Jacques Bergier.
J’ai rencontré Philippe Marlin en l’an
1999. Il avait créé déjà depuis l’année 1989 l’association l’Œil
du sphinx consacrée entre autres à l’écrivain américain de littérature
fantastique Howard Phillips Lovecraft, et moi je venais de traduire deux romans
d’un épigone allemand de cet auteur, Wolfgang Hohlbein, intitulés Le mage de Salem et L’héritage de la nuit.
J’ai donc adhéré à son association.
C’était l’époque des publications
d’amateurs (fanzines), et toute une série de titres sortirent des presses
d’origine de l’association : Dragon & Microchips (Science-Fiction,
Fantastique), Murmures d’Irem (Ésotérisme), Rôle’ and’
Rêve (Jeu de Rôle). Le succès rencontré (62 volumes publiés) amena
les fondateurs en 2000 à doubler l’association d’une véritable structure
commerciale, sous forme de SARL, Les Editions de l’Œil du Sphinx. L’entreprise
multiplie désormais les incursions dans de nombreux domaines, mystères de
l’histoire, fortéanisme et cryptozoologie, ufologie et parapsychologie tout en
continuant à rendre hommage à H.P. Lovecraft.
Conférences de Philippe Marlin aux
rencontres de Berder de 2014 à 2018 est la transcription des 8 conférences
que Philippe Marlin a données aux Rencontres de Berder organisées depuis juin
2008, au départ sur l’Ile de Berder dans le Morbihan. Les Rencontres de Berder
ont été créées après la disparition de l’écrivain ésotériste Jean-Charles
Pichon (qui était aussi dramaturge, poète, scénariste, philosophe, et
mathématicien), laissant une œuvre considérable sur l’histoire de notre
temps, à la fois métaphysique et philosophique. Elles sont organisées par
l’association des Portes de Thélème (label « Le
Collège des Temps »). .
Ces rencontres réunissent autour de
conférences, des universitaires, des musiciens, des physiciens, des poètes, des
peintres, des éditeurs, des scientifiques et des créateurs ; ils confrontent
leur vision de l’avenir de notre société, voire de notre civilisation, quels
que soient leurs appartenances ou leurs parcours.
Voici un extrait d’une des conférences
de Philippe Marlin, Planète, Bergier et le dieu du futur :
« PICHON, BERGIER & PLANÈTE
J’ai découvert Jean-Charles Pichon par
la revue Planète, et cette première session de Berder sur Seine a été pour moi le prétexte de faire un peu «d’archéologie»
dans ma collection et de me remettre en mémoire ce que j’avais découvert
exactement.
Mais revoyons ensemble le contexte.
C’est en 1960 qu’explose, dans le
paysage éditorial français, une véritable «bombe», Le Matin des Magiciens, sous les signatures conjointes de Louis
Pauwels et de Jacques Bergier. Le thème central de ce livre repose sur l’idée
qu’une quantité de connaissances scientifiques et techniques, dont certaines
proviennent de civilisations extraterrestres, ont été tenues secrètes pendant
les grandes périodes de l’histoire, et que l’homme est appelé à devenir un
surhomme. Pour les auteurs, le fantastique n’est pas «l’apparition de
l’impossible» mais «une manifestation des lois naturelles» quand elles ne sont
pas filtrées par le voile du sommeil intellectuel, par les habitudes, les
préjugés, les conformismes ». Le succès sera considérable, provoquant dans un
pays que d’aucuns considèrent comme cartésien un engouement considérable pour
l’imaginaire, l’irrationnel et l’étrange.
Ce succès inattendu sera transformé
astucieusement par les auteurs en une vaste entreprise éditoriale, au sommet de
laquelle il faut évidemment placer une revue devenue légendaire, Planète.
Reprenant et poursuivant les thèmes de l’ouvrage fondateur, cette publication
bimestrielle vivra 10 ans (1961¬1971) et fera des petites sœurs dans de
nombreux pays. Pour l’anecdote, le premier numéro, tiré à 5000 exemplaires,
sera vendu à 100000 ! Aux côtés de la revue prospérerons de nombreuses
publications comme L’Encyclopédie Planète, Présence Planète, les anthologies
(littéraires) Planète, les Chefs-d’œuvre Spirituels de l’Humanité et même une
petite revue d’érotisme, Plexus. Les animateurs multiplieront les conférences
sous le label Ateliers Planète et iront même jusqu’à créer des vacances Planète
dans certains villages du Club Méditerranée.
Je suis évidemment tombé dans cette
soupe enivrante, très sérieusement critiquée à l’époque par les différents
courants rationalistes. Et il est vrai que le message délivré avait ses
faiblesses, usant volontiers de raccourcis douteux, d’amalgames suspects et de
suppositions fantaisistes. Mais c’était pour nous, «les enfants de Planète »,
un courant d’air frais particulièrement vivifiant dans le contexte culturel
sclérosé des années soixante. Qu’en ai-je retenu?
• que
la science et la tradition n’étaient pas contradictoires et que certaines
vérités fondamentales pouvaient avoir été pressenties dans des textes très
anciens. Les avancées de la physique quantique en sont en bon exemple et nous y
reviendrons en détail dans Berder en Limousin 2016.
• la
découverte du fortéanisme, qui est devenu ma démarche intellectuelle favorite:
tout sujet, même le plus bizarre, est susceptible de faire l’objet d’une étude
critique mais ouverte, dénonçant les affabulations et les mystifications, mais
aussi sachant rester modeste face à ce que la raison et la science ne peuvent
aujourd’hui expliquer. Ce néologisme vient de Charles Fort (1874-1932), un
américain qui consacra sa vie à rechercher dans la littérature scientifique et
journalistique des bibliothèques de New York et de Londres tous les faits
anomaliques que la science de son époque rejetait ou ignorait, et ce dans tous
les domaines. Il en résulta quatre livres: The Book of the Damned (1919), New
Lands (1923), Lo! (1931) et Wild Talents (1932). C’est Jacques Bergier qui le
fit connaître en France.
• toujours
grâce à Jacques Bergier, la découverte de toute une belle brochette d’écrivains
de l’Imaginaire parmi lesquels bien sûr Lovecraft. Dès le numéro 1 de la revue,
il nous parlait déjà de ce grand génie venu d’ailleurs. Le sujet est vaste, et
je l’ai déjà traité notamment dans Berder 2014, mais il faut insister une fois
de plus sur l’apport considérable de Bergier à ce type de littérature (cf.
Admirations). Je ne peux m’empêcher de citer ici le Rêveur de Providence (in L’appel
de Cthulhu) qui raisonne particulièrement dans le cadre de nos travaux:
• ce
qui est, à mon sens, pure miséricorde en ce monde, c’est l’incapacité de
l’esprit humain à mettre en corrélation tout ce qu’il renferme. Nous vivons sur
une île de placide ignorance, au sein des noirs océans de l’infini, et nous
n’avons pas été destinés à de longs voyages. Les sciences, dont chacune tend
dans une direction particulière, ne nous ont pas fait trop de mal jusqu’à
présent; mais un jour viendra où la synthèse de ces connaissances dissociées
nous ouvrira des perspectives terrifiantes sur la réalité et la place
effroyable que nous y occupons; alors cette révélation nous rendra fous, à
moins que nous ne fuyions cette clarté funeste pour nous réfugier dans la paix
et la sécurité d’un nouvel âge de ténèbres. Mais revenons à Jean-Charles Pichon
et à mes travaux d’archéologie dans la revue Planète. Et à ma grande surprise
(la mémoire joue des tours!), il y a en fait peu de choses:
• pas
d’articles de l’auteur,
• deux
chroniques de lecture, une non signée, l’autre de la plume de Jacques Bergier,
• deux
annonces de parution, les Éditions Planète ayant édité dans la collection
«Présence Planète»
Le Dieu du Futur et Celui qui naît. Ouvrages que
j’ai bien dans ma bibliothèque, sans doute commandés suite à cette accroche qui
m’avait «alléchée» : vers la religion du troisième millénaire... Les Éditions
Planète ont en effet publié deux ouvrages de Jean-Charles Pichon, Le Dieu du Futur en 1966, et Celui qui naît en 1967, après la publication
de Nostradamus et le Secret du Temps
aux Productions de Paris en 1959, et de Saint-Néron en 1962, Le Temps du Verseau en 1962, Les
cycles du retour éternel (2 volumes, Le
Royaume et les Prophètes, Les Jours
et les Nuits du Cosmos) en 1963, L’Homme
et les Dieux en 1965, chez Robert Laffont.
La première chronique de Planète montre l’intérêt
de Bergier/Pauwels pour le travail de J.-C. Pichon: Planète no 15 (mars/avril
1964).
Chronique (non signée) des deux tomes de
Les Cycles du Retour éternel (Le Royaume et les Prophètes; Les Jours et les
Nuits du Cosmos) chez Robert Laffont (1963).
« Le Mythe de l’éternel retour.
Une tentative d’explication par
l’astrologie ».
Elle sera relayée par une seconde
chronique: Planète no 24 (septembre/octobre 1965).
Chronique de Jacques Bergier sur:
• L’Homme
et les Dieux (Robert Laffont 1965 et 1969, puis Maisonneuve 1986),
• Les
Témoins de l’Apocalypse (Robert Laffont, 1964)
« H. P. Lovecraft disait: “Le combat
contre le temps est la seule entreprise digne d’un écrivain.” C’est un combat
gigantesque contre le temps que notre ami Jean-Charles Pichon entreprend dans
son plus récent ouvrage, L’Homme et les Dieux paru chez Robert Laffont. En
prenant la flèche du temps à l’envers, en examinant l’histoire dans le sens de
: avenir-passé, il découvre des structures que les historiens rationalistes ne
pouvaient découvrir. Il y découvre une année cosmique longue de 2150, plus ou
moins 72 années et correspondant plus ou moins à l’épanouissement et à la mort
d’un dieu. Ainsi, la vie des hommes lui apparaît comme une spirale montante et
non pas comme une constante dégradation dans le sens entropique du temps.
Les dieux se succèdent: dieu de la
création, dieux jumeaux, dieu d’amour, dieu du savoir, dieu de justice. Suivant
que l’humanité se sent soutenue par les dieux ou abandonnée, la population
croit ou, au contraire, la Terre se dépeuple. À l’époque où les dieux
abandonnent les hommes, le matérialisme prospère: empire de Kalinga, Grecs,
XIXe et XXe siècles de notre ère. Par contre, dans les périodes où les dieux
sont en train de s’épanouir et de penser aux hommes, les grandes renaissances
se produisent et l’on danse de joie en même temps que l’amour, les arts et les
religions s’épanouissent.
La réponse du physicien
C’est une construction immense, basée
sur un prodigieux travail. Il sera très curieux de savoir qu’elle sera
là-dessus la réaction des spécialistes de l’histoire et des théologiens; Ce que
l’on peut dire en tout cas, c’est qu’une description du temps de l’avenir vers
le passé paraît parfaitement admissible au physicien à condition qu’il ne
s’agisse pas de microparticules. Pour les micro-particules, la réversibilité du
temps exige, pour avoir un sens physique, des conditions spéciales et l’application
de transformations mathématiques complexes. Mais pour des systèmes
macroscopiques, ce qui est certainement le cas pour une planète habitée, on
peut raisonner aussi bien en termes de potentiels avancés que de potentiels
retardés.
Des idées hardies
Sur le plan psychologique, les
conceptions de Pichon déconcertent à première vue. Il faut s’y habituer comme à
tout concept nouveau. Mais le travail d’adaptation en vaut très largement la
peine. On arrive à une vision englobant à la fois le passé et l’avenir, à un enrichissement
de nos idées. Les prêtres de toutes les religions apparaissent désormais comme
gardiens de la science du temps. La notion de transcendance prend un aspect
tout à fait nouveau.
Certes, les notions nouvelles introduites par Pichon sont
complexes et délicates à manier. Sa journée cosmique varie en durée suivant la
période des grands cycles où elle est insérée. De même le jour et la nuit
varient en durée relative suivant les saisons. Évidemment les idées de Pichon
sont discutables et il ne prétend d’ailleurs pas apporter ou révéler une vérité
immuable, éternelle, mais sa tentative est courageuse et mérite d’être suivie.
Il est bon d’ailleurs de lire en même temps ou plutôt après avoir lu son livre,
un livre d’anticipation qu’il a récemment publié chez le même éditeur et qui
s’appelle Les témoins de l’Apocalypse. Il y décrit le déclin de notre
civilisation matérialiste actuelle, la venue des faux prophètes et les signes
avant-coureurs de l’apparition du dieu nouveau.
Ces témoins de l’Apocalypse sont quatre.
Ils vivent dans notre avenir à des intervalles d’un siècle à peu près. Le
manuscrit nous est renvoyé parce que les hommes de ces derniers jours ont
appris à envoyer des objets à travers le temps, en partant d’ailleurs des idées
de Jean-Charon.
L’Apocalypse de Pichon s’ouvre d’abord
par le mal atomique: le point de saturation des retombées radioactives étant
atteint, les hommes meurent en grand nombre. Bien entendu, ils ne veulent pas
en accepter la responsabilité et ils rejettent la culpabilité sur des
extraterrestres imaginaires et hostiles. Le prophète qui a annoncé la
catastrophe est accusé d’avoir été en rapport avec les extraterrestres et
exécuté.
Puis l’Apocalypse prend d’autres formes,
jusqu’à ce que l’humanité change. La vision de Pichon est beaucoup plus sombre
que celle de la plupart des auteurs de science-fiction comme Efremov ou Asimov.
Nous sommes loin des empires galactiques et des explorations spatiales.
L’humanité doit expier elle-même, et résoudre ses problèmes elle-même, on est
toujours seul. C’est une vision sur laquelle personnellement je ne suis pas
d’accord du tout et je préfère l’avenir d’Efremov ou celle d’Asimov.
Mais la vision de Pichon ne manque pas
de grandeur ni de cohérence. C’est un des avenirs possibles, l’avenir
d’ailleurs vers lequel nous allons de manière inéluctable si les explosions
atomiques en plein air continuent. L’ensemble des deux livres, L’homme et les
dieux et Les témoins de l’Apocalypse donne en tout cas une matière à
méditation.» Jacques Bergier.
Puis, Bergier et Pauwels sautent le pas
et annoncent la publication aux Éditions Planète de Le Dieu du Futur et Celui qui
naît (no 30, septembre/octobre 1966 et no 32, janvier/février 1967).
Ces deux ouvrages scellent la rencontre
de Pichon et de Bergier. Ils décrivent très précisément la mécanique élaborée
par Jean-Charles et offrent une clé ésotérique de sa théorie.
Ils complètent L’Homme et les Dieux et prophétisent la forme du dieu à venir, la
religion et la civilisation qui en naîtra, après celle des Poissons, en
appliquant tout simplement les méthodes dictées par les cycles. Pauwels et
Bergier ne pouvaient qu’être intéressés par le travail qu’accomplissait
Jean-Charles Pichon. Après avoir publié Le
Matin des Magiciens en 1960, ils entreprenaient un ensemble de publications
dont seul le premier tome L’Homme éternel
a vu le jour (Gallimard, 1970). Ce premier volume reprendra (sans citer
l’auteur) une page de L’Homme et les
Dieux. La revue Planète disparut juste après cette publication.
Force est de constater que l’approche de
Pauwels et de Bergier recoupait celle de Jean-Charles Pichon (d’où les
emprunts), dans la mesure où ils poussaient chacun leurs recherches du côté de
l’histoire des civilisations, des lointaines civilisations passées, et des
futures évolutions de l’homme pour tenter de mettre en évidence un lien dans
cet étonnant mouvement du temps et des rythmes qui le structure.
« Si l’inconscient pouvait être
personnifié... Ce serait un rêveur de rêves séculaires et, grâce à son expérience
démesurée, un oracle aux pronostics incomparables. » C. G. Jung;
Jean-Charles Pichon a suspendu une
brillante carrière romanesque pour se lancer à la découverte du plus difficile
et du plus riche de ces domaines inconnus: l’héritage commun de traditions, de
mythes, de secrets initiatiques, de clés accumulé par toutes les civilisations
depuis des millénaires, cet inconscient collectif dont Jung disait qu’il
connaît « le rythme du devenir, de l’accomplissement et de la décadence.»
Dix ans de travail acharné, une culture
écrasante, une rare conjonction de rigueur et de talent qui rend passionnante
cette aventure de l’esprit se concentrent dans ce grand livre. Grâce à une
méthode nouvelle d’analyse, il dégage une structure du passé qui intègre
l’histoire universelle. Surtout, il introduit à une possibilité radicalement
originale de «pronostic» sur l’ère où l’humanité vient d’entrer. »
Voilà. C’est tout pour le moment.
Amitiés à tous.