Un roman de Jean-Patrick
Manchette
Face à la crise que nous connaissons
aujourd’hui, ses analyses sur notre société me paraissent être totalement
d’actualité. Voilà pourquoi, j’ai décidé de partager avec vous l’essentiel de
mon étude sur cet auteur à travers plusieurs articles de ce blog.
« UNE POLICE EN DESSOUS DE TOUT
Manchette n’a jamais caché dans ses
interviews le peu d’estime qu’il avait pour la police française. Il s’est
lui-même fait molester par celle-ci dans une manifestation et en a gardé toute
sa vie une terreur des affrontements avec les forces de l’ordre. D’une façon
générale, il n’a jamais compris comment quelqu’un d’intelligent pouvait faire
ce métier souvent brutal et où les idées des collègues sont parfois très
proches de celles de l’extrême droite. Ces présupposés de l’auteur
réapparaissent à la fois dans ses intrigues et dans les opinions émises par ses
personnages. On peut y distinguer trois thèmes principaux : la police est bête,
la police est brutale, la police est raciste ! Et ce n’est donc pas sans raison
que la plupart des protagonistes affichent un total mépris pour cette
institution.
Dès son premier roman Laissez bronzer
les cadavres ! Manchette frappe fort. Il nous décrit un duo de motards
particulièrement ridicule : l’un, Lambert, est un jeune homme zélé mais bête et
borné, l’autre, Roux, plus âgé, est devenu paresseux et sans illusions. Tout au
long du roman, Lambert sera surpris par les mœurs de la communauté gérée par
Luce. Son univers personnel est, quant à lui, régi par des stéréotypes sur la
société, où chacun a sa place à tenir et où l’ordre doit régner (« L’idée que
les riches boivent, fait suffisamment étrange, le mettait mal à l’aise. »).
Au cours de ses aventures, il ressassera sans arrêt des clichés stupides :
Au cours de ses aventures, il ressassera sans arrêt des clichés stupides :
« L’argent ne fait pas le bonheur, pensa
le policier ; l’oisiveté est la mère de tous les vices. Ils se conduisent comme
des bicots. Les extrêmes se touchent, pensa-t-il. » (p. 108)
Entré dans la chapelle du village, il a un comportement complètement imbécile, indiquant une religiosité primitive rappelant le « Got mit uns » (Dieu avec nous) des nazis :
« [...] Faites que je leur en mette
plein les tripes, Sainte Mère de Dieu, je jure de devenir un bon chrétien.
Amen. » (p. 228)
« Marie, donnez-moi la force. » (p. 228)
Le roman Nada débute lui aussi en
ridiculisant la police par la fameuse lettre du gendarme Georges Poustacrouille
à sa mère. Celui-ci lui raconte l’assaut de la fermette, où s’était réfugié le
commando anarchiste, par les forces de l’ordre. Manchette se délecte dans ce
morceau de bravoure, ajoutant graphiquement des ratures, accumulant les fautes
de français et les lieux communs sur la société. L’anecdote du camembert à
musique offert pour les galons du Maréchal des logis Sanchez atteint des
sommets dans le parodique.
Cependant au-delà de l’humour sous-jacent, ce qui est grave, c’est que du fait de sa stupidité Georges Poustacrouille est totalement aux ordres de ses chefs et qu’il ne regrette rien au sujet de cet assaut qui a été un véritable massacre, où les anarchistes ont été exterminés sans même avoir la possibilité de se rendre.
Cependant au-delà de l’humour sous-jacent, ce qui est grave, c’est que du fait de sa stupidité Georges Poustacrouille est totalement aux ordres de ses chefs et qu’il ne regrette rien au sujet de cet assaut qui a été un véritable massacre, où les anarchistes ont été exterminés sans même avoir la possibilité de se rendre.
La violence est aussi une des
caractéristiques de cette police qui n’hésite pas à employer les méthodes les
plus brutales. Certes, le Henri Butron de L’Affaire N’Gustro n’est pas un petit
saint mais au cours d’une scène d’une rare sauvagerie, il se fait copieusement passer
à tabac par les fonctionnaires d’un poste de police.
L’aboutissement et le symbole de cette
police à la fois brutale et sans déontologie est le personnage du commissaire
Goémond. Cet individu apparaît par deux fois dans l’œuvre de Manchette, d’abord
dans L’Affaire N’Gustro ensuite dans Nada. Dans ce dernier roman, il torture
Treuffais le jeune professeur de philosophie du groupe « Nada » qui n’a pas
voulu participer à l’enlèvement afin de lui faire avouer où se trouve la
planque de ses amis (chap. 22). Sur ce, un autre policier arrive qui lui
demande : « Vous avez essayé de lui tordre les couilles ? ». Sans commentaire !
L’apothéose de ce sadisme et de cette
immoralité se situe lors de l’assaut où il abat impitoyablement tous les
survivants :
« Je me rends, dit Cash en toussant et
en levant les mains au-dessus de sa tête.
Goémond lui tira une balle dans la
poitrine. La fille fut précipitée en arrière par le choc. Elle tomba sur le dos
au milieu de la salle commune.
— Toi, dit Goémond au gendarme,
t’oublieras ça. Songe à ta retraite. » (chap. 32)
Le troisième travers de la police selon
Manchette est d’être raciste. Poustacrouille évoque les « romanichels » avec
horreur dans la lettre qu’il envoie à sa mère. Foran, le gendarme, ancien
collègue de Tarpon dans Morgue pleine, recrute du personnel « exclusivement
français » pour surveiller les usines. Les allusions sont nombreuses à une
police xénophobe dans toute l’œuvre, et pour son dernier roman La Position du
tireur couché, Manchette fait resurgir ce vieux travers policier. Terrier est
chargé d’assassiner Sheikh Hakim, un représentant de l’OPEP, avec l’aide de
Maubert, un homme de la DST, qui prononce le mot « bougnoul » en désignant leur
victime.
Bêtise, violence, racisme, cette triple
dégénérescence entraîne un rejet viscéral des forces de l’ordre par la plupart
des personnages de Manchette.
Certes Luce dans Laissez bronzer les cadavres !
n’est pas une personne particulièrement recommandable mais elle est quand même
représentative de l’intelligentsia et de la bourgeoisie de l’époque. Ses propos
sur la police sont particulièrement durs :
«J’adore emmerder les flics,
indiqua-t-elle. » (p. 83)
« Je n’aime pas les flics, dit Luce. Je
n’aime pas la société. Je ne m’aime pas. [...] Je ne pense pas que vous soyez
intelligent puisque vous êtes flic. Je pense que vous devriez crever. » (p.
167)
Elle n’éprouve aucune pitié quand elle
voit mourir le gendarme Roux et se contente de se resservir à boire. De même
Max Bernier, l’écrivain déchu, plaisantera devant les dépouilles à la fois des braqueurs
et des policiers en criant « Laissez bronzer les cadavres ! »
D’une manière générale, Manchette et ses
personnages n’aiment pas la police, pas seulement parce qu’elle est bête et
inefficace mais surtout parce qu’elle est corrompue. C’est là un thème nouveau
(ou peu traité jusque-là) dans le roman noir français : la collusion de la
police avec des politiciens véreux et d’extrême droite ou bien avec le grand
capital pour dissimuler des magouilles suspectes.».
Voilà. C’est tout pour le moment.
Amitiés à tous.
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