Robert de Montesquiou
Je n’ai jamais vu de description
de l’existence de Marcel Proust aussi exacte et aussi parlante que celle de
Robert Greene dans son livre Atteindre l’excellence.
Dans l’école qu’il fréquentait à
Paris, Marcel Proust frappait ses camarades par sa bizarrerie. Il avait tant lu
que sa tête bouillonnait de toutes sortes d’idées ; il pouvait parler dans
la même conversation d’histoire, de littérature et de l’organisation sociale
des hyménoptères. Il mélangeait le passé et le présent, parlait d’un auteur
romain comme s’il était vivant et décrivait tel ou tel de leurs amis comme un
personnage historique. Il avait de grands yeux, qu’un ami compara plus tard à
ceux d’une mouche ; son regard transperçait son interlocuteur. Dans ses
lettres à ses amis, il disséquait leurs émotions et leurs problèmes avec une
telle précision que c’en était agaçant ; puis il tournait son attention
sur lui-même, avouant sans pitié ses propres faiblesses. Malgré son goût pour
la solitude, il était étonnamment sociable et faisait preuve d’un charme
immense. Il pouvait flatter et s’attirer les bonnes grâces des gens. Nul ne
savait comment cet excentrique allait évoluer.
En 1888, Marcel Proust rencontra
une courtisane de 37 ans, Laure Hayman, qui était l’une des nombreuses
maîtresses de son oncle. Il en tomba éperdument amoureux. Elle ressemblait à un
personnage de roman ; ses toilettes, ses façons coquettes et son pouvoir
sur les hommes fascinaient Proust. Il la séduisit grâce à son esprit et à ses
bonnes manières : ils devinrent amis. La tradition française des salons
était très vivante à l’époque ; on y parlait littérature et philosophie.
Ces salons étaient en général tenus par des femmes et, en fonction de leur
niveau social, ils attiraient des artistes majeurs, des penseurs et des
personnalités politiques. Laure Hayman avait elle-même un salon de mauvaise
réputation, fréquenté par des artistes bohèmes, des acteurs et des actrices.
Marcel Proust s’y montra de façon assidue.
Il se passionnait pour la vie
mondaine des couches supérieures de la société. C’était un monde riche en
subtilités : selon les invitations que l’on recevait aux bals ou la place
que l’on vous donnait à table, on savait si on était sur le chemin du succès ou
du déclin. Telle façon de s’habiller, tel geste ou telle phrase donnaient lieu
à toutes sortes de critiques ou de jugements. Il souhaita explorer ce domaine
et en apprendre toute la complexité. L’attention qu’il avait apportée à l’étude
de l’histoire et de la littérature, il l’appliqua à la haute société. Il s’introduisit
dans d’autres salons et se mit à frayer avec les grands aristocrates.
Toujours décidé à devenir
écrivain, Proust n’avait pas encore été capable de déterminer sur quel thème il
écrirait ; et cela le tourmentait. Mais la réponse finit par lui venir :
la bonne société serait la fourmilière qu’il analyserait avec l’acharnement
glacé d’un entomologiste. A cet effet, il se mit à réunir les personnages de
ses romans. L’un d’eux était le comte Robert de Montesquiou, poète et esthète
décadent qui avait un faible pour les beaux jeunes gens. Un autre était Charles Haas, arbitre des élégances et collectionneur d’œuvres d’art, qui ne cessait de
tomber amoureux de souillons. Il étudia leur personnalité, écouta attentivement
leur façon de parler, imita leurs tics et en fit dans ses carnets de petits
portraits littéraires. Dans son écriture, Proust était le maître de l’imitation.
Voilà. C’est tout pour le moment.
La suite au prochain numéro. Amitiés à tous.
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