Après avoir constaté la très
forte incursion actuelle du bouddhisme en Occident dans un premier article, il
faut essayer maintenant d’en comprendre la genèse.
Frédéric Lenoir a en 1992 entamé
une enquête sociologique sur le sujet qui lui a permis d’effectuer sa thèse de
doctorat (l’enquête est parue sous le titre Le bouddhisme en France). A noter que ses données portent essentiellement sur
le bouddhisme tibétain et le bouddhisme zen. Au contact d’adeptes, il a
constaté que, très souvent, beaucoup d’eux faisaient allusion à un livre qui les
avait convertis, Le Troisième Œil de
Lobsang Rampa. Publié en 1956 en Grande Bretagne et en 1957 en France, cet
ouvrage se présentait comme l’autobiographie d’un moine tibétain et suscita un
enthousiasme extraordinaire en Occident. Cependant, il s’agit d’une incroyable
falsification, un faux banal, où les lamas tibétains sont doués de pouvoirs
psychiques exceptionnels, capables de quitter leur corps par la pensée, de lire
l’aura, etc. Des
enquêtes conduites en 1958 ont montré que Lobsang Rampa, de son vrai nom Cyril Henry Hoskin, était un installateur d'équipements chirurgicaux au
chômage et qu'il n'était jamais allé au Tibet ni ne parlait le tibétain !
On peut montrer que cette idée de
lamas aux pouvoirs magiques provient initialement d’un groupe
pseudo-ésotériste, la Société Théosophique, fondée en 1875 par le colonel
Olcott et Helena Blavatsky. Justifiant toute leur doctrine par des
enseignements occultes transmis par l’intermédiaire d’énigmatiques
« maîtres tibétains », les théosophes fondèrent le mythe moderne d’un
Tibet magique (allez voir pour votre édification les nombreux tomes de La doctrine secrète d'Helena Blavatsky).
Les autres développements en
Europe du bouddhisme dans la philosophie de Schopenhauer ou dans celle de
Nietzche au dix-neuvième siècle, ou dans des romans du vingtième siècle comme Siddhartha de Hermann Hesse, la percée récente
du Zen et du bouddhisme tibétain, tout cela est évoqué de façon passionnante
par Frédéric Lenoir. Donc, un conseil, achetez ou empruntez La rencontre du bouddhisme et de l’Occident
et Le Bouddhisme en France. Ce sont
des lectures capitales.
Cependant, s’il est très
intéressant de suivre d’une manière historique comment la représentation du
bouddhisme en Occident a évolué, cela n’est pas suffisant. Frédéric Lenoir
énumère les différentes expressions utilisées pour le désigner (toutes fausses
ou approximatives) : « Christianisme dégénéré, nihilisme désespérant,
catholicisme d’Orient, rationalisme, mystique athée, religion superstitieuse,
philosophie, sagesse ésotérique, humanisme moderne, sagesse laïque, etc. »
Ces définitions sont absurdes et
font référence à la perception que nous avons du bouddhisme et non à un
bouddhisme authentique. La question brûlante est alors de savoir comment
trouver ce bouddhisme authentique, ce qui devient alors extrêmement
problématique.
La vie et les enseignements essentiels du Bouddha sont en effet
connus par des traditions tardives (les textes les plus anciens en notre
possession ont été rédigés plusieurs siècles après la mort de Siddharta
Gautama) et sont interprétés de manière fort différente selon les aires
culturelles dans lesquelles le bouddhisme s’est répandu au fil des temps.
La discussion sur un bouddhisme « authentique »
est encore rendue plus difficile par la nature même de cette religion : le
bouddhisme, premièrement, ne prétend pas s’appuyer sur une révélation divine et
deuxièmement ne possède aucune institution gardienne de l’orthodoxie du dogme.
Il faut donc faire confiance à certaines croyances fondamentales comme les
quatre nobles vérités et le noble sentier octuple, puis à son expérience et à sa
raison individuelle comme validation de ces croyances. Autrement dit, chaque
disciple du Bouddha est théoriquement libre de se réapproprier et de formuler à
sa manière ses enseignements. Il y a sur ce sujet un sutta (sermon du Bouddha)
le Kalama Sutta dont j’ai déjà parlé dans ce blog et que, à mon avis, il faut absolument avoir
lu pour comprendre la profondeur de la pensée du Bouddha. Personnellement, je recommande aussi le site canonpali.org sur les textes du bouddhisme du petit véhicule originellement écrits en langue pali qui est d'une richesse exceptionnelle.
Comme je vous l’avais expliqué précédemment, j’ai d’abord lu le plus possible sur le sujet, pendant des
dizaines d’années, puis j’ai choisi de suivre les cours du Centre Bouddhiste Triratna de Paris qui
m’ont passionné. A présent, je vais le plus souvent possible aux soirées de la
Sangha le mercredi. Le centre bouddhiste Triratna de Paris fait partie d’une
communauté internationale, la communauté bouddhiste Triratna fondée par un
moine anglais, Sangharakshita (Dennis Lingwood). Une étude très documentée dont je vais vous parler dans un
prochain article a été écrite sur celle-ci par Bernard Stevens, un philosophe
et traducteur belge.
Voilà, c’est tout pour aujourd’hui.
La suite au prochain numéro comme dans les romans-feuilletons. Amicales
salutations