« Ne pensez pas
que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la
paix mais le glaive. Je suis venu mettre la division entre le fils et son père,
la fille et sa mère, la belle-fille et sa belle-mère. On aura pour ennemis ceux
de sa propre maison » (Cf. Lc., 12, 51 et s.).
Le passage n'a aucune
chance d'être authentique, car cette mise en avant de la personne de Jésus
paraît bien suspecte, mais la communauté primitive lui a confié le soin
d'exprimer une vérité d'expérience en se souvenant d'un passage de Michée, 7,
6, réputé prophétique : « Car le fils traite son père de fou, la fille
s'insurge contre la mère, la belle-fille contre la belle-mère : chacun a pour
ennemis les gens de sa maison ».
A l'inégalité
des efforts, correspondra sans doute l'inégalité des récompenses, puisque Mc.,
10, 40, semble prévoir des places d'honneur : ce sont celles que réclament sans
vergogne les deux fils de Zébédée ; et Mt., 19, 30, nous parle de premiers qui
seront les derniers et réciproquement. Aussi bien, quelques sacrifices que
puisse consentir un homme, jamais il n'aura à y perdre :
« Je vous le dis
en vérité, il n'est personne qui, ayant quitté sa maison, ou sa femme, ou ses
frères, ou ses parents, ou ses enfants à cause du Royaume de Dieu, ne reçoive
beaucoup plus en ce monde et, dans le siècle qui vient, la vie éternelle »
(Lc., 28, 29-30).
4) Chapitre IX du livre de Charles Guignebert : La vie morale
Le point de départ : la métanoïa.
Nous savons que,
pour entrer dans le Royaume de Dieu, l'homme doit opérer en lui la métanoïa.
Pratiquement, Jésus ne parle que pour persuader les Juifs de cette vérité. S'il
manifeste dans les villes les virtualités de miracle qui sont en lui, c'est
pour qu'elles fassent pénitence (Mt., 11, 20; Lc., 10, 13) et il leur reproche
de ne pas le comprendre. Quand il est censé prolonger son action plus loin
qu'il ne peut atteindre lui-même directement, en envoyant des disciples par le
pays, c'est, au dire de Mc., 6, 12, pour qu'ils y prêchent la repentance.
L'idée était courante en Israël qu'un temps viendrait où Iahvé conclurait avec
son peuple une alliance nouvelle qui s'accompagnerait d'une transformation morale
de tous les fils d'Abraham. Cette opération les mettrait au contact immédiat de
Dieu, par quoi, du point de vue religieux, se manifesterait tout justement son
règne, le règne de sa Loi. Les Juifs sont donc habitués à associer l'avènement
du royaume messianique avec le renouvellement moral du peuple élu. Ils
n'ignorent du reste pas, pour peu qu'ils soient pieux, que le péché les guette
de toutes parts et qu'ils ne peuvent guère lui échapper.
Quiconque annonce l'approche
du Royaume doit donc aussi prêcher la métanoïa, et le Baptiste, à en croire la
tradition évangélique (Mc., 1, 5), l'a fait avant Jésus ; parce qu'en vérité
l'avènement du Royaume apparaît comme subordonné à la pénitence des individus
et de la nation (Hénoch, 50, 2-4). Pénitence pour le passé et ferme propos,
strictement tenu, de ne plus pécher à l'avenir, c'est-à-dire d'observer
rigoureusement la Loi de Iahvé.
Le point de
départ de l'éthique de Jésus, c'est la conviction qu'il n'y a point d'homme
sans péché, que nul n'est pur devant le Seigneur, que personne n'est bon hormis
Dieu, donc que tous les hommes ont besoin de la métanoïa. Elle apparaît d'abord
comme un mouvement de la conscience, un changement de point de vue au regard du
péché, une modification radicale du sentiment touchant la vie religieuse et
morale, lesquelles se trouvent en liaison si étroite qu'elles ne se distinguent
plus l'une de l'autre. Que ce changement de fond se manifeste par des
démonstrations plus ou moins touchantes, telles que larmes, vigoureux
battements de coulpe sur la poitrine (Lc., 18, 13), suivant l'usage commun, ce
n'est sans doute pas défendu ; mais ce qui importe, c'est la rénovation, la renaissance
de l'individu.
A vrai dire, l'idée n'est nettement exprimée que dans un texte
qui ne vient pas de nos Evangiles et que donne Justin ; mais il n'a pas mauvaise
apparence, et le voici : « Car le Christ a dit : Si vous ne renaissez pas, vous
n'entrerez pas dans le Royaume des cieux». Elle est pourtant impliquée en Mt.,
18, 3 : «Je vous le dis en vérité, si vous ne vous convertissez et ne devenez
comme les petits enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux ».
Voilà. C’est
tout pour aujourd’hui. Amitiés à tous.
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