Siddharta tenté par les filles de Mara
Nous voici
donc au moment où après la révélation de la souffrance du monde, le bouddha
quitte son palais. Il s’enfuit en direction de l’orient. Les sabots de son
cheval volent au-dessus du sol, les portes de la ville s’ouvrent d’elles-mêmes.
Après avoir traversé une rivière, il renvoie le serviteur qui l’a accompagné,
lui remet son cheval et ses vêtements, et il se coupe les cheveux avec son
épée. Il les jette en l’air et les dieux les recueillent comme des reliques. Un
ange qui a pris la forme d’un ascète lui remet les trois pièces du vêtement
jaune, la ceinture, le couteau, la sébile pour les aumônes, l’aiguille et le
tamis pour filtrer l’eau. Le cheval rentre au palais et meurt de chagrin.
Siddharta
passe sept jours dans la solitude. Il cherche ensuite les ascètes qui habitent
dans la forêt ; les uns sont vêtus d’herbe, les autres de feuillage. Tous
se nourrissent de fruits ; les uns mangent une fois par jour, d’autres
tous les deux jours, d’autres encore tous les trois jours. Ils rendent un culte
à l’eau, au feu, au soleil ou à la lune. Il y en a qui se tiennent sur un seul
pied ou qui dorment sur un lit d’épines. Ces hommes lui parlent de deux maîtres
qui vivent dans le Nord ; les raisonnements de ces maîtres ne le satisfont
pas.
Siddharta
gagne les montagnes, où il passe six années pénibles, dans la mortification et
le jeune. Il reste sans bouger quand tombent sur lui la pluie ou les rayons du
soleil ; les dieux croient qu’il est mort. Il comprend enfin que les
exercices de mortification sont inutiles ; il se lève, se baigne dans les
eaux de la rivière et mange un peu de riz. Son corps recouvre aussitôt son
ancienne vigueur, les signes qu’Asita avait reconnus et l’auréole qui avait
disparu. Des oiseaux volent au-dessus de sa tête pour l’honorer, le Bodhisattva
s’assied à l’ombre de l’Arbre de la Connaissance et se met à méditer. Il décide
de ne pas se lever avant d’être parvenu à l’illumination.
Mara, dieu de
l’amour, du péché et de la mort, attaque alors Siddharta. Ce duel ou combat
magique dure une partie de la nuit. Mara, avant de combattre, rêve qu’il est
vaincu, voit sa couronne perdue, les fleurs fanées et les étangs asséchés dans
son palais, les cordes de ses instruments de musique cassées, sa tête couverte
de poussière. Il rêve qu’il ne peut, au cours du combat, tirer son épée ;
il rassemble, pourtant, une nombreuse armée de démons, de tigres, de lions, de
panthères, de géants et de serpents – certains étaient grands comme des
palmiers et d’autres petits comme des enfants – il chevauche un éléphant de
cent cinquante milles de hauteur et il revêt un corps à cinq cents têtes, cinq
cents langues de feu et mille bras dont chacun brandit une arme différente. Les
troupes de Mara lancent des montagnes de feu sur Siddhârta ; celles-ci,
par l’effet de son amour, se transforment en palais fleuris. Les projectiles
forment un haut baldaquin au-dessus de sa tête.
Mara, vaincu, ordonne à ses
filles de séduire son adversaire ; celles-ci l’entourent et lui disent qu’elles
sont faites pour l’amour et pour la danse, mais Siddharta leur rappelle qu’elles
ne sont qu’illusion et inconsistance. Le doigt pointé vers elles, il les
transforme en vieilles décrépites. Pleine de confusion, l’armée de Mara se
disloque.
Seul et
immobile sous son arbre, Siddharta contemple ses multiples incarnations
antérieures et celles de toutes les créatures ; il embrasse d’un seul
regard les innombrables mondes de l’univers ; puis l’enchaînement de toutes
les causes et de tous les effets. Il a l’intuition, à l’aube, des quatre nobles
vérités. Il n’est plus le prince Siddharta, il est devenu le Bouddha.
Ainsi s’achève
la plus ancienne version de la légende de Bouddha, celle qu’on raconte au Népal
et au Tibet.
Si vous voulez
en savoir encore plus : la vie publique du Bouddha, les antécédents du
bouddhisme, la cosmologie bouddhiste, la position du bouddhisme sur la
métempsycose, sur le Nirvana, etc., le développement du bouddhisme en Grand
Véhicule, lamaisme, bouddhisme tantrique, bouddhisme zen, achetez-vous ou
empruntez dans une bibliothèque ce remarquable petit livre, à la fois plein d’esprit,
de poésie et de discernement, Qu’est-ce que le bouddhisme ? de Jorge Luis Borges et Alicia Jurado.
La suite donc
au prochain numéro comme dans les romans-feuilletons du dix-neuvième siècle ou
dans les séries télévisées américaines actuelles. Amicales salutations.
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