mercredi 28 août 2019

« L'athéisme » du Sâmkhya.



Le livre de Tara Michaël.



Ce texte est la suite de celui-ci. Il est inspiré de « Clefs pour le yoga » de Tara Michaël.

On parle parfois de « l'athéisme » du Sâmkhya, et la seule différence doctrinale qui existerait entre Sâmkhya et Yoga, serait que le premier n'envisage pas l'existence d'un Dieu suprême, tandis que le second admet que Dieu (Içvara) puisse être pris comme objet de concentration. Cette remarque ne peut s'appliquer qu'au Sâmkhya classique, et non au Sâmkhya plus ancien : pour le Mahabharata, les Purusha, existant en mode distinct tant qu'ils sont en association avec la Prakrti, retournent, quand ils sont libérés, au vingt-sixième principe ou Dieu, qui est le suprême Purusha. Mais même en ce qui concerne le Sâmkhya classique, la discussion de son prétendu athéisme est oiseuse. En effet, en tant que réflexion méthodique, le Sâmkhya cherche à se dispenser de toute notion dont l'acceptation serait article de foi ; mais il est évident que le Purusha, d'après les descriptions qu'on en fait dans les textes Sâmkhya, a tous les caractères du principe divin en l'homme. C'est une pure et parfaite présence, non divisée par la division des choses, non affectée par les conflits de la manifestation cosmique, existant à l'intérieur de tous les êtres. Le principe divin n'est pas conçu comme extérieur à l'homme, mais recherché en lui-même, ce qui est d'ailleurs en conformité avec le thème central des Upanishad : l'identification de l'essence ultime de l'homme (âtman) à l'Etre Absolu pénétrant tout l'univers (Brahman).

La conception de la pluralité des Purusha n'est pas non plus une objection valable, car cette conception ne s'applique qu'aux « soi » incarnés, et a une valeur empirique jusqu'à la Délivrance. La vie et la mort, les diverses expériences, l'esclavage et la libération, n'appartiennent pas en réalité au Purusha, mais aux agrégats psychiques et matériels avec lesquels il est identifié. Le Soi est sans attributs, sans qualités, non composé, impérissable, immuable, absolument non agissant et impassible. Tout changement, toute qualification, toute détermination appartiennent à Prakrti. Puisque tous les Purusha ont la même nature de conscience, liberté et omniprésence, une fois libérés de leur association avec la Prakrti, il n'y a pas la moindre différence entre un Purusha et un autre. Dans l'absolu et après la Délivrance, les Purusha sont exempts de toute différenciation, et il n'y a aucune raison de continuer à leur attribuer une distinction et une multiplicité. Il est seulement vrai de dire que du point de vue de l'être manifesté, non libéré, les Purusha paraissent distincts.

Mais le fondement de cette imputation d'athéisme réside probablement dans le fait qu'en Occident la notion de Dieu est inséparable de celle de Créateur. Or, pour le Sâmkhya, le Purusha n'est pas directement impliqué dans la création, bien qu'il y préside. La fonction de manifestation, préservation et dissolution, au niveau macrocosmique et microcosmique, est tout entière dévolue à la Prakrti. Le Purusha demeure absolument transcendant, même lorsqu'il est conjoint à la Prakrti et immanent au monde manifesté. Mais n'oublions pas les liens mystérieux qui unissent cette Prakrti au Purusha : mise en branle par sa seule présence, elle inaugure le mouvement cosmogonique. En toutes choses, c'est pour lui qu'elle agit. Elle déploie les mondes pour son plaisir, et les résorbe pour sa libération. Telle une servante désintéressée ou un ami oublieux de soi-même, elle trouve son propre accomplissement dans le service du Purusha.

C'est pourquoi le Sâmkhya épique regarde Purusha et Prakrti comme les deux modes d'une même réalité, dont l'un représente l'aspect stable et l'autre l'aspect modifiable. Le Sâmkhya est réaliste en ce qu'il prend pour point de départ la dualité qui est à la base de notre univers manifesté. Cependant il aboutit à un état où la Prakrti, comme principe évoluant, n'existe plus pour l'esprit libéré. La vision de l'unité était l'objet final de cette quête. La « disparition » de la Prakrti, non expliquée mais seulement illustrée par quelques métaphores suggestives comme celle de la danseuse qui se retire, ou de la jeune fille pudique, surprise par les regards, qui se cache, nous rappelle qu'un des noms de la Prakrti est Mâyâ : la magie ou puissance d'illusion.

Dès que l'illusion est reconnue, elle s'évanouit. La Nature est la grande séductrice, qui maintient tous les êtres incarnés sous son charme, sa sujétion et sa juridiction. Dès que le sujet conscient s'éveille, le jeu cosmique s'évanouit. La Prakrti disparaît, se résorbe (layati), elle est réabsorbée dans son principe, le pouvoir d'extériorité est réintégré dans l'immuable, le Principe Féminin est reconduit au Principe Masculin, la dualité est abolie et seule demeure l'unique Réalité.

Voilà .C’est tout pour le moment. Amitiés à tous !

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