vendredi 7 juin 2019

Nouvelles précisions sur la Gestalt-thérapie (treizième partie) (La rétroflexion, partie 3).





Ralph Hefferline



Des amis m’ont demandé d’apporter des approfondissements sur la gestalt-thérapie. J’ai déjà abordé ce sujet à plusieurs reprises dans ce blog. En voici quelques exemples :


Cet article est la suite de celui-ci.

Le livre de référence sur le sujet est Gestalt-thérapienouveauté, excitation et développement de Frederick Perls, Paul Goodman et Ralph Hefferline.

L’ouvrage est divisé en deux parties distinctes. La première partie porte sur l’orientation du moi et se subdivise en 4 chapitres. Le chapitre 1 définit l’aspect scientifique de la gestalt-thérapie. Le chapitre 2 présente différentes expériences visant à développer ou à accroître chez l’individu sa capacité à entrer en contact avec son environnement. Les chapitres 3 et 4 présentent les différentes techniques de prise de conscience intégrée du soi. La deuxième partie de l’ouvrage porte sur la manipulation du moi. On y retrouve également 4 chapitres qui traitent globalement de 3 types de mécanismes névrotiques à l’origine des troubles psychologiques vécus par les individus. Ces mécanismes sont : la rétroflexion, l’introjection et la projection.

La rétroflexion, suite

Examinons quelques rétroflexions typiques. Il y a, par exemple, celles qui sont simplement des réflexes linguistiques. Quand on emploie des expressions comme « je me demande », ou « je me disais », que veut-on dire ? Dans les expériences précédentes, nous avons souvent suggéré : « Demandez-vous . . . » N'est-ce pas d'une logique étrange ? Si vous ne connaissez pas quelque chose, pourquoi vous le demander, et si vous le savez, pourquoi vous le dire ? Ces manières de parler (et nous les employons tout le temps) impliquent que la personnalité est divisée, comme si deux personnes habitaient le même corps et pouvaient tenir une conversation entre elles. A votre avis, est-ce une simple manière de parler, particulière à notre langue, ou pensez-vous que cet usage tout à fait commun correspond à une division de la personnalité ?

Essayez de comprendre clairement que lorsque « vous vous demandez quelque chose », c'est une question rétrofléchie. Vous ne connaissez pas la réponse, sinon vous ne vous poseriez pas la question. Qui, dans votre environnement, connaît la réponse ou devrait la connaître, à votre avis ? Si vous parvenez à situer cette personne, avez-vous conscience de vouloir lui poser votre question ? Qu'est-ce qui vous empêche de le faire ? La timidité, la crainte d'une rebuffade, la réticence à admettre votre ignorance ?

Quand « vous vous consultez », êtes-vous conscient de votre motivation ? Plusieurs sont possibles. Ce peut être un jeu, une moquerie, une consolation ou un reproche. Quoi que ce soit, à qui vous substituez-vous en faisant cela ?

Considérez les reproches que l'on s'adresse à soi. Là, on ne trouve pas un véritable sentiment de culpabilité, mais simplement un reproche feint. Renversez l'approche en essayant de trouver la Personne X, parmi vos connaissances, à qui vous adressez vraiment vos reproches. Qui voulez-vous tourmenter ? Qui voulez-vous réformer ? Chez qui voulez-vous éveiller le sentiment de culpabilité que vous prétendez posséder en vous ?

À ce stade, il n'est pas utile que vous vous précipitiez chez la personne en question pour vous débarrasser de votre rétroflexion. Vous n'avez pas encore suffisamment exploré et accepté votre personnalité ni examiné à fond la situation interindividuelle. Laissez de côté le contenu détaillé du problème particulier pour le moment et contentez-vous d'essayer de réaliser la forme de votre comportement rétrofléchi. Peu à peu, vous commencerez à vous voir comme les autres vous voient. Si vous êtes sans cesse exigeant avec vous-même, vous êtes sans doute, explicitement ou implicitement, exigeant avec les autres — et c'est ainsi que vous leur apparaissez. Si vous êtes furieux après vous, vous serez furieux après la mouche qui se promène sur le mur. Si vous vous tourmentez, vous pouvez être sûr de tourmenter les autres aussi.

Voilà. C’est tout pour le moment. Amitiés à tous.

jeudi 6 juin 2019

Nouvelles précisions sur la Gestalt-thérapie (douzième partie) ( La rétroflexion, suite).




Paul Goodman



Des amis m’ont demandé d’apporter des approfondissements sur la gestalt-thérapie. J’ai déjà abordé ce sujet à plusieurs reprises dans ce blog. En voici quelques exemples :


Cet article est la suite de celui-ci.

Le livre de référence sur le sujet est Gestalt-thérapienouveauté, excitation et développement de Frederick Perls, Paul Goodman et Ralph Hefferline.

L’ouvrage est divisé en deux parties distinctes. La première partie porte sur l’orientation du moi et se subdivise en 4 chapitres. Le chapitre 1 définit l’aspect scientifique de la gestalt-thérapie. Le chapitre 2 présente différentes expériences visant à développer ou à accroître chez l’individu sa capacité à entrer en contact avec son environnement. Les chapitres 3 et 4 présentent les différentes techniques de prise de conscience intégrée du soi. La deuxième partie de l’ouvrage porte sur la manipulation du moi. On y retrouve également 4 chapitres qui traitent globalement de 3 types de mécanismes névrotiques à l’origine des troubles psychologiques vécus par les individus. Ces mécanismes sont : la rétroflexion, l’introjection et la projection.

La rétroflexion, suite

Théoriquement, le traitement de la rétroflexion est simple : il faut renverser la direction de l'acte rétrofléchi de l'intérieur vers l'extérieur. Alors, les énergies de l'organisme, anciennement divisées, joindront une fois de plus leurs forces et se déchargeront vers l'environnement. On donne ainsi à l'impulsion bloquée l'occasion de s'exprimer, entièrement, et d'être satisfaite. Alors, comme c'est le cas lorsque tout besoin véritable de l'organisme est satisfait, il peut y avoir repos, assimilation et croissance. En pratique, cependant, l'expression d'une rétroflexion n'est pas aussi simple. Chaque partie de la personnalité s'en mêle, comme pour empêcher une catastrophe. L'individu est submergé par l'embarras, la crainte, la culpabilité et le ressentiment. L'organisme répond à la tentative de renverser l'auto-agression, de différencier le dictateur des deux parties de la personnalité, comme si c'était une attaque contre son corps, sa « nature », sa vie même. À mesure que les parties entremêlées commencent à se séparer, la personne expérimente une excitation insupportable, qui peut mener à un autre blocage pour se soulager. Des sentiments inhabituels sont ressuscités et l'individu doit d'abord s'y habituer et graduellement apprendre à les tolérer pour pouvoir les réutiliser. Au début, il est anxieux et préférerait plutôt se retirer dans un état d'inconscience.

L'une des principales raisons de la crainte et de la culpabilité que fait naître le renversement des rétroflexions, c'est que la plupart des impulsions rétrofléchies sont des agressions, de la plus bénigne à la plus cruelle, de la persuasion à la torture. Laisser le champ libre à ces impulsions est terrifiant. Mais l'agression, dans le sens large de l'usage clinique, est indispensable au bonheur et à la créativité. En outre, le renversement de la rétroflexion ne fabrique pas une agression qui n'était pas là. Elle existait déjà — mais s'appliquait contre le moi et non contre l'environnement. Nous ne nions pas que l'agression peut être pathologiquement mal utilisée contre les objets et les autres personnes, exactement comme elle est mal utilisée quand elle est toujours dirigée contre le moi. Mais tant qu'on n'est pas conscient de ses impulsions agressives et qu'on n'apprend pas à les utiliser d'une manière constructive, elles seront mal utilisées ! En fait, c'est l'acte de les réprimer — la mise en place et le maintien de l'impitoyable tension musculaire — qui fait que ces agressions paraissent si inutiles, « antisociales » et intolérables. Une fois qu'on leur permet de se développer spontanément dans le contexte de la personnalité totale, au lieu d'être étouffées et réprimées sous l'emprise inexorable de la rétroflexion, on regarde différemment et plus favorablement l'agression.

Ce qu'on redoute également en relâchant une impulsion bloquée, c'est d'être complètement frustré — car la rétroflexion donne au moins une satisfaction partielle. Un homme pieux, par exemple, incapable de diriger sa colère contre le Seigneur à la suite de ses déceptions, bat sa coulpe et s'arrache les cheveux. Cette auto-agression, évidemment une rétroflexion, est néanmoins une agression et donne une certaine satisfaction à la partie rétrofléchie de la personnalité. C'est unes agression, primaire, indifférenciée — une colère rétrofléchie d'enfant —, mais la partie de la personnalité attaquée est toujours là et vulnérable aux attaques. L'auto-agression peut toujours être sûre de sa victime !

Si cette rétroflexion était renversée d'un seul coup, la personne attaquerait alors les autres de façon aussi inefficace et archaïque. Et elle soulèverait la même contre-agression qui l'a menée à rétrofléchir. C'est cette réalisation qui rend le renversement même imaginaire des rétroflexions producteur de tant de craintes. Ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que le changement peut se faire graduellement, par stades. On peut, pour commencer, découvrir et accepter le fait de « prendre sur soi ». On peut devenir conscient des émotions de la partie rétrofléchie de la personnalité — notamment, la joie sinistre qu'on prend à s'autopunir. Quand ce stade est achevé, c'est déjà un progrès considérable, car l'agressivité est socialement si mal jugée qu'il est difficile de la reconnaître et de l'accepter même quand elle épargne les autres et qu'on la dirige uniquement contre soi. C'est seulement quand elle est acceptée — c'est-à 
dire, quand on la reconnaît comme composante existante, dynamique de la personnalité —, que l'on peut alors la modifier, la différencier, la rediriger, dans une expression plus saine. Au fur et à mesure que l'orientation de l'individu dans l'environnement s'améliore, que la conscience de ce que l'on veut vraiment faire devient plus nette, qu'on fait des tentatives pour voir ce qui va se passer, les techniques pour exprimer les impulsions précédemment bloquées se développent aussi. Elles perdent leur aspect primaire, terrifiant, à mesure qu'on les différencie et qu'on leur donne l'occasion de rattraper les parties plus mûres de la personnalité. L'agression, alors, reste toujours agression, mais elle sera au service de tâches plus utiles et ne sera plus aveuglément destructrice pour soi et les autres. Elle s'exprimera selon les demandes de la situation au lieu de s'accumuler jusqu'à ce qu'on ait l'impression d'être assis sur un volcan.

Jusqu'ici, nous avons parlé uniquement de comportements que l'individu a été incapable de diriger vers les autres et qu'il a en conséquence rétrofléchis. Les rétroflexions incluent aussi ce qu'on veut des autres, mais qu'on n'a pas réussi à obtenir. Ce peut être l'attention, l'amour, la pitié, la punition, presque n'importe quoi ! Un grand nombre de sentiments originellement donnés par les autres — notamment par les parents —, on se les donne à soi en grandissant. Cela peut naturel¬lement être très sain, pourvu qu'on n'essaie pas de s'octroyer ce qui relève en réalité de besoins interindividuels.

Voilà. C'est tout pour le moment. Amitiés à tous !

Nouvelles précisions sur la Gestalt-thérapie (onzième partie) (La rétroflexion).






Un autre livre sur la Gestalt-thérapie



Des amis m’ont demandé d’apporter des approfondissements sur la gestalt-thérapie. J’ai déjà abordé ce sujet à plusieurs reprises dans ce blog. En voici quelques exemples :


Cet article est la suite de celui-ci.

Le livre de référence sur le sujet est Gestalt-thérapienouveauté, excitation et développement de Frederick Perls, Paul Goodman et Ralph Hefferline.

L’ouvrage est divisé en deux parties distinctes. La première partie porte sur l’orientation du moi et se subdivise en 4 chapitres. Le chapitre 1 définit l’aspect scientifique de la gestalt-thérapie. Le chapitre 2 présente différentes expériences visant à développer ou à accroître chez l’individu sa capacité à entrer en contact avec son environnement. Les chapitres 3 et 4 présentent les différentes techniques de prise de conscience intégrée du soi. La deuxième partie de l’ouvrage porte sur la manipulation du moi. On y retrouve également 4 chapitres qui traitent globalement de 3 types de mécanismes névrotiques à l’origine des troubles psychologiques vécus par les individus. Ces mécanismes sont : la rétroflexion, l’introjection et la projection.

La rétroflexion

EXPÉRIENCE 12:

Recherche du comportement mal dirigé

« Retro-flectere » signifie littéralement « se retourner vivement contre ». Quand un individu rétrofléchit un comportement, il fait à lui-même ce qu'il a fait ou essayé de faire à d'autres personnes ou objets. Il cesse de diriger différentes énergies vers l'extérieur pour tenter de manipuler l'environnement en vue d'apporter des changements qui satisferont ses besoins ; au contraire, il dirige son énergie vers lui-même et se substitue à l'environnement comme cible de comportement. Dans cette mesure, il divise sa personnalité entre « celui qui fait » et « celui à qui on fait ».

Pourquoi cette rupture ? Pourquoi ne pas diriger son énergie vers l'extérieur, vers l'environnement ? Parce qu'il a rencontré, à un moment donné, ce qui était pour lui une opposition insurmontable. L'environnement — en particulier les autres individus — s'est montré hostile à ses efforts pour satisfaire ses besoins. Il l'a frustré et l'a puni. Dans une lutte aussi inégale —il était enfant —, il était certain de perdre. En conséquence, pour éviter la souffrance et le danger que comportaient d'autres essais, il a abandonné la lutte. L'environnement, étant plus fort, a imposé ses besoins aux dépens des siens.

Cependant, comme on l'a démontré de façon répétée ces dernières années par un certain nombre d'expériences, la punition a pour effet, non pas d'annihiler le désir de se comporter de façon punissable, mais d'enseigner à l'organisme à retenir les réponses punissables. L'impulsion ou le désir restent aussi forts que jamais et, puisqu'ils ne sont pas satisfaits, organisent constamment l'appareil musculaire — sa posture, son modèle de tonus musculaire, ses mouvements — en vue de l'expression de leurs manifestations. Puisque c'est précisément cela qui est punissable, l'organisme se comporte envers sa propre impulsion comme le fait l'environnement — c'est-à-dire qu'il essaie de la supprimer. Son énergie est donc divisée. Une partie tend toujours vers son but originel et jamais satisfait, et l'autre est rétrofléchie pour contrôler la première. La répression se fait au niveau musculaire, qui exprimerait l'impulsion punissable. À ce stade, les deux parties de la personnalité, luttant dans des directions diamétralement opposées, sont en conflit. Le conflit originel entre l'organisme et l'environnement s'est transformé en « conflit intérieur » — entre un comportement et son opposé.

N'en concluez pas immédiatement que nous voulons dire que tout serait parfait si nous pouvions tous, sans plus de façons, « vivre nos inhibitions ». Dans certaines circonstances, la retenue est nécessaire et peut même être vitale — par exemple, quand on retient sa respiration sous l'eau. La question importante qui se pose est de savoir si oui ou non l'individu a des bases rationnelles pour réprimer son comportement dans des circonstances données. En traversant une rue, il est indéniablement à son avantage d'étouffer son impulsion de contester la priorité à un camion. Dans des situations sociales, il est, en général, avantageux de réprimer la tendance à partir du mauvais pied (mais quand on a tous les atouts en main, c'est un problème très différent !).

Quand la rétroflexion est sous contrôle conscient — c'est-à-dire, quand un individu, dans une situation courante, supprime des réponses particulières qui, si elles étaient exprimées, seraient à son désavantage —, personne ne conteste l'intelligence de ce comportement. Ce n'est que lorsque la rétroflexion est habituelle, chronique, incontrôlée, qu'elle est pathologique. Ce n'est pas alors une réaction temporaire, une mesure d'urgence en attendant une meilleure occasion, mais une impasse perpétuelle dans la personnalité. En outre, puisque ce front ne bouge pas, il cesse d'attirer l'attention. Nous « oublions » son existence. C'est la répression — et la névrose.

S'il était vrai que l'environnement social restait inflexible et intransigeant — s'il était aussi dangereux à l'expression de certaines impulsions maintenant, qu'il l'était quand nous étions enfants — alors, la répression (la rétroflexion oubliée) serait efficace et désirable. Mais la situation a changé ! Nous ne sommes plus des enfants. Nous sommes plus grands, plus forts et nous avons des « droits » qu'on nous déniait quand nous étions enfants. Dans ces circonstances, cela vaut la peine d'essayer une nouvelle fois d'obtenir ce dont nous avons besoin de l'environnement !

Quand nous inhibons un comportement, nous sommes conscients à la fois de ce que nous supprimons et du fait que nous le supprimons. Dans la répression, au contraire, nous avons perdu conscience à la fois de ce qui est réprimé et du processus par lequel nous le réprimons. La psychanalyse a mis l'accent sur la redécouverte du matériel réprimé — l'impulsion bloquée. Nous voulons, au contraire, redécouvrir la prise de conscience du blocage, le sentiment qu'on le fait et comment on le fait. Quand l'individu aura découvert le caractère rétrofléchi de son action et retrouvé son contrôle, l'impulsion bloquée se débloquera automatiquement. N'étant plus réprimée, elle s'exprimera au grand jour. Le grand avantage de cette démarche — la découverte de l'agent répresseur actif —, c'est que le blocage appartient à un domaine aisément accessible de la conscience, qu'il peut être directement expérimenté et ne dépend pas d'interprétations plus ou moins douteuses.

Voilà. C'est tout pour le moment. Amitiés à tous.