Un autre champion du monde de mémoire, Ben Pridmore.
Pour faire suite à mes trois
articles sur la mnémotechnie sur le site Virtual Magie et à mon étude Introduction au
mentalisme, à l'hypnose et à la mnémotechnie, je réalise un compte
rendu détaillé du livre qui est pour moi le meilleur des ouvrages actuels sur le sujet, Comment développer une mémoire
extraordinaire de Dominic O’Brien, huit fois champion du monde de mémoire
et qui était un élève à la fois lent et inattentif.
Dans le chapitre « Comment tout a
commencé pour moi », Dominic O’Brien évoque ses débuts, sa première
mémorisation d’un jeu de cartes complet, après avoir vu à la télévision le
mnémotechnicien Creighton Carvello réaliser cet exploit. Cela s’est passé lorsqu’il
a commencé à reconnaître des gens et des objets dans les cartes ! Voici ce
qu’il écrit :
« Nous avons tendance à
considérer la mémoire comme une fonction acquise du cerveau. Les personnes
distraites (celles qui ont l’habitude d’oublier les noms ou les anniversaires
des membres de leur famille et de leurs amis, celles qui doivent retourner au
magasin parce qu’elles y ont laissé quelque chose) disent souvent qu’elles
aimeraient avoir une meilleure mémoire. Il est cependant peu probable que ces
paroles impliquent une vraie volonté de changement. Peu de gens prennent le
temps d’être reconnaissants envers l’outil précieux et extraordinaire qu’est la
mémoire.
Procédons à un petit exercice :
imaginez quelle serait votre vie sans mémoire. Vous n’auriez pas d’images
mentales de vos amis, de votre famille et des endroits qui vous sont familiers.
En fait, vous perdriez votre identité. Votre sentiment d’appartenance (à
l’égard des gens et des endroits) s’estomperait. Les leçons que vous avez
tirées de vos erreurs et de vos accomplissements disparaîtraient également.
Cela aurait des conséquences tragiques sur l’image que vous avez de vous-même.
Inversement, une mémoire
puissante est non seulement un instrument utile (elle aide à faire face aux
activités de la vie quotidienne comme téléphoner à un parent, trouver un
trousseau de clés ou faire cuire une pizza), mais elle est également une source
incroyable de richesse intérieure. D’après mon expérience, la mémoire elle-même
est beaucoup plus importante que ce qu’on y stocke : c’est une source de
confiance et de réconfort, une force inhérente à la connaissance de soi.
Nous y reviendrons mais, tout
d’abord, j’aimerais vous ramener au début de mon parcours, qui a commencé en
1987, alors que j’étais âgé de 30 ans. Cette année-là, j’ai vu le maître
Creighton Carvello mémoriser une séquence aléatoire de 52 cartes à la télévision
et j’ai voulu savoir comment il avait fait pour accomplir un exploit aussi
impressionnant, apparemment surhumain. Était-il un génie ? Utilisait-il une
stratégie ? Était-il un être surnaturel ou tout simplement brillant ?
Armé d’un jeu de cartes, j’ai
tenté de reproduire sa prouesse. Cependant, comme la plupart des gens, je ne me
rappelais que des cinq ou six premières cartes, puis j’étais dépassé. Je me demandais
comment Creighton Carvello avait accompli cet apparent miracle de l’esprit. Ce
mystère me fascinait ; telle était ma nature. Je souhaitais faire la lumière
sur ce phénomène. En effet, je croyais que, si le maître était capable
d’accomplir une telle chose, je l’étais aussi.
Mon point de départ a été un jeu
auquel je jouais lorsque j’étais enfant, au cours des longs trajets en voiture.
Vous aussi, vous avez probablement joué à ce jeu que j’appelais : « Je pars en
voyage et j’emporte... » À tour de rôle, les participants ajoutent un nouvel
objet à ceux de la liste. Pour ce faire, ils doivent d’abord passer en revue
les articles précédents : « Je pars en voyage et j’emporte un livre », puis «
Je pars en voyage et j’emporte un livre et un parapluie », et ainsi de suite.
Dès qu’un joueur oublie un objet, il est disqualifié. Quand il ne reste plus
qu’un participant en lice, il gagne la partie. J’étais assez bon à ce jeu mais,
comme la majorité des gens, je ne faisais que répéter les mots dans ma tête en
espérant qu’ils s’y ancreraient. Parfois, je les imaginais l’un à côté de
l’autre, et cela m’aidait. Toutefois, dans l’ensemble, je n’utilisais pas de
stratégie particulière pour me faciliter la tâche ou pour améliorer mes
capacités.
J’ai réfléchi à ce jeu en pensant
à l’exploit accompli par Creighton Carvello. Il m’a vite semblé évident qu’il
n’utilisait pas la répétition pour mémoriser la suite de cartes ; en effet, il
tournait une seule fois chacune des cartes, puis il passait à la suivante.
Jamais il ne les regardait de nouveau. Par conséquent, il ne révisait pas la
suite pour bien la retenir. Dans ce cas, comment procédait-il ? Et moi, comment
serais-je en mesure de mémoriser 52 cartes d’un coup ?
Je me suis demandé s’il m’était
possible de conditionner mon corps à bouger d’une certaine façon selon le type
de carte retournée. Par exemple, si la première carte était un 3 de trèfle, je
pourrais tourner la tête d’environ trois degrés ; si la deuxième carte était un
roi de carreau, je pourrais bouger la langue vers la joue droite, et ainsi de
suite. Il n’y avait pas de lien immédiat entre les cartes et les mouvements.
Cependant, je me disais que, si je maîtrisais mon code et si je l’utilisais
dans mes tentatives de mémorisation, la séquence s’ancrerait plus facilement
que le nom des cartes. Assez rapidement, j’ai compris que cette méthode n’était
pas pratique. J’ai alors utilisé une formule mathématique comme solution de
rechange. Par exemple, si les deux premières cartes étaient un 4 et un 8, je
pourrais multiplier les chiffres pour obtenir 32. Cependant, comment m’y
prendrais-je pour retenir ce nombre ? Et comment intégrerais-je la séquence ?
Aucune de mes méthodes ne semblait fonctionner.
Je me suis vite rendu compte que
ces techniques n’étaient que des diversions. Je suis allé à la bibliothèque
pour voir si la solution se trouvait dans un livre mais, à cette époque, il n’y
avait pas d’ouvrage sur le développement de la mémoire. Je ne pouvais pas non
plus consulter Internet, parce qu’il n’existait pas tel qu’on le connaît
aujourd’hui. J’ai dû me rendre à l’évidence : la seule façon de trouver une
réponse à mon problème était de procéder par essais et erreurs.
À ce moment-là, j’ai compris que
la logique et le pouvoir de déduction devaient jouer un rôle dans ma démarche
(je ne savais pas encore tout à fait lequel), mais que la clé de la réussite résidait
dans mon imagination et ma créativité. J’avais entendu dire que l’invention
d’une histoire était une bonne façon de retenir des renseignements. J’ai jonglé
avec cette idée. Les minutes sont devenues des heures, et les heures, des
jours. J’ai commencé à « reconnaître » des gens et des objets dans les cartes
et j’ai ainsi été capable de mémoriser une douzaine de celles-ci sans commettre
d’erreur. J’ai mis à profit ce code prometteur pour créer une histoire avec
chaque séquence. Pour moi, il s’agissait d’un progrès modeste mais
significatif, et cela m’a donné la stimulation nécessaire pour continuer
jusqu’à être capable d’accomplir l’exploit de Creighton Carvello.
Dès le début de l’utilisation de
cette technique, j’ai réussi à relever le défi. En combinant les méthodes de «
scénarisation » et d’utilisation de lieux (dont il sera question dans un prochain
article), j’ai pu me souvenir sans commettre d’erreur d’une séquence de 52
cartes. Encore aujourd’hui, lorsque j’évoque ce moment, j’éprouve exactement le
même sentiment de réussite. Ce n’était pas seulement un accomplissement ;
c’était un exploit incroyablement stimulant pour moi. Je n’avais jamais
ressenti cela auparavant. J’étais comme ivre. Je n’allais sûrement pas
m’arrêter là !
En peu de temps, grâce à ma
curiosité, à mon obstination et à ma détermination, je suis parvenu à utiliser
cette stratégie pour mémoriser non pas un, mais plusieurs jeux de cartes d’un
seul coup d’œil. J’étais en train de décupler ma capacité de restitution, entre
autres choses. D’après moi, ces balbutiements ont mis en branle une suite
d’événements qui allaient engendrer une restructuration complète des multiples
fonctions de mon cerveau, en commençant par ma créativité.
La libération de mon imagination
Lorsque j’ai commencé à chercher
la clé pour répéter l’exploit de Creighton Carvello et que j’ai véritablement
exploré ce que mon cerveau avait d’étrange et de merveilleux à offrir, j’ai
constaté que ma créativité augmentait. Plus je travaillais ma mémoire, plus les
idées et les associations fusaient. Au cœur de mon système se trouve le
processus de transformation des cartes à jouer en images mentales. Au début,
c’était lent et laborieux mais, après un certain temps, un flot régulier de
pensées colorées et d’images a commencé à me venir à l’esprit automatiquement.
Rapidement, j’ai appliqué ces
méthodes à la mémorisation d’énormes séquences de chiffres, de longues listes
de mots, de centaines de nombres binaires, de faits, d’associations de noms et
de visages, de numéros de téléphone, de poésies, et plus encore. Le fait de
devenir un maître de la mémoire a donné, je crois, libre cours à ma créativité,
qui avait été inhibée par des années d’obligation à rester tranquille et
d’écouter en classe. Tout à coup, mon esprit était libre ! »
Voilà. C’est tout pour le moment.
Amitiés à tous.
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