Le livre en question.
C’est un livre que j’ai trouvé passionnant
et instructif : Conférences de Philippe Marlin aux rencontres de Berder de 2014 à 2018 aux éditions de l’Œil du Sphinx.
J’ai rencontré Philippe Marlin en l’an
1999. Il avait créé déjà depuis l’année 1989 l’association l’Œil du sphinx consacrée
entre autres à l’écrivain américain de littérature fantastique Howard Phillips
Lovecraft, et moi je venais de traduire deux romans d’un épigone allemand de
cet auteur, Wolfgang Hohlbein, intitulés Le mage de Salem et L’héritage
de la nuit. J’ai donc adhéré à son association.
C’était l’époque des publications
d’amateurs (fanzines), et toute une série de titres sortirent des presses
d’origine de l’association : Dragon & Microchips (Science-Fiction,
Fantastique), Murmures d’Irem (Ésotérisme), Rôle’ and’
Rêve (Jeu de Rôle). Le succès rencontré (62 volumes publiés) amena
les fondateurs en 2000 à doubler l’association d’une véritable structure
commerciale, sous forme de SARL, Les Editions de l’Œil du Sphinx. L’entreprise
multiplie désormais les incursions dans de nombreux domaines, mystères de
l’histoire, fortéanisme et cryptozoologie, ufologie et parapsychologie tout en
continuant à rendre hommage à H.P. Lovecraft.
Conférences de Philippe Marlin aux
rencontres de Berder de 2014 à 2018 est la transcription des 8 conférences
que Philippe Marlin a données aux Rencontres de Berder organisées depuis juin
2008, au départ sur l’Ile de Berder dans le Morbihan. Les Rencontres de Berder
ont été créées après la disparition de l’écrivain ésotériste Jean-Charles
Pichon (qui était aussi dramaturge, poète, scénariste, philosophe, et mathématicien), laissant une œuvre considérable sur
l’histoire de notre temps, à la fois métaphysique et philosophique. Elles sont organisées par l’association
des Portes de Thélème (label « Le Collège des Temps »). .
Ces rencontres réunissent autour de
conférences, des universitaires, des musiciens, des physiciens, des poètes, des
peintres, des éditeurs, des scientifiques et des créateurs ; ils confrontent
leur vision de l’avenir de notre société, voire de notre civilisation, quels que
soient leurs appartenances ou leurs parcours.
Voici un extrait d’une des conférences
de Philippe Marlin, Régression en littérature :
« La régression est une forme de
voyage dans le passé intime de l’individu. Cette régression peut être
génétique, c’est-à-dire basée sur ses propres gènes dont on va essayer de
remonter la chaîne jusqu’à l’origine. Elle peut être archétypale, c’est-à-dire plonger
dans l’inconscient collectif de toute l’humanité, tel que suggéré notamment par
Jung. À noter que ces deux approches ne sont pas exclusives l’une de l’autre et
peuvent se compléter.
La régression touche donc à des sujets
comme les vies antérieures, les archives akhashiques et le rêve, ce dernier
étant l’un des véhicules favoris du «voyageur». La régression enfin peut être
spontanée ou faire appel à des supports.
C’est ce que nous allons étudier au
travers de la littérature, analyse qui fera souvent référence à Lovecraft et à
ses amis dont c’était un thème privilégié. Remonter le temps jusqu’au mystère
des origines est en effet une obsession du Prince Noir de Providence, comme en
témoigne cet extrait de son Carnet de 1933 (Le Tiers Livre, 2016) : Un homme
tente de capturer son passé, aidé par des drogues et des musiques agissant sur
la mémoire. Étend ce processus à la mémoire héréditaire, et même aux temps
préhumains. Cette mémoire ancestrale lui vient par les rêves. Tente une
extraordinaire reconquête de ce passé primordial... Les Grand Anciens sont au
bout du chemin !
Il faut en effet ici souligner que la
régression lovecraftienne n’est pas darwinienne, ne cherchant pas à nous
gratifier d’un homme singe pervers. L’hérédité lovecraftienne est porteuse de
tares répugnantes qui nous renvoient aux origines mêmes de l’humanité: non pas
les savanes où s’égayent des d’hominidés hirsutes, mais la soupe primordiale
glauque où croupissent les gigantesques et abjectes entités extraterrestres
dont nous sommes issus.
RÉGRESSION ET PRODUITS PSYCHOTROPES
Le recours à la drogue comme moyen
«d’élargissement des capacités de la conscience» sera popularisé dans les
années soixante par des auteurs comme Aldous Huxley et Timothy Leary. C’est
l’époque du LSD et des champignons mexicains.
Un bon exemple de « l’ambiance » de
l’époque nous est donné dans le no 7, novembre décembre 1962, de Planète. Avec Je suis allé au paradis, Robert Graves
(1895-1985) rend compte d’une expérience menée par absorption d’un champignon
mexicain, le psilocybe. Une expérience assez exceptionnelle «d’ouverture de
conscience» l’amenant à une vision de ce que pourrait être « le Paradis ».
Graves est longuement cité par Wilson dans le chapitre « la face cachée de la
lune» de L’Occulte. Il relate ses
entretiens avec l’écrivain qui estimait que la nature de la poésie est liée non
seulement aux facultés du subconscient mais aussi aux cultes magiques
traditionnels.
Mais la littérature s’était emparée des
produits psychotropes bien avant les sixties.
En Rampant dans le Chaos (1920, une révision effectuée par
Lovecraft pour Elizabeth Berkeley – pseudo de Winifried Virginia Jackson –, in
The United Amateur, 1920).
Un texte qui, d’après S.T. Joshi, a été
profondément remanié par Lovecraft qui le cosigne du pseudo Lewis Theobald JR.
Et heureusement, car le style inimitable de notre auteur sauve ce texte de la
platitude. L’histoire est mince, celle des rêveries d’un fumeur d’opium qui va
découvrir un mystérieux cottage au bord d’une falaise rongée par la mer (mais
il n’est pas dit que nous sommes à Kingsport !) puis sera entraîné par des
«anges» qui lui feront découvrir de merveilleux paysages avant de replonger
dans notre monde sinistre... (in recueil L’Horreur
dans le Musée).
Les Chiens de Tindalos de Frank Belknap Long (The Hounds of Tindalos, 1929).
J’ai toujours eu beaucoup de tendresse
pour cette nouvelle du «cercle lovecraftien » dans laquelle FBL montre qu’il a
bien intégré le process de l’horreur cosmique du Maître. Chalmers est un érudit
en sciences occultes qui jongle en permanence entre les travaux du Dr John Dee
et ceux d’Einstein. Et qui s’est mis entête de remonter le temps grâce à une
redoutable drogue asiatique. Ce qu’il va faire sous la surveillance de son ami
qui n’arrive pas à l’en empêcher. Et de plonger dans un maelstrom où il revoit
toute l’histoire humaine. Et au-delà de l’homme, il pénètre dans des géométries
improbables et inquiétantes où sont terrés les chiens de Tindalos. Ce sont des
créatures de l’origine des temps, cherchant à traquer le mal originel. La suite
est un peu téléphonée et ces sympathiques bestioles viendront faire la fête à
l’importun Chalmers.
L’Ancêtre (un texte de Derleth d’après des notes de Lovecraft, The Ancestor in The Survivor
and Others, Arkham House 1957).
Le narrateur (non nommé) rejoint son
cousin, le Dr Ambrose Perry, dans une demeure isolée du Vermont où il s’est
installé et a fait construire un vaste laboratoire. À l’aide de drogues et de
musique, il se livre à des expériences de régression, remontant dans le passé à
la recherche de sa mémoire ancestrale. Ambrose Perry le charge de mettre en
ordre et de retranscrire ses notes d’expérience. Il s’enferme dans son
laboratoire, ne prend plus ses repas et l’on entend dans la maison des bruits
inquiétants alors que le chien hurle à mort. Le cousin entendra une nuit le
bruit d’une créature pestilentielle s’éloigner vers la forêt. Il lancera le
chien à ses trousses et retrouvera, déchiqueté par ce dernier, une abominable
forme vaguement humaine : Ambrose Perry, bien sûr, qui était remonté trop loin
dans le temps.
Deux contributions majeures sur la période post-sixties
Au-Delà du Réel de Paddy Chayefsky (Altered States, 1978; J’ai lu, 1979) nous plonge au
cœur de la régression génétique.
Ce roman, qui sera brillamment porté à
l’écran par Ken Russel en 1980, met en scène un chercheur en physiologie de
l’Université de Cornell, Edward Jessup, qui travaille sur la schizophrénie et
les états modifiés de la conscience. Il utilise pour ce faire un caisson
d’isolation sensorielle avec immersion du cobaye dans un bain de saumure.
L’auteur s’est manifestement inspiré des
travaux de John Cunningham Lily, médecin américain (1915-2001), qui avait
travaillé sur le sujet et déclenché toute une vague d’engouement pour cette
nouvelle technique de relaxation. Il est vrai que, combinée à l’absorption de
psychotropes, elle permettrait selon certains de... rencontrer Dieu. Une petite
parenthèse personnelle pour indiquer que ce type de recherche est aujourd’hui
poursuivie par notre ami suisse Hugo Soder..
Edward fréquente une jeune femme, Emily,
qu’il épousera. Celle-ci est anthropologue et effectue des recherches sur le
langage des singes les plus évolués.
Edward ramènera d’un voyage au Mexique
des produits hallucinogènes qu’il utilisera lors de ses nouvelles immersions
dans le caisson d’isolation. Il régressera jusqu’au stade de l’homme primitif,
et c’est un petit singe qui sortira du caisson, semant la terreur dans les
couloirs de l’université et dans le Jardin zoologique où il ira se repaître de
tendres antilopes. Revenu à l’état «normal» une fois les effets du produit
dissipés, il pourra constater que les enregistrements de son langage
ressemblent fortement à ceux réalisés par son épouse dans le cadre de ses
propres travaux.
Une nouvelle expérience amènera Jessup au-delà de sa propre
identité, découvrant que l’origine de l’univers entier, de la matière avant
même la vie, est inscrite dans notre ADN. Nos propres gènes s’inscrivent dans
la mémoire de l’univers, du «big bang». Tout est en chacun de nous. Une
approche qui rejoint du reste les avancées les plus récentes de la philosophie
quantique, comme on peut le constater en lisant le dernier ouvrage de Serge
Carfantan, Connaissance de la Totalité
(Almora, 2017).
Et c’est entièrement métamorphosé qu’il
ressurgira de cette expérience de nature quasi-religieuse. Car s’il a vu la
vérité en face, celle-ci est hideuse. La
vérité finale de toute chose est qu’il n’y a pas de vérité finale.
On notera que ce roman est fort bien
documenté sur le plan scientifique et qu’il nous offre des moments très
rafraîchissants sur le thème «savants fous», comme cette rencontre avec une
bande de jeunes physiciens quantiques pour essayer de comprendre le mystère des
transformations physiques du chercheur.
La Pierre Philosophale (Colin Wilson, 1969, Néo 1982) est un livre
important, car s’il s’agit bien d’un roman, il se présente sur les 2/3 du texte
comme un traité, aux frontières de la science, de la philosophie et de
l’ésotérisme. Le personnage principal, Howard Lester, nous entraîne dans une
réflexion étourdissante sur les deux sujets qui le préoccupent depuis son plus
jeune âge: comment élargir ses niveaux de conscience? Est-il possible de
ralentir le processus du vieillissement par une activité cérébrale soutenue?
Avec un de ses compères, le savant Henry Littleway, il arrive à la conclusion
que la réponse à ces questions se trouve dans le cortex préfrontal et que, moyennant
une très légère intervention chirurgicale, il est possible «d’ouvrir les
portes».
Opération qu’ils ne manqueront pas d’effectuer sur eux-mêmes, nous
entraînant dans une aventure puisant profondément ses racines dans la
mythologie lovecraftienne. Il leur est en effet possible de voir dans le passé
et de remonter aux origines de l’humanité. On touche ici au thème de la «régression
génétique ». Leurs visions, confortées par la lecture d’un codex maya, Le Codex Vaticanus et d’extraits du Necronomicon repris par le manuscrit Voynich, nous font revivre la
création de l’homme par les Grands Anciens, la grandeur et la décadence de Mû
dont le grand prêtre était K’thlo (certainement le Cthulhu de Lovecraft nous
précise l’auteur).
Les Grands Anciens disposaient d’un immense pouvoir. En observant les
hommes, ils comprirent la puissance de l’imagination humaine, lorsqu’elle est
nourrie d’idéal et d’optimisme. Et ils comprirent qu’il leur fallait prendre le
risque de développer, aussi, la délicatesse et la précision, d’arriver à
concentrer leur incroyable puissance. Ils passèrent alors par une phase
d’acquisition d’un nouvel état de conscience, individualisé, au cours de
laquelle ils laissèrent faire leurs instincts. Au début, ce fut un succès,
jusqu’au jour où les instincts refoulés explosèrent, détruisant les
civilisations de Mû et ses serviteurs humains. Seuls quelques-uns survécurent.
Voilà la première partie de ce compte
rendu. C’est tout pour le moment. Amitiés à tous.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire