Vincent Godbout.
Q :
Pensez-vous que l'astrologie a la capacité de fournir des réponses ou des
"faits" très spécifiques ?
R
: Oui. Si vous êtes prêt à accepter l'erreur et si vous êtes prêt à
évaluer vos niveaux d'erreur. Mais c'est comme pour toutes les sciences
sociales, comme la psychologie ; ce n'est pas une science dure comme la
physique ou la chimie. Mais le problème est que cette dimension de validation
de l'astrologie n'est pas bien développée. Pour dire les choses simplement,
c'est comme une équation. D'un côté, vous avez le cosmos, les planètes, et leur
mécanique pour laquelle nous avons des modèles mathématiques très précis et
raffinés. Et de l'autre côté, vous avez les "phénomènes humains" que
vous essayez de décrire avec cette "horloge céleste" mais la
description de ces "phénomènes humains" est vague. Je veux dire,
comment décrire une personne, comment décrire des événements ? C'est une
question de sciences sociales, de psychologie, etc. Donc, dans la communauté
astrologique, la majorité des personnes orientées vers les mathématiques
travaillent sur le premier côté de l'équation. Elles travaillent sur l'horloge
céleste pour la rendre plus adaptée à l'astrologie, pour augmenter le nombre de
facteurs et les affiner. Mais l'autre côté de l'équation est négligé. Quand
j'étais plus jeune, je m'intéressais à la mécanique céleste et aux maths que ça
implique, mais ce domaine de recherche n'a pas besoin de moi ; il est bien fait
par beaucoup de gens. Mais l'autre partie est vraiment faible et a besoin de
chercheurs pour construire des modèles. En d'autres termes, il y a une majorité
de chercheurs en astrologie qui sont très raffinés pour étudier le ciel et en
tirer des facteurs afin de développer de nouveaux modèles astrologiques mais
ils ne sont pas raffinés pour vérifier comment nous pouvons prouver que cela
fonctionne. Il est un peu choquant de constater que presque tous les chercheurs
ayant des connaissances en mathématiques et en informatique qui travaillent
avec talent pour développer la partie "horloge céleste" de l'équation
ne sont ni intéressés ni équipés pour travailler sur l'autre partie. Ils ne
semblent pas avoir les connaissances mathématiques de base pour établir des
protocoles probabilistes afin de tester si leurs modèles fonctionnent. En
général, leurs confirmations se limitent à des vérifications anecdotiques sur
quelques cas choisis. En bref, beaucoup de sophistication pour développer des
modèles et aucune sophistication pour les vérifier.
Ce
processus de vérification relève en partie de tests statistiques. Le premier
homme qui a essayé de le faire est le Français Paul Choisnard au début du 20 ème
siècle. Comme c'est très complexe à faire correctement, ce qu'il a trouvé est
en grande partie faux, mais son projet était très précieux. Les statistiques
sont difficiles à établir en raison des biais démographiques, des biais
astronomiques, etc. Plus tard, il y a eu Léon Lasson, Vernon Clark, et quelques
autres, notamment Michel et Françoise Gauquelin qui ont apporté une immense
contribution à la recherche astrologique. Mais le problème est que, maintenant,
dans la recherche, il y a un manque de créativité pour aller plus loin et une
majorité de chercheurs surfent sur les travaux des Gauquelin en se limitant
plus ou moins à commenter ce qu'ils ont fait.
Q :
Pensez-vous que les expériences des Gauquelin ont aidé ou entravé l'astrologie
?
R : Un
peu les deux. C'est paradoxal car, d'une part, elles aident à établir
l'existence d'un lien entre le cosmos et les affaires humaines. Mais, d'autre
part, c'est une sorte de cadeau empoisonné. En effet, ce que les Gauquelin ont
"redécouvert" et prouvé sur certaines planètes est vraiment
compatible avec la tradition astrologique ; par exemple, Mars pour le sport et
la guerre ou Jupiter pour l'autorité et la confiance en soi. C'est une
brillante confirmation de ce que nous savions déjà en astrologie. Mais en même
temps, les positions significatives des planètes trouvées par les Gauquelin ne
sont pas les positions conjointes aux angles précises auxquelles nous, les
astrologues, sommes habitués. Il y a environ 17-19 degrés au-delà de
l'angularité exacte dans les maisons cadentes. C'est un gros problème. Je
connais des chercheurs, dont je fais partie, qui ont étudié ce problème en
essayant d'expliquer cet écart embarrassant ; mais personne ne peut pour
l'instant expliquer pourquoi les pics des résultats des Gauquelin ne sont pas
angulaires. Je porte donc deux chapeaux quand je pratique l'astrologie ; je
suis toujours influencé par mes lectures sur l'angularité exacte des planètes
mais en même temps je me dis que je devrais être plus influencé par les
résultats des Gauquelin. Si une planète est à 19 degrés avant le MC, elle
devrait être plus forte selon eux. C'est donc un cadeau gênant, mais je pense
toujours que c'est un cadeau davantage qu'un poison. Nous ne devons pas non
plus oublier cet autre cadeau énorme qu'ils nous ont fait avec toutes les
données de naissance qu'ils ont laborieusement accumulées par courrier au cours
de plusieurs décennies.
Q :
Vous avez utilisé un mot intéressant, "embarrassant", est-ce en
rapport avec ce que les sceptiques pensent de l'astrologie ?
R
: Non, il y a une grande controverse à ce sujet et c'est une autre
histoire. Je veux dire que c'est embarrassant pour un astrologue parce que ce
n'est pas standard et en même temps, c'est une validation extraordinairement
forte. Je crois que les résultats des Gauquelin sont valables, ils n'ont pas
triché et ainsi de suite, mais en même temps, même si cela valide la
signification des planètes, on peut se poser beaucoup de questions, comme
"comment se fait-il que les planètes ne soient pas parfaitement conjointes
aux angles ? " Comment se fait-il aussi que les Gauquelin n'aient pas
découvert de résultats avec Uranus ? Neptune ? Michel Gauquelin a étudié les
scientifiques, il aurait donc dû voir des pics avec Uranus ; c'est probablement
très intéressant pour les astrologues traditionnels du XVIe et XVIIe siècle qui
ne tiennent pas compte des planètes modernes. Mais pour moi, c'est gênant. Dans
ma pratique, j'observe qu'Uranus est importante et forte dans les cartes des
mathématiciens et des scientifiques. Alors comment se fait-il que Gauquelin
n'ait rien trouvé sur Uranus ? Nous devrions travailler là-dessus.
Q : Vous
avez mentionné les astrologues traditionnels, pensez-vous que différentes
approches de l'astrologie peuvent fonctionner de manière égale ? Comme la
psychologie, la tradition, l'hellénisme, etc.
R
: Je ne veux pas trop m'étendre sur ce sujet car je ne veux pas entrer
dans des controverses. Je ne suis pas intéressé par tous les types
d'astrologie. On peut observer que parmi les personnes qui aiment vraiment
l'astrologie traditionnelle, plusieurs sont dogmatiques et fanatiques de
cette approche et ils sont souvent en réaction à l'astrologie humaniste moderne
et à l'astrologie karmique. Beaucoup d'entre eux ont déjà étudié ce type
d'astrologie auparavant et ils ont été déçus par ce courant originant de Dane
Rudhyar. Ils pensent que cette approche psychologique n'est pas fiable et ils
veulent donc une "astrologie factuelle" ; en effet, souvent leur
façon de justifier leur intérêt pour la tradition est qu'ils ne veulent pas de
la psychologie, ils veulent des faits. Cela semble plus rigoureux mais, à mon
avis, les modèles qu'ils utilisent sont tellement surdéterminés, avec tellement
de règles, qu'en fin de compte, contrairement à ce qu'ils prétendent, ils
s'appuient sur l'intuition. Je n'ai vu aucune recherche valable sur leurs
résultats. D'autre part, au XXe siècle, il n'y a pas que l'astrologie humaniste
et karmique. Il existe d'autres courants qui sont plus rigoureusement
vérifiables ; par exemple, la Cosmobiologie de Reinhold Ebertin qui utilise les
mi-points. Malheureusement, elle a été un peu oubliée et la majorité des
utilisateurs de mi-points pratiquent l'astrologie Uranienne d'Alfred Witte. Ces
derniers travaillent également avec des images planétaires construites avec des
combinaisons de quatre planètes qui génèrent beaucoup plus de combinaisons dans
leur système que dans la Cosmobiologie. Pour moi, c'est trop.
Un
astrologue peut trouver une explication à n'importe quel événement après coup
avec des outils qu'il n'utilise pas régulièrement : "regardez ce degré
monomère", "regardez ce paran", "regardez cette étoile
fixe", "regardez cette image planétaire", "regardez cet
astéroïde". Plus ils sont capables de faire cela, plus ils sont considérés
comme compétents. Pour moi, ce n'est pas ça la vraie compétence parce qu'à
chaque fois qu'ils disent "ceci explique cela", ils ne se rendent pas
compte qu'en faisant ça, ils créent des centaines de faux positifs qu'ils ne
voient pas parce qu'ils ne se soucient pas de les chercher. Si vous obtenez un
événement à une certaine date que vous regardez ponctuellement l'événement et
que vous ne regardez pas sur un an, par exemple, 6 mois avant et 6 mois après,
vous direz "je vois votre accident parce que vous avez eu ces
transits". Mais si vous prenez l'explication donnée pour l'accident et que
vous l'appliquez sur un an, vous allez découvrir que vous avez eu beaucoup d'accidents
manqués, beaucoup de faux positifs où rien ne s'est passé. Mon grand principe
est de toujours travailler systématiquement avec les mêmes facteurs et je suis
prêt à payer le prix d'un certain nombre d'échecs. Pour les événements, par
exemple, je travaille principalement avec les aspects réguliers ainsi que les mi-points
transités et transitants et pas de maisons. Quand ça ne marche pas, j'admets
que c'est un échec et je n'essaie pas de mettre autre chose. J'essaie d'être
aussi précis que possible avec une économie d'outils et de facteurs.
Q :
J'aimerais parler davantage des "événements de conscience" ; c'est
une nouvelle expression pour moi. Comment la science peut-elle rendre compte
des événements dans la conscience alors que la conscience est quelque chose de
si abstrait ?
R
: Tu as raison. Laisse-moi te donner un autre exemple, puis je
t'expliquerai plus en détail. D'après mon modèle astrologique, j'avais une
forte probabilité d'accident et de blessure il y a environ 5 ans et j'ai dû me
rendre à Québec en voiture pour un événement. J'ai été très prudent en
conduisant et rien ne s'est produit. La nuit, devant mon hôtel, je discutais
avec un ami et CRASH ! un accident de voiture s'est produit à une dizaine de
mètres de moi ; c'était la première fois de ma vie que j'étais aussi proche
d'un accident. Donc, en fin de compte, c'est l'accident prédit qui a été vécu
comme un événement de conscience. Je n'ai pas été personnellement impliqué, je
n'ai pas été blessé, mais je n'avais pas pu faire clairement cette distinction dans
ma prévision. Il est difficile de faire des recherches si l'on accepte
cette extension interprétative aux événements subjectifs. Mais je pense que pour
la recherche, nous pouvons nous limiter aux seuls événements objectifs réels,
par exemple aux seuls accidents réels, car il est trop difficile de mesurer des
événements de conscience comme "j'ai été témoin d'un accident". Même
en se limitant à des événements objectifs, on peut obtenir des résultats
significatifs, en acceptant que cela diminue notre taux de réussite, mais je
sais que cela fonctionne parce que je l'ai fait ; je vais publier une recherche
avec plus de 1000 accidents. Les accidents sont partiellement prévisibles avec
une probabilité mesurable ; ce qui est important, c'est de faire significativement
mieux que le pur hasard.