C'est incroyable, ce que peut provoquer une simple madeleine.
Cet article fait suite à celui-ci : " Vie de Marcel Proust » dans « Atteindre l’excellence » de Robert Greene, chapitre 6, septième partie."
L’étude de la mémoire de Marcel
Proust est complètement différente de celle de la mnémotechnie, elle est basée
sur la sensation et le souvenir. L’auteur ne parvient pas à se remémorer avec
précision sa vie d’enfant mais c’est en mangeant une madeleine dans une tasse
de thé (sens gustatif et olfactif), que sa mère lui propose, qu’il se souvient
tout à coup de pans entiers de son passé et plus particulièrement de sa tante
Léonie, qui a été la première personne à lui proposer ce curieux mélange de thé
et de gâteau, quand il était enfant. Ses relations avec cette tante Léonie sont
remarquablement décrites dans le Dictionnaire amoureux de Marcel Proust de Jean-Paul et Raphaël Enthoven dont je vais m’inspirer
pour cet article.
Les deux auteurs parlent ainsi de
tante Léonie :
« Pourquoi les souvenirs
d'enfance du Narrateur font-ils une telle place à tante Léonie ? Pourquoi se
passionne-t-il pour l'agonie, les discussions et les soliloques d'une personne
qu'il n'aime pas particulièrement (tante Léonie n’est pas sa grand-mère, et la
perspective de sa mort ne le touche pas autrement que comme l'ultime bizarrerie
d'un personnage qu'il se contente de respecter sans effort) ?
Sans doute, parce que cette dame
si pieuse, cette maniaque « toute confite en dévotion » avec qui il aurait juré
n'avoir aucun point commun est aussi, d'abord, et même avant Bergotte, le
premier écrivain qui croise la vie du jeune Marcel. Et il n'est pas absurde, à
cet égard, de comparer tante Léonie à Marcel Proust lui-même dont l'oblomovisme
(ou la vie de reclus recouvert de bouillottes et de pelisses) ressemble d'assez
près à l'existence monotone de la vieille bigote.
Le fait est que tante Léonie, que
tout effraie, qui ne sort pas de chez elle parce que la peur (plus que la
maladie) la rive à la « pure matière » de son lit, la seule personne de la
famille qui n'eût pu encore comprendre que lire, c'était autre chose que de passer
son temps à « s'amuser », enseigne au Narrateur les rudiments de son
art.
Car tante Léonie, tout à l'ennui
qui la comble, transforme en événements, sans y assister, les péripéties minuscules
de son voisinage. C'est elle, ainsi,
qui, des années avant Elstir, lui apprend à contempler une botte d’asperges
avec le même intérêt que le plafond de la Sixtine ; elle qui lui donne le goût
de deviner le temps qu'il fait sans quitter son lit (ni même ouvrir les yeux) ;
elle dont le monologue perpétuel face au portrait de son mari invite son
petit-neveu à rendre la vie aux fantômes par une addition de sang ; elle enfin
dont l'inertie absolue détermine l'importance extraordinaire qu'un écrivain
accorde à ses moindres sensations... Pas de doute, « madame Octave » (comme
l'appelle Françoise) connaît la musique. Comment s’étonner dès lors, que la
saveur d’une petite Madeleine (c’est-à-dire le premier temps de la mémoire
involontaire) expédie illico le Narrateur dans la chambre de la grabataire ? »
Voilà. C’est tout pour le moment.
Amitiés à tous.
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