dimanche 12 avril 2020

Extrait de mon livre sur un auteur révolutionnaire « Jean-Patrick Manchette, parcours d’une œuvre » (troisième partie) (Une police en dessous de tout).



  
Un roman de Jean-Patrick Manchette


En l’an 2000, j’ai publié un livre sur un auteur « révolutionnaire », Jean-Patrick Manchette.

Face à la crise que nous connaissons aujourd’hui, ses analyses sur notre société me paraissent être totalement d’actualité. Voilà pourquoi, j’ai décidé de partager avec vous l’essentiel de mon étude sur cet auteur à travers plusieurs articles de ce blog.


« UNE POLICE EN DESSOUS DE TOUT

Manchette n’a jamais caché dans ses interviews le peu d’estime qu’il avait pour la police française. Il s’est lui-même fait molester par celle-ci dans une manifestation et en a gardé toute sa vie une terreur des affrontements avec les forces de l’ordre. D’une façon générale, il n’a jamais compris comment quelqu’un d’intelligent pouvait faire ce métier souvent brutal et où les idées des collègues sont parfois très proches de celles de l’extrême droite. Ces présupposés de l’auteur réapparaissent à la fois dans ses intrigues et dans les opinions émises par ses personnages. On peut y distinguer trois thèmes principaux : la police est bête, la police est brutale, la police est raciste ! Et ce n’est donc pas sans raison que la plupart des protagonistes affichent un total mépris pour cette institution.

Dès son premier roman Laissez bronzer les cadavres ! Manchette frappe fort. Il nous décrit un duo de motards particulièrement ridicule : l’un, Lambert, est un jeune homme zélé mais bête et borné, l’autre, Roux, plus âgé, est devenu paresseux et sans illusions. Tout au long du roman, Lambert sera surpris par les mœurs de la communauté gérée par Luce. Son univers personnel est, quant à lui, régi par des stéréotypes sur la société, où chacun a sa place à tenir et où l’ordre doit régner (« L’idée que les riches boivent, fait suffisamment étrange, le mettait mal à l’aise. »). 

Au cours de ses aventures, il ressassera sans arrêt des clichés stupides :
« L’argent ne fait pas le bonheur, pensa le policier ; l’oisiveté est la mère de tous les vices. Ils se conduisent comme des bicots. Les extrêmes se touchent, pensa-t-il. » (p. 108)

Entré dans la chapelle du village, il a un comportement complètement imbécile, indiquant une religiosité primitive rappelant le « Got mit uns » (Dieu avec nous) des nazis :
« [...] Faites que je leur en mette plein les tripes, Sainte Mère de Dieu, je jure de devenir un bon chrétien. Amen. » (p. 228)
« Marie, donnez-moi la force. » (p. 228)

Le roman Nada débute lui aussi en ridiculisant la police par la fameuse lettre du gendarme Georges Poustacrouille à sa mère. Celui-ci lui raconte l’assaut de la fermette, où s’était réfugié le commando anarchiste, par les forces de l’ordre. Manchette se délecte dans ce morceau de bravoure, ajoutant graphiquement des ratures, accumulant les fautes de français et les lieux communs sur la société. L’anecdote du camembert à musique offert pour les galons du Maréchal des logis Sanchez atteint des sommets dans le parodique. 

Cependant au-delà de l’humour sous-jacent, ce qui est grave, c’est que du fait de sa stupidité Georges Poustacrouille est totalement aux ordres de ses chefs et qu’il ne regrette rien au sujet de cet assaut qui a été un véritable massacre, où les anarchistes ont été exterminés sans même avoir la possibilité de se rendre.

La violence est aussi une des caractéristiques de cette police qui n’hésite pas à employer les méthodes les plus brutales. Certes, le Henri Butron de L’Affaire N’Gustro n’est pas un petit saint mais au cours d’une scène d’une rare sauvagerie, il se fait copieusement passer à tabac par les fonctionnaires d’un poste de police.

L’aboutissement et le symbole de cette police à la fois brutale et sans déontologie est le personnage du commissaire Goémond. Cet individu apparaît par deux fois dans l’œuvre de Manchette, d’abord dans L’Affaire N’Gustro ensuite dans Nada. Dans ce dernier roman, il torture Treuffais le jeune professeur de philosophie du groupe « Nada » qui n’a pas voulu participer à l’enlèvement afin de lui faire avouer où se trouve la planque de ses amis (chap. 22). Sur ce, un autre policier arrive qui lui demande : « Vous avez essayé de lui tordre les couilles ? ». Sans commentaire !

L’apothéose de ce sadisme et de cette immoralité se situe lors de l’assaut où il abat impitoyablement tous les survivants :
« Je me rends, dit Cash en toussant et en levant les mains au-dessus de sa tête.
Goémond lui tira une balle dans la poitrine. La fille fut précipitée en arrière par le choc. Elle tomba sur le dos au milieu de la salle commune.
— Toi, dit Goémond au gendarme, t’oublieras ça. Songe à ta retraite. » (chap. 32)

Le troisième travers de la police selon Manchette est d’être raciste. Poustacrouille évoque les « romanichels » avec horreur dans la lettre qu’il envoie à sa mère. Foran, le gendarme, ancien collègue de Tarpon dans Morgue pleine, recrute du personnel « exclusivement français » pour surveiller les usines. Les allusions sont nombreuses à une police xénophobe dans toute l’œuvre, et pour son dernier roman La Position du tireur couché, Manchette fait resurgir ce vieux travers policier. Terrier est chargé d’assassiner Sheikh Hakim, un représentant de l’OPEP, avec l’aide de Maubert, un homme de la DST, qui prononce le mot « bougnoul » en désignant leur victime.

Bêtise, violence, racisme, cette triple dégénérescence entraîne un rejet viscéral des forces de l’ordre par la plupart des personnages de Manchette. 

Certes Luce dans Laissez bronzer les cadavres ! n’est pas une personne particulièrement recommandable mais elle est quand même représentative de l’intelligentsia et de la bourgeoisie de l’époque. Ses propos sur la police sont particulièrement durs :
«J’adore emmerder les flics, indiqua-t-elle. » (p. 83)
« Je n’aime pas les flics, dit Luce. Je n’aime pas la société. Je ne m’aime pas. [...] Je ne pense pas que vous soyez intelligent puisque vous êtes flic. Je pense que vous devriez crever. » (p. 167)
Elle n’éprouve aucune pitié quand elle voit mourir le gendarme Roux et se contente de se resservir à boire. De même Max Bernier, l’écrivain déchu, plaisantera devant les dépouilles à la fois des braqueurs et des policiers en criant « Laissez bronzer les cadavres ! »

D’une manière générale, Manchette et ses personnages n’aiment pas la police, pas seulement parce qu’elle est bête et inefficace mais surtout parce qu’elle est corrompue. C’est là un thème nouveau (ou peu traité jusque-là) dans le roman noir français : la collusion de la police avec des politiciens véreux et d’extrême droite ou bien avec le grand capital pour dissimuler des magouilles suspectes.».



Voilà. C’est tout pour le moment. Amitiés à tous.


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