Un autre ouvrage sur la Gestalt-thérapie.
Je viens de lire un livre que j’ai
trouvé à la fois précis et très bien conçu sur les thèmes de base de la
Gestalt-thérapie. Il s’agit de « Le Moi, la Faim
et l’Agressivité » de Fritz Perls (il y décrit pour la
première fois les fondements de sa théorie gestaltiste).
La signification de l'insomnie
On a enfin réalisé que le phénomène
déplaisant de « l'insomnie » ne pouvait se soigner par médicaments, relaxation,
silence, rideaux sombres ou « comptage des moutons». Ces « remèdes » provoquent
une sorte d'état inconscient proche du sommeil, encore que contraire au but de
celui-ci : procurer repos et fraîcheur. On ne devrait pas parler d'insomnie
lorsqu'il s'agit de quelques nuits blanches occasionnelles, et il ne faut
absolument pas prendre ce phénomène pour un symptôme névrotique. Il vaudrait
mieux, selon moi, réserver ce -terme « d'insomnie » à une perturbation du
sommeil répartie sur un grand nombre de nuits, et le terme « d'insomnie
chronique » à cette même perturbation sur une assez longue période. Seule doit
être traitée l'insomnie véritable, et je me propose, vu l'incompétence des
prescriptions mentionnées ci-dessus, d'aborder ce pro-brème sous un angle
différent.
Lorsque des bactéries ont envahi
l'organisme, le taux des leucocytes, leurs ennemis, s’accroît. Lorsqu'on
absorbe trop d'alcool, on vomit. Croyez-vous que ces leucocytes ou ce
vomissement soient une maladie et qu'il faille les supprimer ? Bien sûr que
non; vous allez chercher à découvrir ce qu'ils signifient, et la réponse est
toute trouvée il s'agit d'une autodéfense organique Dans la plupart des cas,
l'insomnie n'est pas une maladie, mais un symptôme d'une politique sanitaire
organique. généralisée au service de l’holisme. Tous les « trucs », les
somnifères, les boules Quiès, le livre de chevet, etc. ne sont que des méthodes
de suppression, contraires aux besoins de l'organisme.
Pour beaucoup de gens, apprendre que
l'insomnie n'est pas un symptôme pathologique mais un symptôme curatif, produit
le même effet que lorsqu'on leur a enseigné que c'était la Terre et non le
Soleil qui se mouvait. Avant de prouver l'exactitude de mon affirmation
paradoxale, je voudrais dire quelques mots sur le repos. Vous conviendrez avec
moi qu'il est la visée du sommeil et que les médicaments provoquent plus une
sorte de paralysie qu'ils n'apportent ce repos. Voilà pourquoi on recherche des
médicaments sans effets secondaires de migraines et de vertiges. La recherche
du repos n'est qu'une expression de la tendance générale qu’a notre organisme à
retrouver son équilibre par l'élimination d'une influence perturbatrice ou la
conclusion d'une. situation incomplète. Combien de temps nous passionne une
grille de mots croisés ? Jusqu'au moment précis où le problème est résolu, Ce
n'est plus ensuite qu'un bout de. papier bon à jeter.
Un représentant de commerce, gaillard
insouciant, visite une petite ville. Le propriétaire de l'hôtel lui demande de
faire le moins de bruit possible à cause de l'extrême nervosité de l'occupant
de la chambre voisine, Il promet, maie rentre. le soir légèrement gris en
chantant. Il commence à se déshabiller et lance une chaussure contre le mur. Il
se souvient alors subitement de sa promesse et se met calmement au lit. Comme
il est en train de s'assoupir, une voix coléreuse s'élève de l’autre côté du
mur : « Et l'autre chaussure, quand est-ce qu'elle arrive ? »
Nous nous mettons souvent au lit avec
des situations incomplètes, inachevées, et, dans des centaines de cas, il est
plus important pour l'organisme de compléter la situation que de dormir. La
plupart du temps, nous n'avons pas conscience de ce besoin organiciste. Nous sentons
uniquement que quelque chose perturbe notre sommeil, et nous pestons devant cet
élément .perturbateur, Nous réorientons notre contrariété de la situation
incomplète sur les aboiements du chien, les bruits de la circulation, la
rigidité de l'oreiller, nous en faisons des responsables alors qu'ils ne sont
que des boucs émissaires. La circulation n'est pas plus bruyante que pendant
les nuits où nous sommes prêts à dormir.
Comme je l'ai déjà dit, les possibilités
de situations incomplètes sont innombrables. L'élément perturbateur peut être
un moustique et la situation ne s'achèvera que lorsque vous aurez tué l'insecte
et vous serez débarrassé de la peur d'être piqué. Peut-être quelqu'un vous
a-t-il blessé et votre esprit ne cesse-tell d'échafauder des fantasmes de
vengeance. Peut-être devez-vous demain affronter un examen ou une entrevue
importante et êtes-vous en train d'anticiper la situation difficile au lieu de
vous accorder du repos. Un désir sexuel non gratifié, une sensation de faim, un
sentiment de culpabilité, un désir de réconciliation, l'envie de sortir d'une
situation délicate, toutes ces situations incomplètes vont indisposer votre
sommeil.
Le proverbe dit : « Une bonne conscience
est un doux oreiller. » Souvenez-vous de l'exemple classique de l'insomnie :
Lady Macbeth, Elle cherche à se persuader que la situation du meurtre est bien
terminée « Je vous le répète, Banqua est enterré, il ne peut sortir de sa
tombe. Ce qui est fait ne peut être défait, » Mais son auto-suggestion demeure
vaine « Qu'est cela ? Ces mains ne seront-elles jamais propres ? Tous les
parfums de l'Arabie ne sauraient purifier cette petite main. »
J'ai traité autrefois un fonctionnaire à
la conscience très stricte. Cet homme devait chaque jour traiter un certain
nombre de problèmes et son ambition le faisait s'atteler à trop de dossiers à
la fois. Les problèmes irrésolus l'accompagnaient au lit, il ne se reposait
donc qu'insuffisamment et entamait épuisé la journée du lendemain, de moins en
moins capable d'affronter les taches quotidiennes, .Un cercle vicieux
s'enclenchait qui aboutissait au bout de quelques mois à une dépression
nerveuse qui l'obligeait à interrompre toute activité, Son état ne s'améliora
que lorsqu'il eut compris qu'il devait limiter les problèmes et terminer les
situations avant d'aller se coucher.
On pourrait objecter à mon approche que,
premièrement, l'insomnie est particulièrement déplaisante et que l'organisme a
besoin de repos, que nous ne pouvons nous permettre de gaspiller cette phase
nocturne précieuse; et, deuxièmement, que mes théories n'embrassent que le côté
psychologique.
Commençons par la dernière objection. Je
prétends que la cause physique de l'insomnie (maladie, souffrance) tombe dans
la même catégorie que la cause psychologique (par exemple la contrariété). Une
maladie est toujours une situation incomplète qui ne se termine que par la
guérison ou la mort. Dans les cas d'urgence cependant, lorsque l'élément
perturbateur est la souffrance associée à une maladie, on peut provisoirement
éliminer cette perturbation par un antalgique ( mais aucune drogue n'élimine
définitivement la souffrance). Quant à la première objection — le caractère
déplaisant de l'insomnie — on peut en disposer aisément par une approche
appropriée. Dès que le patient a compris sa signification, il est à même de se
reconditionner, d'orienter ses énergies dans les voies biologiques adéquates et
de transformer ce désagrément en une expérience gratifiante et constructive.
Si nous voulons guérir l'insomnie, nous
devons affronter une situation paradoxale il nous faut renoncer à vouloir
dormir. Le sommeil ne survient que lorsque le Moi se dissout; la volition est
une fonction du Moi et tant que nous répétons « je veux dormir », notre Moi
continue de fonctionner. .Il est très difficile d'admettre que, bien que nous
soyons consciemment parfaitement convaincus de vouloir dormir et que nous
soyons contrarie de ne pouvoir y parvenir, notre organisme, lui, ne veut pas
dormir, attelé qu'il est à des problèmes plus importants que le sommeil.
Lorsque s'ajoute à notre envie de dormir
la contrariété de ne pouvoir y parvenir, on voit s'instaurer une situation
totalement déséquilibrée; cette excitation empêche de plus en plus d'obtenir le
sommeil et cette contrariété sans décharge crée une situation incomplète
additionnelle. En vous tournant et en vous retournant violemment dans votre
lit, vous pourriez tout au moins décharger et exprimer l'excitation ! Mais non
! Vous vous forcez à une immobilité extrême et guettez (ce qui est une activité
consciente) les premiers signes d'endormissement, alors que, simultanément,
vous bouillez d'énervement. Résultat vous brûlez bien plus d'énergie que si
vous vous leviez et accomplissiez n'importe quelle tâche. On est souvent plus
exténué parce qu'on a désespérément tenté de dormir que parce qu'on manque de
sommeil.
Au lieu de vous emporter contre
l'élément perturbateur (que ce soit le chien qui aboie ou les pensées et images
liées à la situation incomplète), apprenez à vous y intéresser. Ne leur
résistez pas, mais octroyez-leur toute votre attention, Écoutez les bruits de
votre environnement, regardez les images que vous avez à l'esprit, et vous
percevrez bientôt les signes avant-coureurs de l'endormissement,
Vous allez voir surgir bien souvent un
souvenir oublié ou la solution d'un problème, satisfaction dont la récompense
sera un sommeil paisible.
Il existe des situations qui ne peuvent
se compléter, ni cette nuit-là, ni jamais. C'est déjà une aide considérable que
de réaliser ce fait dans le cas d'un problème insoluble. Et on peut parfois
terminer la situation en se résignant à l'inévitable, en acceptant qu'on ne
peut rien y faire.
J'ai lu l'autre jour une définition
selon laquelle l'insomnie serait un défaut de sommeil issu des contrariétés.
Cela est exact en ce qui concerne le caractère obsessionnel, mais l'insomnie
affecte tout aussi bien d'autres types, et tout particulièrement le
neurasthénique. Nous savons tous qu'une contrariété nous maintient éveillés et
que les inquiets ont rarement un sommeil paisible. Aucun mystère à cela,
puisque l'inquiet se caractérise Par son incapacité généralisée â terminer les
situations, à entrer en action.
C'est une idée fausse de croire que
fermer les yeux amène le sommeil. C'est le contraire qui est exact : le sommeil
amène la fermeture des yeux, A preuve la difficulté qu'on a à garder les -yeux
ouverts devant une lecture ennuyeuse, particulièrement quand il fait très chaud
ou qu'il est tard dans la nuit. Ceux qui se plaignent d'insomnie sont alors
bien souvent les premiers à tomber endormis.
Le rêve est un compromis entre le
sommeil et la situation incomplète. Chez celui qui mouille son lit, on trouvera
toujours le complément au besoin d'uriner sous forme du rêve de se trouver dans
des toilettes. Il ne faut donc pas prendre à n'importe quel prix la défense du
sommeil, puisqu'en cas d'énurésie la guérison est justement entravée par le
refus de l'enfant d'interrompre son sommeil. Un peu d'insomnie éviterait ici
bien des souffrances aux parents et à l'enfant !
Voilà. C’est tout pour le moment comme
dans les séries télé américaines ou les romans-feuilletons du dix-neuvième
siècle. Amitiés à tous.