jeudi 3 novembre 2016

« Vie de Marcel Proust » dans « Atteindre l’excellence » de Robert Greene, chapitre 6, deuxième partie.




Robert de Montesquiou


Je n’ai jamais vu de description de l’existence de Marcel Proust aussi exacte et aussi parlante que celle de Robert Greene dans son livre Atteindre l’excellence.

Dans l’école qu’il fréquentait à Paris, Marcel Proust frappait ses camarades par sa bizarrerie. Il avait tant lu que sa tête bouillonnait de toutes sortes d’idées ; il pouvait parler dans la même conversation d’histoire, de littérature et de l’organisation sociale des hyménoptères. Il mélangeait le passé et le présent, parlait d’un auteur romain comme s’il était vivant et décrivait tel ou tel de leurs amis comme un personnage historique. Il avait de grands yeux, qu’un ami compara plus tard à ceux d’une mouche ; son regard transperçait son interlocuteur. Dans ses lettres à ses amis, il disséquait leurs émotions et leurs problèmes avec une telle précision que c’en était agaçant ; puis il tournait son attention sur lui-même, avouant sans pitié ses propres faiblesses. Malgré son goût pour la solitude, il était étonnamment sociable et faisait preuve d’un charme immense. Il pouvait flatter et s’attirer les bonnes grâces des gens. Nul ne savait comment cet excentrique allait évoluer.

En 1888, Marcel Proust rencontra une courtisane de 37 ans, Laure Hayman, qui était l’une des nombreuses maîtresses de son oncle. Il en tomba éperdument amoureux. Elle ressemblait à un personnage de roman ; ses toilettes, ses façons coquettes et son pouvoir sur les hommes fascinaient Proust. Il la séduisit grâce à son esprit et à ses bonnes manières : ils devinrent amis. La tradition française des salons était très vivante à l’époque ; on y parlait littérature et philosophie. Ces salons étaient en général tenus par des femmes et, en fonction de leur niveau social, ils attiraient des artistes majeurs, des penseurs et des personnalités politiques. Laure Hayman avait elle-même un salon de mauvaise réputation, fréquenté par des artistes bohèmes, des acteurs et des actrices. Marcel Proust s’y montra de façon assidue.

Il se passionnait pour la vie mondaine des couches supérieures de la société. C’était un monde riche en subtilités : selon les invitations que l’on recevait aux bals ou la place que l’on vous donnait à table, on savait si on était sur le chemin du succès ou du déclin. Telle façon de s’habiller, tel geste ou telle phrase donnaient lieu à toutes sortes de critiques ou de jugements. Il souhaita explorer ce domaine et en apprendre toute la complexité. L’attention qu’il avait apportée à l’étude de l’histoire et de la littérature, il l’appliqua à la haute société. Il s’introduisit dans d’autres salons et se mit à frayer avec les grands aristocrates.

Toujours décidé à devenir écrivain, Proust n’avait pas encore été capable de déterminer sur quel thème il écrirait ; et cela le tourmentait. Mais la réponse finit par lui venir : la bonne société serait la fourmilière qu’il analyserait avec l’acharnement glacé d’un entomologiste. A cet effet, il se mit à réunir les personnages de ses romans. L’un d’eux était le comte Robert de Montesquiou, poète et esthète décadent qui avait un faible pour les beaux jeunes gens. Un autre était Charles Haas, arbitre des élégances et collectionneur d’œuvres d’art, qui ne cessait de tomber amoureux de souillons. Il étudia leur personnalité, écouta attentivement leur façon de parler, imita leurs tics et en fit dans ses carnets de petits portraits littéraires. Dans son écriture, Proust était le maître de l’imitation.

Voilà. C’est tout pour le moment. La suite au prochain numéro. Amitiés à tous.

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