Le premier tome d'A la recherche du temps perdu.
Cet article fait suite à
celui-ci : Pause dans le blog avec « La mémoire et Marcel Proust » (première partie).
L’étude de la mémoire de Marcel
Proust est complètement différente de celle de la mnémotechnie, elle est basée
sur la sensation et le souvenir. L’auteur ne parvient pas à se remémorer avec
précision sa vie d’enfant mais c’est en mangeant une madeleine dans une tasse
de thé (sens gustatif et olfactif), que sa mère lui propose, qu’il se souvient
tout à coup de pans entiers de son passé et plus particulièrement de sa tante
Léonie, qui a été la première personne à lui proposer ce curieux mélange de thé
et de gâteau, quand il était enfant. Voici quelques extraits de la description
de la tante Léonie dans le premier tome d’A
la recherche du temps perdu, Du côté de chez Swann par Marcel Proust.
« La cousine de mon grand-père — ma grand-tante — chez qui nous
habitions, était la mère de cette tante Léonie qui, depuis la mort de son mari,
mon oncle Octave, n'avait plus voulu quitter, d'abord Combray, puis à Combray
sa maison, puis sa chambre, puis son lit et ne «descendait » plus,
toujours couchée dans un état incertain de chagrin, de débilité physique, de
maladie, d'idée fixe et de dévotion. Son appartement particulier donnait sur la
rue Saint-Jacques qui aboutissait beaucoup plus loin au Grand-Pré (par
opposition au Petit-Pré, verdoyant au milieu de la ville, entre trois rues), et
qui, unie, grisâtre, avec les trois hautes marches de grès presque devant
chaque porte, semblait comme un défilé pratiqué par un tailleur d'images gothiques
à même la pierre où il eût sculpté une crèche ou un calvaire. Ma tante
n'habitait plus effectivement que deux chambres contiguës, restant l'après-midi
dans l’une pendant qu'on aérait l’autre. […]
Dans la chambre voisine,
j’entendais ma tante qui causait toute seule à mi-voix. Elle ne parlait jamais
qu'assez bas parce qu’elle croyait avoir dans la tête quelque chose de cassé et
de flottant qu’elle eût déplacé en parlant trop fort, mais elle ne restait
jamais longtemps, même seule, sans dire quelque chose, parce qu'elle croyait
que c'était salutaire pour sa gorge et qu'en empêchant le sang de s'y arrêter,
cela rendrait moins fréquents les étouffements et les angoisses dont elle
souffrait ; puis, dans l’inertie absolue où elle vivait, elle prêtait à ses moindre
sensations une importance extraordinaire ; elle les douait d’une motilité
qui lui rendait difficile de les garder pour elle, et à défaut de confident à
qui les communiquer, elle se les annonçait à elle-même, en un perpétuel
monologue qui était sa seule forme d'activité. Malheureusement, ayant pris l’habitude
de penser tout haut, elle ne faisait pas toujours attention à ce qu'il n'y eût
personne dans la chambre voisine, et je l'entendais souvent se dire à elle-même : « Il faut que je me rappelle bien
que je n'ai pas dormi» (car ne jamais dormir était sa grande prétention dont
notre langage à tous gardait le respect et la trace : le matin Françoise ne
venait pas « l'éveiller », mais « entrait » chez elle ; quand ma tante voulait
faire un somme dans la journée, on disait qu'elle voulait « réfléchir » ou «
reposer » ; et quand il lui arrivait de s'oublier en causant jusqu'à dire : «
ce qui m'a réveillée» ou «j'ai rêvé que », elle rougissait et se reprenait au
plus vite). »
Voilà. C’est tout pour le moment.
Amitiés à tous.
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